"Nous appelons le gouvernement de Muhammad Yunus à agir : à mettre fin à l'impunité des crimes contre les professionnels des médias, à abandonner les charges fallacieuses portées par l’ancien régime contre les journalistes pris dans un terrible engrenage judiciaire et à abroger la loi sur la cybersécurité qui servait à les réduire au silence."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 15 octobre 2024,
Alors que le leader de la transition Muhammad Yunus entend réformer les institutions, la garantie de la liberté de la presse doit faire partie de ce renouveau démocratique. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à abroger les lois répressives mises en place par le gouvernement déchu et à abandonner les poursuites infondées visant des journalistes.
Deux mois après la démission de l’ex-Première ministre Sheikh Hasina, le leader de la transition entend réformer les institutions avant qu’un scrutin national n’installe durablement un nouvel exécutif. Pour rompre avec quinze années de gouvernance autoritaire de la Ligue Awami, Muhammad Yunus, le “conseiller en chef” du gouvernement d’intérim, doit placer la liberté de la presse, pierre angulaire d’une démocratie, au centre de ces réformes.
« Des réformes structurelles sont nécessaires pour tourner la page répressive du précédent gouvernement. Nous appelons le gouvernement de Muhammad Yunus à agir : à mettre fin à l’impunité des crimes contre les professionnels des médias, à abandonner les charges fallacieuses portées par l’ancien régime contre les journalistes pris dans un terrible engrenage judiciaire et à abroger la loi sur la cybersécurité qui servait à les réduire au silence. Il est tout aussi urgent de stopper les représailles en cours contre plus de 130 journalistes victimes d’accusations infondées. Les cinq journalistes détenus actuellement pour ce motif, sans aucune enquête préalable, doivent être libérés, et leur droit à un procès équitable doit être respecté. Les crimes contre les journalistes perpétrés pendant les manifestations du mois d’août doivent être l’objet d’enquêtes exemplaires et de sanctions judiciaires. »
Antoine Bernard, Directeur du plaidoyer et de l’assistance de RSF
En août 2024, au moins 250 journalistes ont été blessés au cours de la répression meurtrière – plus de 600 morts – des manifestations étudiantes anti-gouvernement. Cinq professionnels des médias y ont été tués. Cette explosion de violence précédant le départ de l’ancienne cheffe du gouvernement a marqué le terme d’un règne placé sous le signe d’une dégradation constante de la liberté de la presse dans le pays, selon l’historique des classements annuels de RSF.
Censure, cyberharcèlement, pressions des renseignements militaires, acharnement judiciaire, violences policières et des milices du parti au pouvoir, meurtres… Le gouvernement de Sheikh Hasina, désignée prédateur de la presse par RSF, a multiplié les entraves au travail des journalistes. En 2024, sa dernière année au pouvoir, le Bangladesh a plongé à la 165e place sur 180 du Classement mondial de la liberté de la presse, son rang le plus bas.
Les journalistes ont été muselés par un arsenal de lois draconiennes. De 2018 à 2023, 255 d’entre eux ont été poursuivis pour leurs reportages en vertu de la loi sur la sécurité numérique (Digital Security Act), selon un rapport du Centre for Governance Studies (CGS), et 97 ont été arrêtés. Sept professionnels des médias demeurent indûment poursuivis et un autre a été condamné par contumace.
RSF émet plusieurs recommandations à destination du gouvernement intérimaire pour un renouveau de la liberté de la presse :
- Engager des poursuites contre les auteurs des meurtres de cinq journalistes, et des violences contre 250 journalistes dans tout le pays au cours de la révolution de la mousson (1er juillet – 6 août 2024) et procéder à une indemnisation adéquate pour les blessés, ainsi que pour les familles des défunts.
- Abandonner les poursuites dans des affaires montées de toute pièce lancées sous le précédent gouvernement contre les journalistes, notamment en vertu de la loi répressive de 2006 sur les technologies de l’information et de la communication, de la loi de 2018 sur la sécurité numérique (DSA) et de la loi de 2023 sur la cybersécurité (CSA). Au moins sept professionnels des médias sont toujours en attente de procès, sous couvert de lois sur la cybersécurité utilisées pour réprimer les voix critiques. Les autorités doivent par ailleurs gracier le journaliste en exil Bashir Akon.
- Abroger la loi draconienne sur la cybersécurité (CSA), ainsi que la loi sur la sécurité numérique (DSA) et la loi sur les technologies de l’information et de la communication (ICT).
- Garantir le droit de chaque journaliste de ne pas être soumis à des détentions et poursuites arbitraires, ainsi qu’à comparaître libre et en jouissant de la présomption d’innocence en cas de poursuites judiciaires.
Accélérer les procédures judiciaires pour tous les cas non résolus d’assassinats de journalistes, en particulier le couple de journalistes Sagar Sarowar et Meherun Runi.