La déforestation de l’Amazonie brésilienne est aggravée par les actions de bandes criminelles qui recourent à la violence et à des actes d’intimidation contre les activistes qui tentent de s’opposer à leurs opérations, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 17 septembre 2019.
La déforestation de l’Amazonie brésilienne est aggravée par les actions de bandes criminelles qui recourent à la violence et à des actes d’intimidation contre les activistes qui tentent de s’opposer à leurs opérations, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le gouvernement manque à son double devoir de protéger la forêt amazonienne ainsi que les defenseurs de l’environnement dans cette région.
Le rapport de 165 pages, intitulé « Rainforest Mafias : How Violence and Impunity Fuel Deforestation in Brazil’s Amazon » (« Mafias de la forêt tropicale : La violence et l’impunité aggravent la déforestation de l’Amazonie brésilienne »), analyse la manière dont l’abattage illégal d’arbres par des réseaux criminels, et les feux de forêt qui en résultent, sont accompagnés d’actes de violence et d’intimidation à l’encontre de défenseurs de la forêt, sans que l’État n’enquête sur ces crimes ou ne poursuive leurs auteurs.
« Les Brésiliens qui défendent l’Amazonie subissent des menaces et des agressions de la part de réseaux criminels impliqués dans l’abattage illégal d’arbres », a déclaré Daniel Wilkinson, directeur adjoint de la division Environnement et droits humains de Human Rights Watch. « La situation n’a fait qu’empirer sous la présidence de Jair Bolsanaro, dont les attaques contre les institutions de protection de l’environnement du pays mettent en grand danger la forêt tropicale et les gens qui y vivent. »
Ces réseaux criminels ont la capacité logistique de coordonner des opérations de grande échelle pour extraire, transformer et vendre le bois, en employant des hommes armés pour intimider, et parfois tuer ceux qui cherchent à défendre la forêt, a constaté Human Rights Watch.
Le 23 septembre 2019, les Nations Unies tiendront un sommet pour débattre des efforts mondiaux d’atténuation du réchauffement climatique. Pour contribuer à ces efforts, le Brésil s’était engagé en 2016 à éliminer la déforestation illégale de l’Amazonie d’ici 2030.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 170 personnes, dont 60 membres des communautés autochtones et d’autres habitants des États de Maranhão, Pará et Rondônia. Les chercheurs ont également interrogé des dizaines de responsables du gouvernement à Brasilia et dans toute la région amazonienne. Beaucoup ont livré des récits bien informés expliquant en quoi les politiques du président Jair Bolsonaro entravent les efforts d’application de la loi.
Lors de sa première année de présidence, Bolsonaro a fait régresser l’application des lois environnementales, affaibli les institutions fédérales de protection de l’environnement et durement critiqué les organisations et les personnes qui s’efforcent de protéger la forêt.
Plus de 300 personnes ont été tuées au cours des dix dernières années dans le cadre de conflits autour de l’utilisation de la terre et des ressources de l’Amazonie, et beaucoup d’entre elles l’ont été par des trafiquants de bois, selon les chiffres recueillis par la Commission pastorale de la terre (CPT), une organisation non lucrative, et cités par le bureau du procureur général.
Human Rights Watch a analysé 28 affaires de meurtres – ainsi que quatre tentatives de meurtre et plus de 40 affaires de menaces de mort – dans lesquelles il existe des preuves crédibles que les auteurs étaient impliqués dans la déforestation illégale et voyaient leurs victimes comme des obstacles à leur entreprise criminelle. La plupart de ces affaires datent des cinq dernières années. Certaines victimes étaient des agents des autorités de protection de l’environnement. La plupart étaient des membres des communautés autochtones ou d’autres habitants de la forêt qui avaient dénoncé un trafic de bois aux autorités.
Dans la colonie de Terra Nossa de l’État de Pará, un habitant a été tué et un autre a disparu après avoir tous deux annoncé leur intention de dénoncer un abattage illégal aux autorités en 2018. Le frère de l’une des victimes, qui enquêtait sur le crime, a également été tué, de même que le leader d’un syndicat de petits agriculteurs qui avait lui aussi annoncé son intention de dénoncer un abattage illégal. Des habitants de la colonie ont rapporté que les quatre hommes avaient été tués par une milice armée travaillant pour un réseau criminel de propriétaires terriens qui, d’après un rapport interne du gouvernement, étaient impliqués dans un trafic de bois.
Les auteurs de ces violences sont rarement traduits en justice. Sur les plus de 300 meurtres enregistrés par la CPT, seuls 14 ont fait l’objet d’un procès. Sur les 28 étudiés par Human Rights Watch, seuls deux ont été jugés, et sur les plus de 40 affaires de menaces de mort, aucune ne l’a été.
Cette impunité des responsables est largement due à l’incapacité de la police à mener des enquêtes dignes de ce nom. La police locale, qui reconnaît cette incapacité, l’explique par le fait que les meurtres soient commis dans des zones isolées. Pourtant Human Rights Watch a constaté des omissions choquantes – comme l’absence d’autopsie – dans les enquêtes sur des meurtres qui s’étaient produits dans des villes, pas très loin d’un poste de police.
Les enquêtes sur les menaces de mort ne s’en sortent pas mieux, les agents de certaines localités refusant même d’enregistrer les plaintes à ce sujet. Dans au moins 19 des 28 meurtres étudiés, des menaces à l’encontre des victimes ou de leur communauté ont précédé l’attaque. Si les autorités avaient enquêté, les meurtres auraient sans doute pu être évités.
Les communautés autochtones et d’autres habitants de la forêt amazonienne jouent depuis longtemps un rôle important dans les efforts de lutte contre la déforestation au Brésil, en alertant les autorités sur des trafics de bois qui sans cela ne seraient sans doute pas détectés. La régression de l’application des lois sur l’environnement encourage l’abattage illégal et exerce une pression plus forte sur les acteurs locaux, les poussant à jouer un rôle plus actif dans la défense de leur forêt, et par là-même les exposant au risque de représailles.
En 2004, le Brésil s’est doté d’un programme pour protéger les défenseurs des droits humains et de l’environnement, mais des responsables du gouvernement ont reconnu qu’il offrait peu de protections significatives.
Pendant les huit premiers mois de présidence de Bolsonaro, la déforestation a presque doublé par rapport à la même période en 2018, d’après des données officielles préliminaires. En août 2019, les feux de forêt liées à la déforestation faisaient rage dans toute l’Amazonie, atteignant une ampleur jamais vue depuis 2010.
Dans l’écosystème humide du bassin amazonien, de tels incendies ne surviennent pas naturellement. Ils sont en fait déclenchés par des individus qui veulent terminer le processus de déforestation lorsque les arbres de valeur ont déjà été retirés. Ils se répandent à travers les petites clairières et routes dissimulées qui ont été dégagées par les trafiquants de bois, laissant des filons de végétation plus sèche inflammable, qui se comporte comme du petit bois, ce qui finit par embraser la forêt tropicale.
Or l’Amazonie, plus grande forêt humide du monde, joue un rôle vital pour atténuer le réchauffement climatique en absorbant et stockant le dioxyde de carbone. Lorsqu’elle est coupée ou brûlée, la forêt non seulement ne remplit plus cette fonction, mais restitue à l’atmosphère le dioxyde de carbone qu’elle avait stocké au préalable.
« L’impact des agressions contre les défenseurs brésiliens de la forêt va bien au-delà de l’Amazonie », a conclu Daniel Wilkinson. « Tant que le pays ne s’attaquera pas aux problèmes de violence et de non-respect de la loi qui facilitent l’abattage illégal, la destruction de la plus grande forêt tropicale du monde se poursuivra sans retenue. »
Quelques cas cités dans le rapport
- Gilson Temponi, président d’une association d’agriculteurs de Placas, dans l’État de Pará, a rapporté à la justice des activités illégales d’abattage en 2018 et les menaces de mort qu’il avait reçues de la part des trafiquants de bois. En décembre de la même année, deux hommes ont frappé à sa porte, puis l’ont abattu.
- Eusebio Ka’apor – un chef du peuple Ka’apor qui aidait à organiser des patrouilles forestières pour empêcher les trafiquants d’entrer sur le territoire autochtone d’Alto Turiaçu dans l’État de Maranhão – a été tué en 2015. Peu après sa mort, six des sept membres du Conseil de gestion des Ka’apor, qui coordonnait les patrouilles, ont été menacés de mort par des trafiquants de bois.
- Osvalinda Pereira et son mari Daniel Pereira, un couple de petits agriculteurs, ont reçu des menaces de mort pendant près de dix ans, depuis qu’ils ont commencé à dénoncer les activités d’’abattage illégal menées par un réseau criminel dans l’État de Pará. En 2018, ils ont trouvé dans leur jardin deux trous en guise de tombes, surmontés de croix de bois.
- En 2019, six personnes, dont Dilma Ferreira Silva, une défenseure de l’environnement de l’État de Pará, ont été tuées sur les ordres – selon la police – d’un propriétaire terrien impliqué dans l’abattage illégal qui craignait que Silva et les autres personnes ne dénoncent ses activités criminelles.