"Cette campagne qui cherche à discréditer et intimider les voix libres menace le travail et la sécurité des journalistes ciblés et de tous les professionnels de l’information."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 20 avril 2023.
Un réseau de médias factices a déclenché une campagne de dénigrement à l’encontre de deux journalistes françaises expulsées du pays et trois de leurs confrères burkinabè. Reporters sans frontières (RSF) dénonce des procédés de désinformation usités pour intimider des professionnels au service d’une information fiable et libre.
Les tentatives de musellement des médias indépendants continuent de s’intensifier au Burkina Faso. Dernier exemple en date : la campagne de dénigrement organisée par un réseau de médias factices et visant nommément les journalistes françaises Agnès Faivre et Sophie Douce, récemment expulsées du pays, et leurs confrères burkinabés HyacintheSanou, Lamine Traoré et Boukary Ouoba. Une campagne orchestrée par plusieurs sites d’information affiliés au Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement (GPCI) et lancée quelques jours après la publication, le 27 mars, d’une enquête de Libération sur l’assassinat d’enfants et adolescents dans le nord du Burkina Faso, dans lequel des membres de l’armée seraient impliqués.
L’apparition de contenus dénigrant, avec des motifs fallacieux, des journalistes locaux et étrangers confirme le recul, semaine après semaine, de la liberté d’informer au Burkina Faso. Cette campagne qui cherche à discréditer et intimider les voix libres menace le travail et la sécurité des journalistes ciblés et de tous les professionnels de l’information. Les autorités doivent les protéger et participer à la lutte contre la désinformation afin que les journalistes puissent exercer leur métier sans risque de représailles.
Sadibou Marong, directeur du Bureau Afrique subsaharienne de RSF
Libération et Le Monde dans le viseur de la campagne de désinformation
Un montage d’une vidéo de deux minutes publié le 1er avril par le média en ligne créé de toute pièce par le GPCI, Wadjey’s TV, a notamment fait le tour des réseaux sociaux dans le but de jeter le discrédit sur l’enquête de Libération. Il pointe du doigt les autorités françaises et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), accusés d’avoir fourni aux journalistes “de fortes sommes d’argent censées payer des leaders de la communauté peule pour faire de faux témoignages”. Le soir même, Agnès Faivre apprend son expulsion du territoire sous vingt-quatre heures. Sophie Douce, correspondante du Monde, recevra la même injonction le lendemain.
Mais avant même le 27 mars, date de la publication de l’enquête de Libération réalisée par Célian Macé, Alexandre Horn et Matteo Maillard, plusieurs sites de la toile GPCI discréditent ce quotidien français ainsi que Le Monde, les incriminant d’être “payés et recrutés par la France afin de déstabiliser le Burkina Faso” écrit CCB TV News sur sa page Facebook.
Trois journalistes burkinabè ciblés
Trois journalistes burkinabè sont aussi visés par cette campagne de dénigrement diffusée également via des groupes WhatsApp. Lamine Traoré (Radio Oméga), Hyacinthe Sanou (Studio Yafa, FasoCheck) et Boukary Ouoba (Association des journalistes du Burkina) sont accusés de connivence avec les médias Libération et Le Monde. “C’est la troisième fois en quelques mois que je fais l’objet d’intimidation ou de menaces, s’inquiète Lamine Traoré. J’ai dû arrêter de travailler pendant plusieurs jours”. Il déplore l’absence criante de condamnations de ces atteintes au droit d’informer de la part des autorités : “Nous avons eu très peu de soutien public. Certes, les organisations professionnelles ont publié un communiqué le 13 avril pour dénoncer les menaces à notre encontre mais personne n’a encore pris la parole de façon individuelle. Il n’y a eu ni communiqués ni messages du gouvernement concernant cette affaire”.
Pour Valdez Onanina, rédacteur en chef du bureau francophone d’Africa Check, basé à Dakar, de telles campagnes mettent à jour le défi auquel les organisations de lutte contre la désinformation sont confrontées : “nos cellules de fact-checking doivent désormais aller au-delà de la seule vérification des faits. Nous devons davantage nous intéresser aux mécanismes qui sous-tendent la production et la diffusion de ces fausses informations afin de mieux les comprendre et les contrer”.
D’ANAcom au GPIC, Harouna Douamba, un proche de Wagner aux manettes
Tous les sites identifiés ayant diffusé cette campagne de dénigrement sont affiliés au Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement (GPCI), selon une enquête de Libération publiée le 13 avril 2023. Dirigé par Harouna Douamba, un lobbyiste ivoirien, ce groupe est connu pour verser dans le commerce d’influence et la désinformation, agissant principalement au Burkina Faso, au Mali, au Togo, au Maroc et en République centrafricaine. Si les pages du GPCI ont depuis été désactivées par Facebook, ses tentacules repoussent vite : des pages substituts ont déjà réapparu. De plus, les sites d’information affiliés au GPCI et ayant relayés les fausses informations sont toujours actifs.
Harouna Douamba n’en est pas à son coup d’essai. C’est lui qui a créé l’association ANA (Aimons notre Afrique) en 2011, liée au réseau ANAcom, aussi à l’origine de plusieurs opérations médiatiques de désinformation et de dénigrement de la France et des institutions onusiennes principalement en République centrafricaine. Et ce, dans une optique identifiée de soutien au gouvernement en place et aux politiques d’influences pro-russes menées par le groupe paramilitaire russe Wagner, qui finance alors en partie ANAcom. Facebook a fini par interdire le groupe et ses 21 médias en ligne, selon All Eyes on Wagner.
Dans un rapport publié le 3 avril, RSF alertait sur la dégradation importante de la liberté de la presse au Sahel. Cette campagne de dénigrement et ces accusations mensongères diffusées massivement en ligne à l’encontre des journalistes illustrent les problématiques mises en lumière dans ce dossier.