« Les Burundais vivent dans la peur de la prochaine attaque, craignant de parler pour dénoncer les meurtres, les tortures et autres abus. »
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 19 janvier 2017.
Des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir au Burundi, connus sous le nom d’Imbonerakure, ont brutalement tué, torturé et sévèrement battu des dizaines de personnes à travers le pays au cours des derniers mois, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les meurtres et autres mauvais traitements reflètent l’impunité généralisée dont bénéficient les membres des Imbonerakure et la réticence du gouvernement à poursuivre ou à contrôler ce groupe.
Au cours des trois derniers mois, des membres des Imbonerakure (« ceux qui voient loin » en Kirundi, langue prédominante au Burundi), ont utilisé des gourdins pour battre à mort un garçon de 15 ans, ont planté un couteau dans l’œil de l’une des victimes, le rendant aveugle, et ont attaqué d’autres personnes à coups de couteau, de gourdin et des poteaux de bois. Des Imbonerakure ont transpercé l’œil d’un autre homme, puis l’ont piétiné à mort. Des Imbonerakure ont également établi des barrages routiers non officiels dans plusieurs provinces, parfois détenant et battant des passants, et leur extorquant de l’argent ou volant leurs biens.
« Les Burundais vivent dans la peur de la prochaine attaque, craignant de parler pour dénoncer les meurtres, les tortures et autres abus », a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Ceux qui tuent et qui torturent en exerçant les violences si librement ainsi que les autorités burundaises qui les soutiennent doivent savoir que leurs actions ne restent pas sans conséquences. »
Le pays a sombré dans une situation de non-droit depuis avril 2015, lorsque le Président Pierre Nkurunziza a annoncé son intention de briguer un troisième mandat contesté, en dépit de la limite de deux mandats établie dans les Accords d’Arusha. Ce cadre politique, signé en 2000, était le premier de plusieurs accords de partage du pouvoir entre belligérants, destinés à mettre fin à la guerre civile du pays. Les forces de sécurité gouvernementales et des membres des Imbonerakure ont réprimé les manifestants et les critiques du gouvernement de Nkurunziza.
Les médias burundais indépendants ainsi que les organisations non gouvernementales, autrefois dynamiques, ont été décimés, et plus de 325 000 personnes ont fui le pays. Au cours des dix-huit derniers mois, plusieurs centaines de personnes ont été tuées et d’autres ont été torturées ou ont été victimes de disparitions forcées. Des groupes d’opposition armés ont également attaqué des forces de sécurité et des membres du parti au pouvoir, notamment des membres de la police et des Imbonerakure.
Les nouveaux constats de Human Rights Watch s’appuient sur des entretiens menés depuis octobre 2016 auprès de plus de vingt victimes, défenseurs des droits humains et autres personnes, qui ont fait état de toute une série d’abus commis par des Imbonerakure dans six des provinces du Burundi. Certaines victimes ont été interrogées en dehors du pays. La plupart ont décrit des incidents qui se sont produits au cours des quatre derniers mois, mais Human Rights Watch a également découvert de nouvelles victimes torturées ou maltraitées par des Imbonerakure plus tôt en 2016.
Human Rights Watch a été informé de plusieurs autres cas d’abus, mais les victimes avaient peur de parler de ce qu’elles-mêmes ou des membres de leur famille avaient subi. La plupart disaient craindre des représailles de la part de membres du parti au pouvoir si elles parlaient des abus.
Depuis le début de la crise, des agents de la police et des services de renseignement ont fréquemment eu recours à des membres des Imbonerakure pour identifier des opposants présumés vivant à Bujumbura, la capitale. Certains de ces opposants arrêtés par des Imbonerakure – qui n’ont aucun pouvoir légal pour détenir des personnes – ont ensuite été torturés par des agents des forces de sécurité.
Des témoins ont déclaré que, si quelques Imbonerakure sont arrêtés pour les abus qu’ils commettent, beaucoup d’entre eux sont relâchés rapidement et ne sont jamais traduits en justice. Des victimes ont affirmé que souvent les autorités judiciaires ne mènent une enquête que si la personne qui dépose plainte verse un pot-de-vin.
Des avocats, des témoins et des magistrats ont déclaré que les affaires politiquement sensibles sont souvent traitées par des magistrats proches du parti au pouvoir. De nombreuses personnes refusent de porter plainte contre des Imbonerakure parce qu’elles les craignent et ont perdu confiance dans le système judiciaire, qui, selon elles, est incapable d’aider les victimes et peut être impliqué dans des abus.
Un homme a déclaré avoir déposé plainte auprès de la police en février 2016 après que deux policiers ont violé sa femme. La police lui a répondu qu’il « ternissait l’image des forces de sécurité. » Après que la police l’a menacé et que des Imbonerakure l’ont roué de coups, il a retiré sa plainte.
Les autorités burundaises devraient immédiatement et publiquement ordonner aux membres des Imbonerakure de cesser d’arrêter illégalement, de maltraiter et d’extorquer de l’argent à la population, a déclaré Human Rights Watch. Le système judiciaire burundais devrait mener des enquêtes et des poursuites contre les membres des Imbonerakure qui commettent ces crimes. Le gouvernement devrait également démanteler tous les barrages routiers illégaux à travers le pays.
Dans une réponse de cinq pages à des questions posées par Human Rights Watch, Nancy-Ninette Mutoni, la secrétaire exécutive chargée de la communication et information pour le parti au pouvoir, a écrit que les Imbonerakure mènent des activités politiques « dans le calme et la sérénité » et n’arrêtent pas les gens. Elle a indiqué que le parti au pouvoir est contre la torture et n’a reçu aucune plainte de la part de la population sur des abus, ajoutant qu’elle s’insurge contre la « déshumanisation » des Imbonerakure : : « Celui [parmi les Imbonerakure] qui transgresse [le règlement disciplinaire du parti] est sévèrement sanctionné d’abord par les lois internes [du parti] et au cas nécessaire, on fait recours aux lois pénales. » Elle a affirmé que les accusations d’extorsion n’étaient « que mensonge pur et dur ».
Nancy-Ninette Mutoni a expliqué que les Imbonerakure participent à des « comités mixtes », comprenant des habitants, des autorités, des agents administratifs et des membres des forces de sécurité, ayant pour but d’assurer la sécurité. Dans ces comités, les Imbonerakure « ont non seulement le droit mais également le devoir de surveillance et de signaler tout mouvement et actes suspects aux forces de l’ordre. »
Au cours des derniers mois, des membres du gouvernement ont été attaqués par des personnes non identifiées. Le 28 novembre 2016, des hommes armés ont attaqué et blessé Willy Nyamitwe, le conseiller en communication du président, près de son domicile à Bujumbura. Le 31 décembre, un homme armé a abattu Emmanuel Niyonkuru, ministre de l’Environnement du Burundi, chez lui à Bujumbura. Plusieurs suspects ont été arrêtés dans ces deux cas.
Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution en septembre 2016 pour mettre en place une commission d’enquête sur les violations des droits humains commises au Burundi depuis avril 2015, afin de déterminer si ces violations peuvent constituer des crimes internationaux. Cette commission est également mandatée pour identifier les personnes présumées responsables dans le but de garantir la justice pour les crimes commis. Des autorités burundaises ont déclaré qu’elles refuseront de travailler avec la commission.
En juillet 2016, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution autorisant le déploiement de 228 agents de police non-armés au Burundi en appui aux observateurs des droits humains de l’ONU. Les autorités burundaises ont refusé un tel déploiement.
Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait imposer des interdictions de voyager et le gel des avoirs contre les individus responsables de violations des droits humains en cours au Burundi, selon Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité devrait créer un panel d’experts pour identifier les responsables burundais, qu’ils fassent partie du gouvernement ou de l’opposition, les plus responsables pour les exécutions sommaires, les actes de torture et autres graves violations des droits humains commises depuis avril 2015.
Le cadre des sanctions devrait inclure des exemptions à des fins humanitaires et veiller à ce que les sanctions fassent l’objet d’une procédure régulière, ainsi que des dispositions visant à lever ou suspendre les sanctions si les personnes sanctionnées corrigent ces abus ou si les autorités burundaises assurent une justice adéquate pour les crimes graves. Ainsi, le gel des avoirs et les interdictions de voyager cibleraient directement les personnes responsables d’abus et n’auraient aucun effet négatif sur la population burundaise dans son ensemble.
La Commission d’enquête de l’ONU devrait rapidement ouvrir son enquête. Elle devrait mettre l’accent dans son enquête sur les meurtres et autres abus commis par des Imbonerakure afin d’identifier les membres des Imbonerakure ainsi que les agents des forces de sécurité et les membres du gouvernement ou du parti au pouvoir les plus responsables de ces crimes.
De plus, si la Cour pénale internationale (CPI) trouve suffisamment de preuves pour justifier une enquête approfondie, elle devrait l’entreprendre le plus rapidement possible et enquêter sur les abus commis par les Imbonerakure – notamment toute personne occupant des postes de haut rang responsable de planifier, d’aider ou de ne pas empêcher des crimes contre l’humanité.
« L’ONU, la CPI ainsi que les partenaires régionaux et internationaux du Burundi, devraient se mobiliser aux plus hauts niveaux et prendre des mesures de toute urgence afin de traduire en justice les personnes portant la plus grande responsabilité pour les crimes graves perpétrés contre les Burundais, et afin de mettre un terme aux violences et aux abus commis au Burundi », a conclu Ida Sawyer.