A la veille des elections generals de juillet 2018, le gouvernement cambodgien est devenu de plus en plus hostile envers la dissidence. Les partis de l'opposition et les médias indépendants ont enduré d'une répression sévère. Les journaux et les radiodiffuseurs sont forcés de fermer, les militants des droits civils ont été emprisonnés et la police a usé de la force pour disperser des manifestations.
Il devient de plus en plus évident que le premier ministre Hun Sun n’a pas l’intention de laisser les médias libres poursuivre leur travail à l’intérieur du pays avant les élections de 2018. Le gouvernement a plutôt profité de toutes les occasions s’offrant à lui pour s’attaquer aux critiques, aux opposants politiques, aux ONG, et à l’indépendance des médias cherchant à communiquer la vérité.
CAPITALE : Phnom Penh
POPULATION : 15,76 millions
PIB : 20,017 G $US
MEMBRE :
Association of South East Asian Nations (ASEAN), Mouvement des pays non alignés (NAM), Organisation des Nations Unies
MEMBRES ACTIFS DE L’IFEX DANS CE PAYS :
Cambodian Center for Human Rights (CCHR) | cchrcambodia.org
Cambodian Center for Independent Media (CCIM) | ccimcambodia.org
CLASSEMENT DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE :
Indice mondial de la liberté de la presse 2017 de Reporters sans frontières 132 sur 179 pays
Des élections souvent menaçantes
Des élections locales ont eu lieu en juin 2017 dans un environnement décrit par Human Rights Watch comme « menaçant » et « hostile à la liberté d’expression et à une véritable participation politique ». Une menace exacerbée par la déclaration glaçante du premier ministre Hun Sen, précisant que pour assurer la victoire de son parti, il était prêt à « éliminer 100 à 200 personnes ». Il ne s’agissait pas là de menace en l’air. Vingt ans plus tôt, en juillet 1997, des dizaines de personnes ont été assassinées lorsque les forces armées, fidèles au CPP, ont évincé Norodom Ranariddh, chef du parti royaliste FUNCINPEC et vice-premier ministre de l’époque de Hun Sen.
Les élections du 17 juin furent relativement paisibles. Le Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP) a obtenu 46 % des voix contre 51 % pour le CPP, ce qui représente une avancée importante pour l’opposition par rapport aux années précédentes. Néanmoins, les élections se sont déroulées dans un climat menaçant, en particulier contre les groupes de la société civile qui ont contesté le gouvernement. Par exemple un porte-parole du ministère de l’Intérieur avait menacé qu’il y aurait des répercussions après les élections si les ONG persistaient dans leur mouvement d’opposition.
Un an plus tard, cette menace est devenue bien réelle avec l’arrestation de Kem Sokha, le chef du CNRP, le 3 septembre dernier, accusé de « trahison » pour collusion avec les É.U., représentant une escalade des hostilités contre l’opposition, mais aussi venant marquer l’antagonisme du premier ministre à l’égard des États-Unis.
Mesures des répressions contre la presse avant les elections générales
Juste avant les élections locales du 17 juin, le ministère de l’Intérieur a publié des lignes directrices encadrant ce que la presse peut couvrir et interdisant notamment les reportages qui pourraient avoir une incidence sur « l’ordre public » ou ceux pouvant engendrer une « peur de la violence ». Le Comité pour la protection des journalistes a décrit l’édit comme « intrusif, vague et menaçant ». Des restrictions similaires sur les médias ont été mises en place avant les élections générales de juillet 2018, y compris un arrêté ministériel, publié en juin 2018, qui impose des restrictions draconiennes aux utilisateurs de médias sociaux. L’ordre interdit le partage de contenu que le gouvernement définit vaguement comme provoquant « l’incitation » et « sapant la solidarité sociale ».
Malgré la victoire du CPP dans les sondages de 2017, les pressions sur la presse se sont renforcées. Entre le mois d’août et le mois de septembre 2017, près de 30 organes de presse ont été fermés ou privés d’antenne. Le quotidien de langue anglaise le Cambodge Daily, s’est vu forcé de mettre la clé sous la porte le 3 septembre 2017 après avoir été condamné à payer 6,3 millions de dollars américains en arriérés d’impôts. Un montant « astronomique » que le journal conteste. En dépit de son tirage limité, le journal était admiré pour ses articles fréquents sur des questions sensibles comme la corruption et les droits fonciers.
Puis, le 12 septembre, Radio Free Asia (RFA), financé par les États-Unis, s’est vu forcée de suspendre ses activités au Cambodge dans un contexte qu’elle décrit comme une « implacable répression contre les voix indépendantes ». Les stations de radio diffusant des programmes de RFA et de Voice of América ont également disparu des ondes, accusées de « survendre » ces deux radiodiffuseurs financés par les États-Unis, parmi d’autres accusations de non-conformité avec la réglementation sur la radiodiffusion. Le Gouvernement réfute toute motivation politique derrière ces interdictions, mais fut rapidement démenti par une intervention du ministre de l’information, Khieu Kanharith, décrivant le directeur d’une des stations fermées, la Voix de la démocratie, comme un « traître » pour avoir accepté de dons provenant de l’étranger. La liberté de la presse a encore été touchée en mai 2018, lorsque le dernier journal indépendant, The Phnom Penh Post, a été vendu dans des circonstances obscures. Peu de temps après que la vente soit conclue, le nouveau propriétaire a commencé à censurer le contenu et s’attaquer aux journalistes. Treize employés ont été contraints de démissionner et le rédacteur en chef a été renvoyé. Dans les jours qui ont précédé les élections générales de juillet 2018, les autorités ont fermé 17 entreprises de presse en ligne, y compris la Voix de la démocratie (VOD) du centre cambodgien pour l’indépendance des médias, la Voix de l’Amérique (VOA Khmer service), Radio Free Asia (RFA Khmer service) and le journal the Phnom Penh Post.
Le 25 Juillet 2018, IFEX a fait une déclaration publique condamnant la répression des voix discordantes au Cambodge durant la période pré-électorale « privant ainsi les élections de toute crédibilité ». La déclaration a exigé « le respect total des droits humains et des libertés fondamentales dans le pays ».
Des militants des droits civiques emprisonnés et agressés
En 2015, une nouvelle loi sur les ONG est entrée en vigueur rendant les demandes d’enregistrement et de subventions plus contraignantes, qui fut décrite comme une « tentative à peine déguisée de réduire la liberté des ONG ». À l’époque, la déclaration du premier ministre Hun Sen, commentait à l’époque que toute ONG en violation avec la nouvelle réglementation serait « menottée » représentait une menace de plus pour les groupes de la société civile déjà malmenés.
Parmi eux, des militants des droits civiques qui tentent de préserver des terres, accaparées par des développeurs, afin de préserver l’environnement et les moyens de subsistance de la population locale. En 2012, 13 femmes ont été condamnées à des peines de prison pour avoir manifesté contre des développements immobiliers dans la périphérie de Phnom Penh. Tep Vanny était l’une d’entre elles. Elle purge une peine de deux ans et demi de prison pour avoir organisé des manifestations pour la libération de Yorm Bopha, en 2013. Arrêtée à plusieurs reprises entre 2012 et sa dernière incarcération en 2017, elle avait également été emprisonnée en avril 2016 pour avoir apporté son soutien à cinq membres de la Cambodian Human Rights and Development Association (ADHOC) arrêtés en avril 2016 et détenus sans procès jusqu’à leur libération sous caution en juin 2017. Accusés de corruption, leur « crime » consistait à avoir fourni des conseils à une femme impliquée dans une enquête d’adultère visant un membre de l’opposition du CNRP. Une accusation perçue comme une tentative de miner le parti. En novembre 2016, le Groupe de travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires a conclu que ces cinq personnes avaient été emprisonnées arbitrairement et qu’elles avaient été arrêtées pour avoir donné des conseils « légitimes ».
Les arrestations des membres de l’ADHOC ont déclenché des manifestations en mai 2016 qui furent surnommées « Le lundi noir ». Cette série de manifestations et d’événements pour soutenir les prisonniers fut reçue par des forces de l’ordre très remontées qui ont procédé à des dizaines d’arrestations. Tep Vanny comptait parmi les personnes arrêtées. Elle fut détenue pendant six jours en août 2016 et reste maintenue en détention pour sa participation, plusieurs années auparavant, à une autre manifestation. Les Lundis noirs se poursuivent.
Le contexte pour les défenseurs des droits de la personne demeure hostile. À la mi-septembre 2017, les tensions prenaient une nouvelle tournure, tout comme la rhétorique contre les organisations entretenant des liens avec les États-Unis, forçant l’ambassade américaine à Phnom Penh à émettre un avertissement de sécurité à ses ressortissants.
Une effrayante parodie de procès – L’affaire Kem Ley
Le meurtre de Kem Ley, se déroule dans ce contexte tumultueux. Commentateur politique et activiste connu pour ses fortes positions contre le RPC, Kem Ley a été abattu le 10 juillet 2016 dans le café d’une station-service café où il rencontrait souvent des personnes pour donner des entrevues. Au lieu d’apporter l’assurance du bon fonctionnement du système judiciaire, la condamnation d’un homme à la prison à vie en mars 2017 a jeté des soupçons sur le fait qu’il s’agissait d’un assassinat politique commandité au plus haut niveau de l’appareil d’état. La spéculation était telle que le premier ministre Hun Sen ont intenté une action en justice contre le chef de l’opposition en exil, Sam Rainsy, pour avoir laissé entendre que son gouvernement était derrière ce meurtre. Quelques jours avant sa mort, Kem Ley a donné une entrevue pour un rapport de Global Witness intitulé, l’OPA hostile (Hostile Takeover), portant sur l’immense richesse personnelle que Hun Sen avait accumulée au cours de ses années au pouvoir.
Le procès, quant à lui, était truffé d’incohérences. Bien que l’accusé, Oueth Ang, a avoué le meurtre, son témoignage était plus que lacunaire. Alors qu’il prétendait être orphelin, sa mère fut entendue comme témoin; alors qu’il prétendait être un travailleur forestier, il fut démontré qu’il était un ancien militaire. Les personnes qu’il avait identifiées comme étant lié à ce meurtre ne furent pas citées à comparaître. Sept des dix témoins étaient des agents de police, et ainsi de suite. Les observateurs de la Commission internationale de juristes ont rapporté dans le New York Times que le procès n’avait pas pu établir la vérité, ajoutant que l’accusé avait fourni une version des événements totalement improbable, qui n’a pas été étudiée en profondeur. L’indignation fut telle qu’en juillet 2017, une déclaration commune signée par 164 ONG au Cambodge et à l’étranger a appelé le gouvernement cambodgien à ouvrir une Commission d’enquête indépendante qui permettrait de faire la lumière sur les lacunes du procès et de faire éclater la vérité sur le meurtre de Kem Ley.
L’absence de véritable justice pour des meurtres antérieurs n’est pas de bon augure pour la mémoire de Kem Ley. La disparition de Khem Saphath, un garçon âgé de 16 ans, suite à une répression policière lors d’une grève des travailleurs du textile en 2014 n’est toujours pas élucidée, tout comme les meurtres de six autres personnes entre 2013 et 2014 au cours de manifestations. Un documentaire sur l’assassinat de l’écologiste Chut Wutty en 2012 a été interdit au Cambodge en 2016, mais plus de 100 000 personnes l’auraient visionné lors de projections secrètes à travers le pays. Dans une affaire, aux ressemblances frappantes avec celle de Kem Ley, deux hommes accusés et emprisonnés pour le meurtre, en 2004, du syndicaliste Chea Vichea, ont été libérés en 2013 par manque de preuves. Leur procès avait été profondément vicié et de l’avis général, il semble qu’ils aient joué le rôle de boucs émissaires afin de détourner l’attention des véritables assassins qui, à ce jour, restent impunis.
PLUS DE RESSOURCES ET DE RENSEIGNEMENTS
Kem Ley : Mettre fin à cette mascarade de justice
ASIE ET PACIFIQUE 19 September 2017
Le 10 juillet 2016, l’activiste et commentateur politique populaire cambodgien, Kem Ley, a été abattu, deux jours seulement après avoir critiqué publiquement la famille Hun Sen d’abus de pouvoir afin d’accumuler de vastes richesses personnelles. Bien que le tireur ait été condamné à la prison à vie, de nombreuses questions subsistent et notamment la plus évidente : qui a ordonné le meurtre de Kem Ley?