Traditionnellement bien placé dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), le Canada est néanmoins confronté à des défis en matière de sécurité des journalistes et de pérennité de leur métier.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 29 août 2025. décembre février
Les Canadiens se rendront aux urnes le 28 avril à un moment charnière pour les médias du pays. Traditionnellement bien placé dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), le Canada est néanmoins confronté à des défis en matière de sécurité des journalistes et de pérennité de leur métier. RSF exhorte les candidats aux élections fédérales à prendre des mesures pour que leur pays reste à l’avant-garde mondiale de la liberté de la presse à un moment où le journalisme est menacé partout dans le monde.
La longue tradition du Canada en matière de protection de la liberté de la presse lui offre l’opportunité de s’imposer comme un véritable leader mondial dans ce domaine, à un moment où des forces politiques et économiques s’opposent au journalisme. Mais avant cela, les dirigeants canadiens doivent prendre certaines mesures concrètes pour renforcer la protection de la liberté de la presse et investir dans un journalisme indépendant et de qualité.
« Le Classement mondial de la liberté de la presse de RSF témoigne depuis longtemps de la solidité des protections en matière de liberté de la presse au Canada, qui se classe régulièrement parmi les 20 premiers pays du Classement. Les journalistes canadiens jouissent notamment de conditions relativement sûres, aucun d’entre eux n’ayant été tué ou emprisonné au cours de la dernière décennie. Toutefois, pour que le Canada conserve sa place parmi les pays en tête du Classement et devienne un leader mondial en matière de liberté de la presse, les décideurs politiques doivent s’attaquer à certains des problèmes existentiels majeurs auxquels sont confrontés les médias canadiens. »
Clayton Weimers, Directeur du bureau Amérique du Nord de RSF
Compte tenu des menaces qui pèsent aujourd’hui sur les journalistes et le journalisme au Canada, RSF formule les recommandations suivantes au prochain gouvernement canadien :
1. Renforcer la formation des forces de l’ordre afin d’éviter les arrestations illégales de journalistes
Le nouveau gouvernement devrait, dès son entrée en fonction, faire preuve de volonté politique pour s’engager à fournir des lignes directrices et des formations à l’échelle nationale à toutes les forces de police fédérales et locales sur la manière de respecter la Charte des droits des journalistes, en particulier pour éviter les arrestations et les affrontements lors de manifestations publiques.
Les journalistes qui couvrent les manifestations et les rassemblements publics sont exposés à un risque accru d’interférences policières dans leur travail. La Gendarmerie royale du Canada (RCMP), ainsi que d’autres services de police provinciaux et locaux, ont de plus en plus recours à l’arrestation et à la détention de journalistes qui couvrent des sujets d’intérêt public.
Ce comportement est inacceptable. RSF a relevé deux cas récents très médiatisés qui illustrent ce problème.
En 2024, la police d’Edmonton a arrêté Brandi Morin alors qu’elle couvrait une opération d’évacuation d’un campement de sans-abri dans un espace public. La Gendarmerie royale du Canada (RCMP) a quant à elle arrêté et détenue pendant trois jours une autre journaliste, Amber Bracken, alors qu’elle couvrait une manifestation autochtone contre la construction d’un gazoduc en Colombie-Britannique. La RCMP a affirmé qu’Amber Bracken n’était pas journaliste, malgré des preuves manifestes du contraire.
Ces arrestations, ainsi que d’autres documentées par RSF, illustrent une incertitude persistante de la police canadienne quant à la manière d’interagir avec les professionnels des médias sur le terrain, au mépris des précédents juridiques établis.
2. Maintenir le financement et l’indépendance éditoriale de la radiodiffusion publique
À l’heure où les petites salles de rédaction ferment leurs portes à travers le pays et où les citoyens se tournent de plus en plus vers des sources d’information en ligne peu fiables, le Canada devrait renforcer les atouts de ses services de radiodiffusion publique tout en respectant leur indépendance.
La Canadian Broadcasting Corporation (CBC) joue un rôle essentiel pour garantir aux citoyens l’accès à des informations fiables et non commerciales. Supprimer le financement de la CBC, comme l’a déjà suggéré un candidat, créerait davantage de déserts médiatiques où la désinformation et la mésinformation se propageraient comme une traînée de poudre. La CBC est en mesure d’atteindre les Canadiens de tout le pays, y compris ceux qui vivent dans des régions peu peuplées où les médias ne sont pas viables commercialement, et ce, dans huit langues autochtones.
3. Élaborer une approche plus efficace pour soutenir la viabilité d’un journalisme de qualité
Le journalisme de qualité joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement d’une société démocratique, mais il est soumis à une pression économique croissante. Au cours des dernières années, des mesures ont été prises dans toutes les régions du Canada pour soutenir la production et la diffusion d’un journalisme de qualité.
Au niveau fédéral, cela s’est traduit par de nombreux programmes, notamment le crédit d’impôt pour le travail dans le secteur du journalisme canadien, l’Initiative pour le journalisme local et le crédit d’impôt pour les abonnements. Le gouvernement fédéral a également introduit la désignation “organisme de journalisme enregistré” (OJE) afin que les organes de presse puissent recevoir des dons en tant que bénéficiaires reconnus.
En mars 2025, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a accordé à Google une exemption de cinq ans d’application de la loi sur les informations en ligne qui oblige les plateformes à rémunérer les médias d’information pour leur contenu, en échange du versement d’une somme de 100 millions de dollars canadiens versée chaque année aux organismes de presse qualifiés. Une loi a également été adoptée pour obliger les plateformes de streaming à réinvestir dans l’information locale.
Au milieu de ce patchwork de politiques, il est nécessaire de mettre en place une stratégie globale et efficace qui aide les médias à innover et à trouver des modèles d’information durables. À cette fin, RSF soutient les recommandations de la Commission sur l’ingérence étrangère dirigée par la juge québécoise Marie-Josée Hogue, qui suggèrent de moderniser “le financement et les modèles économiques des médias afin de soutenir les médias professionnels, y compris les médias locaux et en langues étrangères, tout en préservant l’indépendance et la neutralité des médias”.
4. Interdire l’espionnage des journalistes.
Le Canada ne dispose d’aucune législation réglementant l’utilisation des logiciels espions, et cela doit changer. Un récent rapport de CitizenLab a révélé que plusieurs services de police de l’Ontario achetaient secrètement des logiciels espions commerciaux. Le Parlement devrait adopter des mesures de protection contre l’utilisation abusive des logiciels espions commerciaux, exiger plus de transparence de la part des agences qui les utilisent et interdire leur utilisation contre les journalistes.
5. Réformer la loi fédérale sur l’accès à l’information.
La loi canadienne sur l’accès à l’information a été conçue pour “renforcer la responsabilité et la transparence des institutions fédérales afin de promouvoir une société ouverte et démocratique et de permettre un débat public sur la conduite de ces institutions”. Quarante ans plus tard, les experts s’accordent à dire que la loi fédérale canadienne sur l’accès à l’information est défaillante. Des générations de commissaires à l’information, de journalistes et de politiciens de tous bords ont souligné les retards, les exemptions et les frais qui font obstacle à la transparence. RSF appelle tous les partis politiques à expliquer aux Canadiens comment ils comptent moderniser la loi fédérale sur l’accès à l’information une fois au pouvoir.