Le harcèlement ciblé des militants du Hirak est une preuve supplémentaire que si l'internet peut fournir une plateforme aux marginalisés, il peut aussi faciliter leur persécution.
Cet article a été initialement publié sur fr.globalvoices.org le 4 avril 2019.
Cet article est le premier d’une série de deux sur la répression des médians et les « infox » au Maroc. Il a été écrit en collaboration avec Access Now.
En septembre 2018, Nasser Zefzafi, le leader emprisonné du mouvement protestataire Hirak dans la province du Rif, a été nominé pour le prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de pensée décerné par le Parlement européen. Cette récompense annuelle a été créée en 1988 pour honorer les personnes « qui ont apporté une contribution exceptionnelle à la lutte pour les droits de l’homme dans le monde ».
Zefazfi purge actuellement une peine de 20 ans de prison pour son rôle de meneur dans les manifestations du Hirak. Le mouvement contestataire a commencé à gagner du terrain après la mort de Mohsin Fekri, un vendeur de poissons dont la marchandise avait été confisquée par la police à Al Hoceima le 29 octobre 2016. Quand le jeune homme avait tenté de récupérer son poisson, il avait été happé par la benne d’un camion de ramassage d’ordures.
Zefzafi était sur la liste des trois finalistes du Prix Sakharov, mais ce n’est pas lui qui l’a remporté. Le prix a été attribué au cinéaste et écrivain ukrainien Oleg Sentsov.
Après l’annonce du lauréat le 25 octobre, le site marocain d’information Cawalisse publia un article inventé prétendant que le parlement européen « retirait le nom de Zefzafi de la liste des lauréats » parce qu’il était un « criminel sans rapport avec les droits humains ».
L’article (qui n’indique pas de nom d’auteur) affirme que « un groupe de lobbies internes au Parlement européen, dont ceux qui soutiennent les séparatistes du Polisario et ceux qui sont embauchés par les gangs de la drogue, ont fait pression sur le comité du prix pour le décerner à Zefzafi et donner à ses crimes le label de la protection des droits ».
L’article est faux du début à la fin. Il est basé sur des faits fabriqués et des théories complotistes. Le Parlement européen n’a jamais affirmé que Zefzafi était un criminel, ni n’a retiré son nom « de la liste des lauréats ». Il n’a tout simplement pas été choisi pour remporter le prix. En réalité, et pour commencer, il n’existait pas de « liste des lauréats », mais un unique récipiendaire, Oleg Sentsov.
Le mouvement populaire du Rif et sa répression
Ceci n’est pas le seul article publié par les médias pro-gouvernementaux pour diffamer Zefzafi, et ce dernier n’est pas le seul militant du Hirak ciblé par de telles opérations. A mesure que le mouvement croissait, les médias alignés sur le pouvoir, et les soutiens de celui-ci, ont lancé des campagnes diffamatoires en ligne pour discréditer le mouvement, accusant ses meneurs d’être des « traîtres », des « corrompus », ou encore des « terroristes », façon de les dissuader de mener à bien leur protestation. Le procès et l’emprisonnement des militants n’ont pas mis fin aux campagnes de désinformation.
Nawal Benaissa, une autre figure de proue du mouvement Hirak, a été poursuivie et condamnée à 10 mois d’emprisonnement pour les déclarations qu’elle a publiées sur son compte Facebook entre juin et août 2017, dans lesquelles elle appelait les habitants d’Al Hoceima à se joindre aux manifestations. Dès qu’elle avait rejoint le mouvement, des infox se sont mises à apparaître dans la presse locale et les médias sociaux la dénonçant comme « agente qui travaille pour les ambassades » et recevant des fonds de pays étrangers pour répandre la violence et déstabiliser la région.
Un journaliste marocain qui a souhaité garder l’anonymat pour protéger sa sécurité a confié à Access Now que l’utilisation par les autorités marocaines de campagnes de diffamation pour intimider et discréditer les opposants et les militants indépendants a débuté en 2011 pendant les soulèvements arabes.
« Faits et événements peuvent être créés comme éléments d’un montage, ou, dans certains cas les faits peuvent être réels, mais profondément déformés et présentés avec l’intention de discréditer la cible », explique-t-il.
Il a ensuite détaillé que les thèmes récurrents dans ces histoires falsifiées visant à « diffamer les organisations et individus qui ne sont pas loyaux au système politique en place » sont le sexe et la moralité, et la rémunération de services rendus à des intérêts étrangers. Plusieurs articles d’infox de médias pro-gouvernementaux affirmaient que Zefzafi et son père étaient payés pour déstabiliser le Rif et le Maroc.
Le harcèlement ciblé des militants du Hirak est une preuve supplémentaire que si l’internet peut fournir une plateforme aux marginalisés, il peut aussi faciliter leur persécution. Le coût potentiel de cette diffusion instantanée de la désinformation est douloureusement démontré par le bâillonnement des activistes du Hirak et le déclin de leur mouvement dont le seul tort était de combattre pour les droits fondamentaux.
Ecrit par Afef Abrougui
Ecrit par Emna Sayadi
Capture d’écran de l’article fabriqué de Cawalisse prétendant que le Parlement européen avait qualifié Zefzafi de « criminel »Global Voices