La pandémie de COVID-19 a été l’occasion pour plusieurs gouvernements du Moyen-Orient de reprendre le contrôle des médias et de réaffirmer leur monopole sur la diffusion de l’information.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 27 mars 2020.
La pandémie de Covid-19 a été l’occasion pour plusieurs gouvernements du Moyen-Orient de reprendre le contrôle des médias et de réaffirmer leur monopole sur la diffusion de l’information. Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de voir les autorités de la région exploiter cette crise pour accroître la censure d’Etat.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19 au Moyen-Orient, de nombreux journalistes ont émis des doutes sur les chiffres officiels du nombre de malades dans leurs pays respectifs, et critiqué le manque de transparence de leurs gouvernements.
“La crise du coronavirus ne doit pas servir de prétexte aux Etats de la région pour renforcer leur mainmise sur les médias et verrouiller l’information, déclare Sabrina Bennoui, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières (RSF). Les mesures prises pour endiguer l’épidémie ne doivent aucunement affecter le travail des journalistes.”
Les autorités ont largement recours à des organes de contrôle existants. En Egypte, le gouvernement a renforcé la censure exercée par la Conseil suprême de régulation des médias (SCMR) et le State Information service (SIS). Le SCMR a annoncé la fermeture pour six mois de plusieurs sites d’information pour “diffusion de fausses nouvelles” sur l’épidémie, et envisagé le blocage de pages et de comptes personnels jugés coupables de “susciter l’inquiétude de l’opinion publique”.
Le SIS a convoqué deux journalistes étrangers, la correspondante du quotidien britannique The Guardian Ruth Michaelson et le chef du bureau du Caire du New York Times Declan Walsh. La première a été expulsée du pays le 20 mars, trois jours après avoir perdu son accréditation, pour avoir publié un article remettant en cause le décompte des personnes infectées par le virus. Elle expliquait que le chiffre officiel d’une centaine de cas était très en deçà de la réalité, et citait une étude scientifique canadienne estimant que l’Egypte compterait déjà plus de 19 000 cas. Son confrère du New York Times a écopé le même jour d’un rappel à l’ordre pour avoir retweeté un message du médecin auteur de l’étude citée dans l’article du Guardian. Depuis, il a supprimé son retweet.
La Syrie, trou noir de l’information sur le coronavirus
Pendant plusieurs semaines, les Syriens sont demeurés dans l’incertitude. Le gouvernement niait toute contamination et le ministère de la Santé avait annoncé le 22 février que toutes les informations relatives à la pandémie seraient publiées exclusivement par l’agence de presse officielle SANA, qui opère sous la tutelle des services de renseignements et de la présidence. Un mois plus tard, un premier cas de Covid-19 a enfin été officiellement confirmé.
Pourtant, le doute subsiste, compte tenu de la proximité du régime syrien avec l’Iran, principal foyer de l’épidémie dans la région. Les médias d’opposition ont multiplié les articles annonçant des cas de contaminations dans des régions loyalistes comme Tartous et Lattaquié. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, plusieurs médecins auraient confirmé avoir reçu des autorités la consigne de garder le silence et de ne rien laisser filtrer sur le sujet. Une page Facebook et un compte Twitter se présentant comme étant ceux du journaliste pro-Bachar Al-Assad Rafik Loutf, avait annoncé le décès de plusieurs patients présentant les symptômes du Covid-19. Dans une vidéo publiée sur Facebook, Rafik Loutf nie être le propriétaire de ces comptes et dément toute rumeur de contamination.
Des médias unanimes… en apparence
De leur côté, les autorités d’Arabie Saoudite ont voulu faire preuve de transparence en organisant des conférences de presse quotidiennes. Les médias nationaux confortent le discours officiel, en louant l’exemplarité du Royaume dans sa réponse forte et réactive à l’épidémie.
Les rares critiques ont porté sur le traitement de ressortissants saoudiens revenus d’Iran et originaires de Qatif, une province majoritairement chiite. Des publications largement partagées sur les réseaux sociaux ont accusé l’Iran d’être responsable de l’introduction du virus en Arabie saoudite car, à l’aéroport, il n’avait pas tamponné le passeport de ces voyageurs. Un autre reportage diffusé sur la chaîne privée MBC (dirigée par un membre de la famille royale), visant à mettre fin à la polémique, a mis en scène un habitant de la province présenté comme le premier patient guéri du Covid-19 : il remercie les autorités, explique qu’il a bien été traité, et affirme que sa famille a été placée dans un “hôtel 5 étoiles” le temps du confinement.
Des mesures exceptionnelles
La reprise en main de l’information passe aussi par l’instauration de mesures exceptionnelles, dont le bien fondé n’est pas avéré dans une période où l’accès à l’information sur l’épidémie devient essentiel. Ainsi, en Jordanie, l’une des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence a été de suspendre l’impression des journaux papier, désormais considérés comme des vecteurs potentiels du virus.
En Israël, le Premier ministre a ordonné aux services de renseignements d’espionner le téléphone des personnes atteintes du virus pour suivre en temps réel leurs déplacements et leurs interactions. Ce dispositif mobilise des outils habituellement utilisés pour la lutte antiterroriste. Or, les journalistes amenés à se déplacer pour faire des interviews et récolter des informations, seront soumis à cette géolocalisation. Le syndicat des journalistes a transmis une pétition à la Cour suprême pour que la profession en soit exemptée mais, à ce jour, il n’a pas reçu de réponse.
Au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF, les pays du Moyen-Orient occupent des rangs allant de la 88e place pour Israël à la 174e place pour la Syrie.