Le mois d’avril en Europe et en Asie centrale: un tour d’horizon des principales nouvelles de la libre expression, réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l’IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Sans surprise, la pandémie de COVID-19 a continué de dominer les nouvelles et les discussions sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en avril. Le mois a connu plusieurs cas de journalistes ciblés pour leurs couvertures de la crise et d’autres exemples d’autorités exploitant le virus pour taire les critiques.
« Déclarations inquiétantes excessives et timides »
Le vote parlementaire du mois dernier en Hongrie, qui a conféré au Premier ministre Orbán le pouvoir de gouverner par décret (officiellement pour mieux faire face à la menace posée par le COVID-19) a suscité la colère et la consternation dans toute l’Europe et ailleurs. Le parti au pouvoir Fidesz a déjà mis un frein à la société civile et à la liberté académique, politisé les tribunaux et presque détruit les médias indépendants. Tout ceci sans les pouvoirs extraordinaires inclus dans la nouvelle législation d’urgence.
Les activistes et d’autres personnes sont de plus en plus préoccupés par la réponse de l’UE aux événements en Hongrie. Le directeur général de Human Rights Watch, Kenneth Roth, a récemment publié un article très formulé dans lequel il critique la réponse de l’UE en la traitant de « déclarations inquiétantes excessives et timides », affirmant que celle-ci (UE) « a cessé d’être un bloc d’Etats exclusivement démocratiques ».
Il est difficile de ne pas donner raison à Roth lorsqu’il écrit:
« Une réponse plus forte était possible. Les dirigeants européens auraient pu annoncer qu’ils accéléreraient le processus de l’article 7 et exigeraient la suspension du droit de vote de la Hongrie sur les questions européennes; qu’ils reviendraient sur les généreuses subventions de l’UE que, comme le soulignent aussi bien les enquêtes des médias que des régulateurs depuis un certain temps, Orbán utilise pour remplir les poches de ses amis; et qu’ils isolerait politiquement Orbán et ses ministres à chaque occasion – jusqu’à la fin de la dictature hongroise.
Il y a quelques semaines, l’Union européenne a subi un changement fondamental: elle a cessé d’être un bloc d’États exclusivement démocratiques.
Pire encore, les dirigeants européens ont à peine reculé.
Ils ont abandonné le peuple hongrois.
Qui est le suivant? https://bit.ly/3cxIFrY
Ce mois-ci, l’Union hongroise des libertés civiles (HCLU-Hungarian Civil Liberties Union) a publié un rapport sur les entraves des autorités au journalisme indépendant pendant la pandémie. Parmi les conclusions du rapport figurent: les informations publiques sur le virus sont strictement contrôlées par les autorités qui ne communiquent pas de manière significative avec la presse; les sources régulières d’information – telles que les travailleurs de la santé – hésitent à parler à la presse par crainte de représailles de la part des autorités; et les journalistes s’inquiètent de la criminalisation des informations « alarmistes ».
Risquer délibérément la vie des critiques
En Turquie, les législateurs ont voté la libération d’environ 90 mille prisonniers afin de ralentir la propagation du COVID-19 dans le système pénitentiaire. Toutefois, les prisonniers politiques – généralement détenus pour des accusations fallacieuses liées au terrorisme et comprenant des journalistes, des avocats et des militants des droits de la personne – n’ont pas été inclus. Les membres de l’IFEX et d’autres ont demandé que ces derniers soient inclus parmi les personnes à libérer.
Le rapporteur permanent du Parlement européen (PE) sur la Turquie et le président de la délégation du PE à la commission parlementaire mixte UE-Turquie ont fermement condamné la décision des législateurs turcs, déclarant que « les partis au pouvoir turcs ont décidé d’exposer délibérément la vie de ceux qu’ils considèrent comme des opposants politiques au risque du mortel du COVID-19. »
Les rapporteurs de l’Assemblée parlementaire pour le Conseil de l’Europe (APCE) ont également exprimé leurs préoccupations concernant « l’approche discriminatoire » de la Turquie et ont appelé à la libération des prisonniers détenus pour des motifs politiques.
À la mi-avril, la Turquie a confirmé que trois prisonniers étaient morts de COVID-19.
Expression Interrupted@ExInt24
Le Parlement vient juste d’adopter un projet de loi pour la libération anticipée d’environ 90 000 détenus des prisons surpeuplées, désormais menacées de #COVID19.
Malgré les appels des groupes de défense des droits et des partis d’opposition, la loi exclut les journalistes, les politiciens et autres personnes accusées ou condamnées de « terrorisme ». https://twitter.com/ExInt24/status/1249819112819363842 …
Presse et ONG: les nouvelles cibles du gouvernement
Les membres de l’IFEX ont appelé la vice-présidente Věra Jourová et le commissaire Didier Reynders de la Commission européenne à garantir la sécurité du journaliste d’investigation Blaž Zgaga en Slovénie. Zgaga a été la cible d’une campagne de harcèlement lancée par des responsables de l’État, depuis qu’il a demandé aux autorités des informations sur leur stratégie de lutte contre le COVID-19. Les partisans du gouvernement de droite ont poursuivi le harcèlement et Zgaga a également reçu des menaces de mort.
Les médias libres et indépendants sont essentiels pour les démocraties, les valeurs [de l’UE]: leur travail est de demander des comptes à nous les politiciens. La protection et la sécurité des journalistes devraient être une priorité pour chaque pays. Pas de haine, pas de menaces, pas d’attaques personnelles. Contact pris avec [Slovénie] pour discuter de la situation. https://twitter.com/IFEX/status/1253225866332712960 …
Des groupes de défense des droits interpellent la Commission européenne après que des responsables slovènes ont lancé une vague de menaces et de harcèlement visant le journaliste
@blaz_zgaga http://ow.ly/k8SV30qzxYK @pen_int @article19europe @SEENPM_org
Ce ne sont pas seulement les journalistes qui sont visés par le parti au pouvoir en Slovénie. Les ONG sont maintenant dans le collimateur après que le gouvernement a annoncé qu’il réduirait le financement des organisations de la société civile, dans le but ostensible d’utiliser cet argent pour financer la lutte contre le COVID-19. Cependant, comme le montre cet article sur le site Web du South East European Network for Professionalization of Media (Réseau sud-est européen de professionnalisation des médias), les ONG confrontées à des coupes budgétaires sont celles qui effectuent des travaux qui ne cadrent pas avec l’agenda du gouvernement, tels que l’assistance aux demandeurs d’asile.
Législation draconienne et menaces
En Russie, le président Poutine a promulgué une loi qui impose des sanctions extrêmement sévères aux organes de presse et aux journalistes supposés diffuser des « informations sciemment fausses » sur les événements mettant en danger la sécurité publique et la réponse du gouvernement à ces événements. Les groupes de médias seront passibles d’amendes allant de 62 000 à 124 000 euros [67 000 USD à 134 000 USD]; les individus seront passibles d’amendes équivalentes à leur revenu total au cours des 18 derniers mois et de peines de prison allant jusqu’à quatre ans.
Le leader voyou de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, a menacé la journaliste de Novaya Gazeta Elena Milashina après qu’elle a publié un article disant que les Tchétchènes en confinement avaient cessé de signaler les symptômes du COVID-19 parce qu’ils craignaient d’être étiquetés « terroristes ». (Fin mars, Kadyrov a créé un groupe de travail pour freiner la propagation du virus, faisant valoir que les personnes qui violaient le confinement étaient pires que les terroristes.) L’EU a appelé les autorités russes à condamner et à enquêter sur les menaces de Kadyrov contre Milashina. Il est peu probable qu’ils l’écoutent: le régulateur des médias russe Roskomnadzor a ordonné à Novaya Gazeta de retirer l’article de Milashina de son site Internet le 15 avril, affirmant qu’il contenait des informations « inexactes » qui pourraient se révéler dangereuses.
Le controversé décret COVID-19 retiré
En Serbie, le gouvernement a retiré un décret très controversé qui limitait la publication d’informations sur le COVID-19 à des sources officielles. Cela fait suite aux critiques du Représentant de l’OSCE pour la liberté des médias et à l’arrestation, le 1er avril, de la journaliste Ana Lalić. Celle-ci a été arrêtée pour « propagation de la panique et de troubles » après qu’elle a publié un article dans lequel elle citait un médecin disant que de nombreux membres du personnel hospitalier avaient été infectés par COVID-19 en raison d’un manque d’équipement de protection. Lalić a été détenue pendant 48 heures puis relâchée; selon les rapports, les accusations n’ont pas été abandonnées.
Projecteurs sur le genre
En Pologne, les législateurs ont voté des projets de loi qui interdiraient virtuellement l’avortement et criminaliseraient l’éducation sexuelle. Plutôt que de les rejeter ou de les renvoyer pour une deuxième lecture, ils les ont renvoyés à l’étape de la commission parlementaire en vue de poursuivre leurs travaux. Le parti au pouvoir Law and Justice Party (PiS), réputé pro « valeurs traditionnelles » et anti « idéologie de genre », a fait de nombreuses tentatives pour faire reculer les droits de la reproduction en Pologne. En raison des restrictions imposées sur les réunions publiques à cause du COVID-19, les groupes de femmes ont transposé en ligne leurs manifestations avant le vote.
La société civile de #Pologne a farouchement relevé le défi d’être forcée de transposer son activisme en ligne. #Solidarity #ProtestAtHome #CzarnyProstest https://twitter.com/FrontLineHRD/status/1250487769861931010 …
Le 31 mars – Journée internationale de visibilité des transgenres – le gouvernement hongrois a soumis au Parlement un projet de loi qui, s’il était adopté, empêcherait les personnes transgenres de changer légalement de sexe. Le projet de loi stipule que le sexe à la naissance désignera le sexe légal et qu’une fois enregistré, il ne pourra jamais être modifié. L’Intergroupe LGBTI du Parlement européen a condamné le projet de loi, déclarant que « Cette décision ne fait pas seulement taire intentionnellement la communauté trans – elle cherche à l’effacer et à nier son existence ».
Les arrestations font suite aux critiques de la réponse de COVID-19
Human Rights Watch (HRW) rapporte que les autorités azerbaïdjanaises exploitent les restrictions mises en place pour réduire et ralentir la propagation du COVID-19 pour cibler les militants de l’opposition et les journalistes. Au moins sept voix de l’opposition ont été condamnées de dix à trente jours de détention pour des accusations fallacieuses, notamment pour avoir enfreint les règles de verrouillage ou avoir désobéi aux ordres de la police. HRW note que « presque toutes les personnes arrêtées avaient critiqué les conditions de détention dans les centres de confinement gérés par le gouvernement ou l’incapacité du gouvernement à fournir une compensation adéquate aux personnes aux prises avec les conséquences financières de la pandémie ».
Institute for Reporters’ Freedom and Safety (Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes) a publié une déclaration appelant les autorités azerbaïdjanaises de mettre fin à leurs attaques contre l’opposition et les médias indépendants et de « libérer immédiatement de prison tous les prisonniers politiques et d’opinion (plus de 120), car leur santé et leur vie sont menacées en raison d’une éventuelle infection au COVID-19 ».
Le COVID-19 n’est pas une blague
En réponse à l’utilisation croissante du Code pénal espagnol contre les personnes qui partagent et créent de fausses informations et des blagues sur le COVID-19 sur les réseaux sociaux, ARTICLE 19 a appelé les forces de l’ordre à « s’abstenir de recourir à des poursuites pénales et à d’autres mesures coercitives comme principaux moyens de lutter contre les informations prétendument fausses ou préjudiciables en ligne ». Le 9 avril, la police a arrêté un homme accusé d’incitation à la haine pour une blague qu’il a publiée sur Twitter, dans laquelle il affirmait avoir répandu COVID-19 à des milliers de personnes lors d’un voyage entre Madrid et Torrevieja.
Bonne nouvelle en bref
Le 6 avril en Slovaquie, l’ancien soldat Miroslav Marček a été condamné à 23 ans de prison pour les meurtres, en 2018, du journaliste Ján Kuciak et de sa fiancée, Martina Kušnírová. Marček est la deuxième personne à être condamnée pour ces meurtres.