Au moins 432 personnes, dont cinq journalistes, ont perdu la vie dans la répression des manifestations.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 9 août 2024.
Alors que l’économiste Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix en 2006, a atterri à Dacca jeudi 8 août pour former un gouvernement d’intérim, le Bangladesh demeure en proie à des manifestations violentes où les journalistes sont pris pour cibles. Cinq d’entre eux ont perdu la vie et les locaux d’au moins neuf chaînes de télévision ont été saccagés depuis début juillet. Reporters sans frontières (RSF) appelle le futur gouvernement à faire de la sécurité des professionnels des médias une priorité.
À peine atterri à Dacca, la capitale du Bangladesh, Muhammad Yunus fait face à l’urgence. L’économiste, prix Nobel de la paix en 2006, doit former un gouvernement d’intérim et sortir le pays du chaos ouvert par la démission, le 5 août, de la Première ministre Sheikh Hasina à la suite des manifestations contre son gouvernement. Parmi les priorités qui attendent les autorités intérimaires : protéger la presse après les violences perpétrées contre les journalistes au cours de la répression meurtrière – plus de 400 morts – des manifestations, initiées début juillet par les étudiants pour protester contre le système de quotas dans la fonction publique. Dénoncées par RSF, les violences commises contre les professionnels des médias ont causé la mort de cinq d’entre eux. Plus de 250 journalistes ont été blessés selon les médias locaux, dont une dizaine grièvement, lors d’attaques directes ou contre leur média : les locaux d’au moins neuf chaînes de télévision ont été saccagés, selon nos informations.
« RSF dénonce la répression qui a spécifiquement visé les journalistes dans les manifestations. Selon nos informations, la police et les partisans de l’ex-Première ministre Sheikh Hasina seraient largement responsables de ces violences contre des professionnels des médias, qui ont, dans certains cas, causé leur mort. Ces attaques doivent cesser ! Tout comme les représailles perpétrées par des manifestants contre des médias supposément affiliés à l’ex-Première ministre. Le rôle des journalistes est plus que jamais essentiel au cours de cette période déterminante pour l’avenir du pays. RSF appelle le gouvernement d’intérim à protéger les journalistes et à engager des procédures contre les auteurs des violences. »
Bureau Asie du Sud de RSF
Au moins 432 personnes, dont cinq journalistes, ont perdu la vie dans la répression des manifestations selon une estimation de l’AFP. Dimanche 4 août, Pradip Kumar Bhowmik, le correspondant du quotidien Khoborpatra dans la région de Sirajganj, a été le dernier journaliste à perdre la vie dans les manifestations en cours. Il a été tué lors d’affrontements dans l’enceinte du club de presse de la ville de Raiganj, au nord du pays. Avant lui, Mehedi Hasan, journaliste du site d’information Dhaka Times, a succombé après avoir reçu une balle dans la tête le 18 juillet alors qu’il couvrait des heurts entre manifestants et forces de l’ordre dans un quartier du sud de la capitale. Le même jour, Shakil Hossain, employé du quotidien Bhorer Awaj, a été tué en reportage dans la ville de Gazipur, au nord de Dacca. Le 19 juillet, Abu Taher Md Turab, correspondant des journaux Daily Naya Diganta et Daily Jalalabad, est mort sous les balles de la police dans la ville de Sylhet, et Tahir Zaman Priyo, vidéojournaliste pour le site TheReport.live, a été tué par les forces de l’ordre au sein d’un cortège dans la capitale.
Visés car journalistes
Dans le déferlement de violences commises principalement dans les affrontements entre policiers et manifestants, plusieurs locaux de télévision ont été ciblés par des manifestants anti-gouvernement. Les 5 et 6 août, au moins neuf chaînes privées ont vu leurs sièges saccagés, parfois incendiés, au point d’être contraintes d’interrompre leurs programmes. Motif supposé de ces violences, les stations visées, Ekattor TV, Somoy TV, Independent Television, My TV, Bijoy TV, DBC News, ATN News, ATN Bangla et Gaan Bangla, auraient soutenu le pouvoir de l’ex-Première ministre et de son parti, la Ligue Awami.
Une journaliste de l’une de ces chaînes a dû quitter son domicile pour fuir des menaces de mort, a-t-elle témoigné auprès de RSF par messagerie cryptée depuis un lieu tenu secret. Son nom figure sur une “wanted list”, une liste de personnes recherchées rendue publique par des militants islamistes déchaînés après des années de marginalisation par la Ligue Awami de Sheikh Hasina.
Quinze années de règne autocratique de l’ex-Première ministre laissent aujourd’hui un héritage très sombre en matière de liberté de la presse. Alors que la part de la population ayant accès à Internet a explosé en une décennie, passant de 4,5 % en 2011 à 38,9 % en 2021 selon la Banque mondiale, le pouvoir s’est doté en janvier d’une loi draconienne sur la cybersécurité, muselant les journalistes en ligne. En 2021, Sheikh Hasina avait déjà été listée par RSF parmi les 37 prédateurs de la liberté de la presse.
Entre 2023 et 2024, le Bangladesh a chuté de la 163e à la 165e place, sur 180 pays, au Classement RSF de la liberté de la presse.