Juin 2024 en Afrique : tour d'horizon de la liberté d'expression et de l'espace civique, réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Tout d’abord, une bonne nouvelle. Une décision historique rendue par la Haute Cour de Namibie le 21 juin, déclarant inconstitutionnelles deux lois de l’ère coloniale, a marqué un moment charnière pour la communauté LGBTQI+ du pays. Comme l’explique The Jurist : « La Haute Cour a déclaré que les dispositions de la loi sur la procédure pénale et de la loi sur la défense criminalisant les actes sexuels consensuels entre hommes constituaient une discrimination injuste. Le tribunal a noté que les comportements sexuels similaires entre hommes et femmes, ainsi qu’entre femmes, n’étaient pas criminalisés ».
[ Traduction : La Haute Cour de Namibie a annulé les lois qui criminalisaient l’intimité entre personnes de même sexe le 21 juin – un énorme pas en avant pour les droits LGBTQI et pour les Namibiens comme Friedel Dausab, un homosexuel qui a porté plainte et a été soutenu par le bénéficiaire de notre subvention @HumanDignityT ]
La procédure initiée par le militant LGBTQI+ namibien Friedel Dausab en juin 2022 contestait la constitutionnalité des lois du pays. Il a également demandé au tribunal d’annuler toutes les condamnations antérieures, rapporte Amnesty International. « Dausab… . . a soutenu que les lois violaient ses droits constitutionnels à l’égalité, à la dignité, à la vie privée, à la liberté d’expression et à la liberté d’association, en raison de son orientation sexuelle. »
[ Traduction : Dans une semaine, la Haute Cour rendra son verdict sur la question de savoir si la loi sur la sodomie datant de l’apartheid est constitutionnelle et a sa place dans une Namibie libre de naissance. Les plaideurs comme Friedel Dausab sont les combattants de la liberté de ma génération. Quel moment pour être en vie et voir l’égalité sonner vraie]
Le Namibia Media Trust a qualifié la décision de « courageuse et juste », et l’organisation de défense des droits Out and Proud a applaudi « cette décision historique qui souligne l’obligation de l’État de protéger les droits de tous ses citoyens ». Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a noté que « la dépénalisation des relations homosexuelles favorise une société plus inclusive et plus tolérante, contribuant à la réalisation des objectifs de développement durable et soutenant l’engagement de la Namibie à ne laisser personne de côté dans son programme de développement ».
Cependant, la victoire s’est heurtée à des résistances, principalement motivées par les chefs religieux.
Le mouvement anti-gay Stop à l’homosexualité et au mariage homosexuel en Namibie (Hossamina) a réitéré sa demande de destitution ou de démission volontaire de la ministre de la Justice Yvonne Dausab et organise une grande manifestation le 12 août.
Le premier appel à la démission de la ministre est intervenu après la décision de la Cour suprême de mai 2023 reconnaissant les unions homosexuelles pratiquées à l’étranger. En juin 2023, le parlement namibien a adopté deux projets de loi restreignant les droits de la communauté LGBTQI+. En définissant le mariage comme l’union, exclusivement, d’un homme et d’une femme, ces lois établissent des discriminations envers les personnes LGTBQI et sont allées encore plus loin en criminalisant tout soutien, célébration et promotion des unions homosexuelles en imposant des amendes et des sanctions pouvant aller jusqu’à six ans de prison.
Amnesty International a également recensés des incidents alarmants de cyberattaques violentes, une recrudescence du harcèlement en ligne contre les personnes LGBTQI+, ainsi que des attaques fréquentes et des désignations de boucs émissaires de la part des politiciens à l’approche des élections de novembre 2024.
Manifestations et répressions meurtrières au Kenya
Le 24 juin, rapporte Foreign Policy, « environ deux douzaines de personnes ont été assassinées, certaines devant le parlement kenyan et d’autres dans les bidonvilles de Nairobi. Elles ont été tuées par les forces de sécurité du pays pour avoir exercé leurs droits humains à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
La journée fut le point culminant d’une semaine de violence au cours de laquelle de jeunes manifestants opposés aux nouvelles taxes et aux excès du gouvernement ont été enlevés, arrêtés, battus, abattus et aspergés de gaz lacrymogènes. Une semaine au cours de laquelle les jeunes manifestants ont été victimes d’enlèvements, de détentions, d’agressions, de coups de feu et d’exposition aux gaz lacrymogènes.
Même le retrait du projet de loi de finances controversé et très impopulaire par le président kenyan William Ruto est une mesure considérée comme insignifiante et arrivée trop tard, et la répression policière brutale contre la dissidence à l’échelle nationale n’a pas fait grand-chose pour dissuader les manifestants. Après avoir réussi à stopper la hausse des impôts à hauteur de 2.7 milliards de dollars, les jeunes militants exigent la démission de Ruto.
[ Traduction : Des manifestations monstres au Kenya, en direct
#RejectFinanceBill2024 #REJECTFINANCEBILL2024 ]
Ce qui a commencé comme une contestation contre le projet de loi de finances le 25 juin s’est étendu et s’est transformé en une révolte contre les problèmes sous-jacents. Ceux-ci incluent : la longue histoire de mépris du gouvernement pour les vies des Kenyans, l’impunité de la répression policière, l’incapacité à lutter contre la violence sexiste, l’inadéquation de la réponse aux urgences nationales et la manipulation politique des divisions ethniques. L’avidité perçue et la corruption incontrôlée au sein de la classe politique, associées à la frustration suscitée par la mauvaise gestion des fonds publics et le manque de redevabilité, aggravent encore la situation.
En termes d’impact, comme le souligne The Conversation : « Bien qu’un changement radical soit peu probable, les perspectives de troubles généralisés pourraient contraindre les dirigeants politiques à être plus à l’écoute de l’intérêt public, un changement qui pourrait éventuellement conduire à des politiques économiques plus inclusives. »
La libération sous caution refusée aux membres d’un parti d’opposition au Zimbabwe
Les tribunaux ont refusé d’accorder la libération sous caution à 78 membres de la Coalition citoyenne pour le changement, dont le chef du parti, Jameson Timba. Devant le tribunal, la police a agressé des manifestants qui protestaient contre le refus de libération sous caution des 78 militants détenus depuis la mi-juin.
Khanyo Farisè, directeur régional adjoint d’Amnesty International (AI) pour l’Afrique orientale et australe (ESARO), observe que : « l’arrestation et le maintien en détention arbitraire des membres de l’opposition qui s’étaient rassemblés pacifiquement dans une résidence privée font partie d’un schéma inquiétant de répression contre les personnes exerçant leurs droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression ».
[ Traduction : La libération sous caution est un droit constitutionnel. Nous considérons le refus de libération sous caution des militants du #Avondale78 CCC comme politiquement motivé et injuste. Nous sommes solidaires avec eux et demandons leur libération. ]
Les #Avondale78, comme on les appelle, ont été arrêtés et accusés d’incitation à la violence publique alors qu’ils commémoraient la Journée internationale de l’enfant africain à la résidence de Jameson Timba. Les autorités les ont détenus pendant une période dépassant la durée légale de 48 heures, sans tenir d’audience au tribunal. Le groupe comprenait une mère qui allaite et un mineur – un jeune de 17 ans – qui a depuis été remis à la garde de ses parents.
Dans son blog, intitulé Visible Scars of Torture, l’auteure zimbabwéenne Cathy Buckle a détaillé les séquences vidéo troublantes de détenus entrant dans le tribunal de première instance de Harare. L’enregistrement montre les détenus, dont plusieurs jeunes femmes blessées qui ont du mal à marcher, sous une forte surveillance policière. Les journalistes ont noté des signes de torture et les avocats ont indiqué que plusieurs détenus avaient besoin de soins médicaux. Une femme, qui s’était cassé la jambe après avoir été violemment agressée, a dû être conduite au tribunal par l’un de ses collègues.
La liberté de la presse restreinte en Éthiopie
La récente libération des journalistes éthiopiens Belay Manaye, Bekalu Alamirew et Tewodros Zerfu représente un léger répit dans la répression actuelle de la société civile. Toutefois, les tentatives visant à faire taire les voix dissidentes se poursuivent, marquées par des attaques persistantes contre les médias indépendants. Au cours des dernières années, l’espace réservé aux activités civiques et au respect des droits humains, y compris les libertés d’expression et d’association, a été considérablement compromis en Éthiopie.
[ Traduction : Au moins quatre autres journalistes restent derrière les barreaux en #Ethiopie, détenus pour ce qui est leur travail. Ils devraient être libérés sans condition.
L’emprisonnement de journalistes est le symptôme d’une répression prolongée en #Ethiopie qui a poussé de nombreux journalistes à l’exil, comme l’a rapporté le CPJ cette semaine. ]
Manaye et Alamirew, respectivement fondateurs d’Ethio News et d’Alpha TV, ainsi que Zerfu, présentateur de Yegna TV et Menelik TV, ont été internés au camp militaire d’Awash Arba avant leur libération. Reporters sans frontières (RSF) continue de plaider pour la libération de cinq autres journalistes, tous arrêtés en 2023. Genet Asmamaw de Yegna Media, Meskerem Abera d’Ethio Nikat Media et Dawit Begashaw d’Arat Kilowere ont tous été arrêtés en avril. Abay Zewdu, qui dirige l’Amhara Media Center sur YouTube, a été arrêté en août. De plus, Gobeze Sisay, fondateur de The Voice of Amhara sur YouTube, a été extradé de Djibouti et placé en détention en mai.
Ethiopian Press Freedom Defenders, un collectif de professionnels des médias éthiopiens, « a déterminé que plus de deux cents professionnels des médias éthiopiens ont subi une incarcération injuste depuis 2019 ». Ceci est soutenu par Human Rights Watch, qui note que « les tentatives visant à faire taire la société civile se sont accompagnées d’attaques continues contre les médias indépendants et les voix dissidentes ».
Les menaces s’intensifient au Mozambique à l’approche des élections
Au cours des dernières années, des inquiétudes ont été exprimées face à l’escalade des intimidations et des violences contre les journalistes au Mozambique. Alors que le pays se dirige vers les élections, le secteur des médias est confronté à un environnement de plus en plus hostile marqué par des menaces, du harcèlement et des agressions, en particulier contre ceux qui couvrent les événements liés aux élections.
De récents incidents signalés par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) mettent en lumière plusieurs violations, notamment le cas de Sheila Wilson, journaliste du Centre pour la démocratie et les droits humains, qui a été arrêtée alors qu’elle couvrait une manifestation à Maputo et détenue au secret pendant six heures. De plus, les journalistes de STV Laves Macatane et Helder Matwassa ont été agressés et privés de leur caméra lors du même événement, malgré une présence policière importante. Au cours d’un incident sans rapport, début mars, le journaliste de STV Jorge Marcos et le caméraman Verson Paulo ont été agressés par des agents de sécurité privés dans la province de Zambézia.
Muthoki Mumo, coordinateur du programme Afrique du CPJ, a condamné le manque de protection policière des journalistes et a appelé à des enquêtes sur ces incidents. Les autorités mozambicaines sont invitées à prendre ces menaces au sérieux et à garantir la sécurité et la protection des journalistes alors qu’ils jouent leur rôle crucial dans la couverture des élections.
Des journalistes ouest-africains emprisonnés pour avoir fait leur travail
Les journalistes du Burkina Faso font face à une répression sévère, comme en témoigne l’enlèvement d’Atiana Serge Oulon, rédacteur en chef de L’Évènement, le 24 juin.
Son enlèvement par des agresseurs non identifiés et la demande ultérieure de ses appareils électroniques par des individus prétendant appartenir au services du Renseignement ont suscité l’inquiétude quant à la liberté de la presse dans le pays. La localisation actuelle d’Oulon reste inconnue. Cet incident fait suite à une suspension d’un mois imposée à L’Évènement par le Conseil supérieur de la communication (CSC) en raison d’un article sur des malversations présumées au sein de l’armée.
[ Traduction : Liberté pour Atiana Serge Oulon La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) @themfwa exprime sa profonde indignation face à l’enlèvement du journaliste Atiana Serge Oulon le 24 juin 2024, à Ouagadougou. M. Oulon, le rédacteur en chef de L’@jlevenement, a été emmené de chez lui à l’aube… ]
De plus, le chroniqueur Kalifara Séré a disparu après avoir été convoqué pour un interrogatoire, ce qui renforce encore les inquiétudes quant à la sécurité des journalistes. Le régulateur a également ciblé Lefaso.net pour désinformation présumée et incapacité à modérer les commentaires des utilisateurs, tandis que TV5 Monde-Afrique risque une suspension de six-mois pour une prétendue désinformation.
Le journaliste malien Yeri Bocoum, directeur de la page d’information Facebook YBC-Communication, est porté disparu depuis le 8 juin. Sa disparition fait suite à sa couverture d’une manifestation de l’opposition interdite et d’un incident qu’il a signalé impliquant des « individus malveillants » à moto. Bien que sa famille ait signalé l’affaire aux autorités locales, aucune information n’était disponible sur son sort au 27 juin.
Le cas de Bocoum est particulièrement préoccupant, compte tenu des tensions politiques au Mali, où le gouvernement de transition a interdit les activités des partis politiques et où le régulateur des médias a mis en garde contre la couverture de tels événements. Bien que la Haute Autorité de la Communication (HAC) ait déclaré que le travail de Bocoum ne relevait pas de sa compétence, Radio France Internationale (RFI) a signalé qu’il pourrait être arrêté par les services de sécurité de l’État. Le CPJ a demandé une enquête urgente sur sa disparition, soulignant la menace qu’elle représente pour la liberté de la presse dans le pays.
[ Traduction : #Mali:: Le journaliste Yeri Bocoum est porté disparu depuis le 8 juin, un jour après avoir couvert une manifestation interdite. Le CPJ appelle les autorités à enquêter de toute urgence sur sa disparition. ]
Les médias en Guinée sont confrontés à une répression croissante, selon des informations de la Fondation des Médias d’Afrique de l’Ouest (MFWA) faisant état de journalistes arbitrairement détenus, intimidés et censurés par les forces de sécurité. Le régulateur des médias du pays a notamment suspendu Mamadou Taslima Diallo alias Williams Campbell, l’animateur de Star en ligne. Par ailleurs, la HAC a imposé des mesures de censure sévères, suspendant le site d’information www.depecheguinee.com et son rédacteur en chef, Abdoul Latif Diallo. Ces actions, ainsi que le blocage du site Internet de Mosaïque Guinéeet l’expulsion du journaliste français Thomas Dietrich, témoignent des restrictions croissantes imposées à la liberté de la presse.
Le Niger a rétabli les peines de prison pour diffamation, insultes et désinformation, justifiant cette décision comme visant à équilibrer la liberté d’expression avec la protection des droits individuels et le maintien de l’ordre public. Cette décision annule l’amendement du gouvernement précédent de 2022 qui remplaçait les peines de prison par des amendes et souligne la régression de la liberté de la presse depuis le coup d’État de juillet 2023. Les journalistes sont confrontés à de graves intimidations et nombre d’entre eux refusent de s’exprimer par crainte de l’exil ou de l’emprisonnement. MFWA exprime sa profonde préoccupation face à ces développements, rappelant l’enlèvement de Samira Sabou et la détention de Soumma Maïga et Ousmane Toudu.
En bref
La Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (Collaboration sur la politique internationale des TIC pour l’Afrique orientale et australe – CIPESA) est appelée à jouer un rôle central en réunissant les parties prenantes africaines autour de la gouvernance de l’Internet, en mettant l’accent sur la contribution vitale d’une société civile instruite et active au développement durable. Grâce au projet Civil Society Alliances for Digital Empowerment (CADE), lancé à Genève le 31 mai, la CIPESA facilitera l’autonomisation des organisations de la société civile (OSC), leur permettant d’exercer une plus grande influence dans le domaine de l’élaboration des politiques numériques et de la gouvernance internationale.
Un article sur des allégations de corruption au parlement ougandais a conduit à l’arrestation des journalistes Dickson Mubiru et Alirabaki Ssengooba. De manière inattendue, les charges contre eux sont passées de la diffamation à l’exploitation d’une publication en ligne sans licence. Ces arrestations s’inscrivent dans le contexte de la campagne contre la corruption du président, qui a récemment abouti à l’arrestation de plusieurs députés. Le directeur exécutif du Réseau des droits de l’homme pour les journalistes-Ouganda (HRNJ-Ouganda), Robert Ssempala, a déclaré : « les journalistes doivent être protégés et non persécutés pour avoir exercé leur liberté d’expression et demandé des comptes à ceux qui sont au pouvoir ».