Plusieurs gardes de parc et activistes ont été détenus de façon arbitraire par les autorités, et menacés ou agressés par des personnes non identifiées après avoir critiqué des projets d’exploration pétrolière dans le parc des Virunga, patrimoine mondial de l’UNESCO.
Les autorités de la République démocratique du Congo devraient mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les menaces et les violences à l’encontre des gardes de parc travaillant dans le parc national des Virunga ainsi que d’activistes locaux, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement devrait examiner si les incidents sont liés aux projets concernant l’éventuelle exploration pétrolière à l’intérieur et à proximité du parc des Virunga par SOCO International, une compagnie pétrolière britannique opérant dans l’est de la RD Congo.
Plusieurs gardes de parc et activistes ont été détenus de façon arbitraire par les autorités, et menacés ou agressés par des personnes non identifiées après avoir critiqué des projets d’exploration pétrolière dans le parc des Virunga, patrimoine mondial de l’UNESCO qui abrite un grand nombre des derniers gorilles de montagnes. Le 15 avril 2014, des hommes armés ont tiré sur le directeur du parc, Emmanuel de Mérode, un ressortissant belge, et l’ont gravement blessé. Des représentants de la justice militaire et de la police congolaises ont ouvert une enquête sur l’attaque.
« L’attaque à l’encontre du directeur du parc national rappelle de façon douloureuse et choquante que les personnes qui travaillent à la protection du parc le plus ancien d’Afrique – son habitat, sa faune et ses communautés locales – le font au prix de risques énormes », a déploré Ida Sawyer, chercheuse senior sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Les autorités congolaises doivent faire en sorte que les responsables de cette attaque et d’autres soient arrêtés et poursuivis en justice. »
Le procureur fédéral belge devrait également envisager d’ouvrir une enquête sur l’attaque du fait que de Mérode est un ressortissant belge. Les autorités judiciaires belges et congolaises pourraient travailler ensemble afin de renforcer l’enquête.
De Mérode et d’autres gardes de parc, des activistes et des membres de la communauté locale critiquent depuis longtemps la proposition de l’exploration et l’exploitation du pétrole dans le parc, dont ils pensent qu’elles auront un impact négatif sur le parc, sa faune et les communautés locales. En 2006, SOCO International a signé un contrat de partage de production avec le gouvernement congolais pour effectuer des explorations de pétrole à l’intérieur et à proximité du parc des Virunga. En octobre 2011, SOCO a reçu un permis pour effectuer des explorations de pétrole à Block V, une vaste région située dans l’est de la RD Congo, dont 52 pour cent se trouve dans le parc des Virunga, près de l’habitat des gorilles en voie d’extinction.
De Mérode et d’autres gardes de parc ont affirmé que les activités de SOCO dans le parc enfreignent le droit congolais et international, qu’en tant qu’agents du gouvernement, les gardes de parc ont, selon eux, le devoir de faire respecter. D’autres autorités gouvernementales à Kinshasa et dans l’est du Congo soutiennent les projets de SOCO, du fait des importants gains financiers potentiels qu’apporterait le pétrole.
La compagnie SOCO a nié tout rôle dans les menaces, les actes de violence, ou le recours à des paiements illicites ou « pots-de-vin », mais a affirmé qu’elle examinera les allégations de corruption de ce type, et condamné l’usage de la violence et de l’intimidation.
La semaine suivant l’attaque qui a visé de Mérode, au moins trois défenseurs des droits humains et de l’environnement ont reçu des menaces par messages texto (SMS) provenant de numéros non identifiés, a indiqué Human Rights Watch. L’un des messages disait (en utilisant quelques abréviations) : « Tu joues avec le feu [nom de l’activiste], tu vas te brûler ta deuxième jambe, c’est inutile de changer de voiture car nous connaissons toutes les voitures et nous sommes partout où vous passez avec votre équipe. Ne croyez pas que si nous avons raté votre directeur qu’on peut vous rater aussi. » Un autre message disait : « Vous pensez qu’en écrivant vous nous empêcherez d’extraire le pétrole. Vous allez mourir pour rien comme de Mérode. »
Le 3 mai 2014, un défenseur de l’environnement à Goma a reçu trois appels provenant d’un numéro inconnu. La personne qui appelait a menacé le défenseur, disant qu’ils « voulaient la tête » d’un membre du personnel de l’organisation qui, selon l’interlocuteur, avait « médit » leurs intérêts. Cet interlocuteur a dit : « Nous n’avons pas réussi à avoir de Mérode, mais nous aurons [nom de l’employé]. » Ils ont affirmé à l’employé que s’il parlait de ces appels à quiconque, on « s’occuperait de lui. »
« Les gardes de parc et les activistes devraient pouvoir s’opposer à l’exploration pétrolière dans le parc des Virunga sans risquer leur vie », a déclaré Ida Sawyer. « Les autorités congolaises doivent prendre des mesures immédiates pour assurer un environnement sûr aux personnes qui cherchent à faire respecter la loi, protègent le parc et expriment leurs opinions de façon pacifique. »
Des victimes d’exactions et des témoins de ces incidents soutiennent que des agents gouvernementaux, militaires et des renseignements congolais qui appuient l’exploration de pétrole dans le parc étaient responsables de nombreuses menaces et actes de violence commis par le passé contre des militants et personnels du parc.
Des militants et des gardiens du parc ont affirmé que des représentants de SOCO et de sociétés de sécurité avaient essayé de les soudoyer afin d’obtenir leur soutien et de les décourager de prendre la parole contre l’exploration pétrolière dans le parc et pour faciliter les activités de la compagnie dans le parc. Un défenseur de l’environnement a affirmé que des représentants de SOCO lui avaient offert 20 000 USD et lui avaient indiqué qu’il pourrait engager cinq personnes à son service s’il acceptait l’argent.
Une enquête menée par les autorités du parc a également révélé qu’un représentant de SOCO avait versé plusieurs milliers de dollars US à un haut responsable du parc sur plusieurs mois pour soutenir les activités de SOCO. Ce haut responsable a participé à des réunions avec des gardes de parc au cours desquelles ils ont été menacés d’être renvoyés s’ils ne soutenaient pas SOCO. Les résultats de cette enquête, qui a duré plus de trois ans, ont été transmis à un procureur congolais à Goma le 15 avril, plusieurs heures avant l’attaque contre de Mérode.
Lors d’une rencontre avec Human Rights Watch le 23 mai, le gouverneur du Nord Kivu, Julien Paluku, a reconnu que certains représentants du gouvernement et des forces de sécurité semblent avoir été « manipulés. » Il a ajouté qu’il ne savait pas qui les manipulait, mais que semble-t-il ils avaient été payés et « instrumentalisés » pour soutenir l’exploration pétrolière. Il a ajouté qu’il y avait eu de nombreuses allégations à propos de menaces et d’agressions contre des activistes et des gardes de parc opposés à l’exploration pétrolière, et qu’il avait demandé aux autorités de la police et de la justice militaire de mener des enquêtes.
Dans sa réponse du 30 mai à une lettre de Human Rights Watch portant sur les allégations selon lesquelles des représentants de SOCO étaient impliqués dans la corruption, le Directeur général adjoint de SOCO, Roger Cagle, a écrit :
Il y a eu un nombre substantiel d’allégations fausses et inexactes à l’encontre de SOCO International Plc ces dernières années et en particulier au cours du dernier mois. Malheureusement, un certain nombre de ces allégations ont découlé de déclarations inexactes, fausses, déformées et/ou exagérées rendant compte de nos activités en République démocratique du Congo (la « RDC »). Il semble également que de plus en plus toute personne se livrant à une conduite douteuse et contraire à l’éthique est immédiatement cataloguée comme « représentant de SOCO » et « partisan de SOCO » même quand ces personnes ne font tout simplement pas partie et n’ont rien à voir avec elle. …
Nous opérons selon un strict code de déontologie et d’éthique (notre «Code»). … Nous sommes pleinement engagés envers une conduite honnête et éthique de nos affaires et nous attendons des entreprises avec qui nous travaillons, de nos fournisseurs et de nos agents qu’ils se conduisent de la même façon. En outre, la Compagnie fonctionne en accord avec la loi du Royaume-Uni de 2010 sur la corruption, et dans le cadre de notre code de Bonne gouvernance en matière de corruption (Bribery Risk Governance), nous disposons d’un processus formel pour atténuer les risques de corruption.
En ce qui concerne les allégations spécifiques de corruption soulevés par Human Rights Watch, Cagle a écrit que les responsables de la compagnie « n’ont aucune information quant à savoir si oui ou non les incidents ont réellement eu lieu, et si oui, ce qui s’est produit. Toutefois, sur la base des informations dont nous disposons, nous avons enclenché les procédures dans notre code. »
SOCO devrait respecter les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme, des directives internationales qui octroient aux entreprises la responsabilité de prendre des mesures spécifiques pour protéger les droits quand elles s’appuient sur des forces de sécurité publiques ou privées pour protéger leurs opérations, selon Human Rights Watch. En outre, l’entreprise devrait se conformer aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, qui appellent toutes les entreprises à identifier les risques éventuels liés aux droits humains dans leurs opérations et à régler les problèmes qui pourraient survenir.
Human Rights Watch a exhorté le gouvernement britannique à enquêter sur les activités de SOCO dans l’est de la RD Congo dans le cadre de la loi du Royaume-Uni sur la corruption. Toute enquête devrait examiner les actes de corruption ou de subornation pouvant avoir conduit à des attaques et des menaces contre les gardes de parc et les activistes.
« Les allégations selon lesquelles des représentants de SOCO auraient offert des paiements illicites dans le climat instable du parc des Virunga doivent être prises au sérieux », a conclu Ida Sawyer. « La compagnie SOCO devrait enquêter sur ses représentants et agents, ainsi que sur les entreprises avec qui elle a signé des contrats, et s’assurer qu’aucun d’eux ne soit impliqué dans du harcèlement d’activistes ou de personnel du parc. »
Pour lire le communiqué intégral sur le site Web de Human Rights Watch, veuillez cliquer ici.