(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF, daté du 25 mai 2000: Mai 1990 – Mai 2000 Dix ans de confiscation de la liberté de la presse en Birmanie Le 27 mai 1990, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) remportait plus de 80 % des suffrages lors des élections législatives. La junte […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF, daté du 25 mai 2000:
Mai 1990 – Mai 2000
Dix ans de confiscation de la liberté de la presse en Birmanie
Le 27 mai 1990, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) remportait plus de 80 % des suffrages lors des élections législatives. La junte militaire, au pouvoir depuis 1988, n’a jamais reconnu la victoire du parti de Aung San Suu Kyi.
Reporters sans frontières (RSF) dénonce ces dix années de confiscation de la liberté d’expression en Birmanie. La junte militaire a privé la population de toute information libre et violé les droits des journalistes birmans et étrangers à exercer librement leur profession. Tortures, lourdes peines de prison, assassinats, menaces, censures : aujourd’hui encore, la Birmanie est le pays du monde où le plus grand nombre de journalistes sont emprisonnés.
Quatre journalistes morts en détention
Au cours des dix dernières années, quatre journalistes sont morts alors qu’ils étaient aux mains des services de sécurité. Les méthodes des militaires et de la police ont maintes fois été dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme. Sévices, tortures physiques et psychologiques, viols et exécutions extrajudiciaires sont des pratiques courantes contre les dissidents ou les combattants des mouvements rebelles.
Les journalistes n’ont pas été épargnés par ces atteintes très graves aux principes humanitaires. En 1991, Ne Win et U Ba Thaw meurent en prison. Malgré les dénégations des autorités, les tortures et les conditions déplorables de détention sont sans nul doute à l’origine de la mort de ces deux journalistes. Le 14 mai 1991, les autorités de Rangoon annoncent, au cours d’une conférence de presse, la mort en détention, due à une « cyrrhose du foie », de Ne Win, correspondant du quotidien japonais Asahi Shimbun. Détenu depuis 24 octobre 1990, sans jamais avoir été inculpé, les militaires l’accusaient de sympathies envers l’opposition. Un mois plus tard, U Ba Thaw (alias Maung Thaw Ka), dessinateur de presse et membre du comité central de la LND, meurt en détention, « d’un arrêt cardiaque » selon les autorités.
Sept ans plus tard, en août 1998, U Saw Win, rédacteur en chef du quotidien Botahtaung, meurt d’une crise cardiaque dans la prison de Tharrawaddy. Selon ses proches, il n’aurait pas bénéficié des soins que son état de santé exigeait. U Saw Win avait été condamné à dix ans de prison en 1990.
En septembre 1999, U Thar Win, un photographe du journal gouvernemental Kyemon, meurt dans un centre de détention des services secrets. Arrêté avec une dizaine de ses collègues, il aurait été passé à tabac. Le journal venait de publier, par erreur selon des sources concordantes, une photo du général Khin Nyunt, l’homme fort de la junte, illustrant un reportage intitulé « Le plus grand escroc du monde ». Selon les autorités, U Thar Win serait mort, lui aussi, d’une « cyrrhose du foie ».
Les autorités n’ont jamais fourni aux familles de ces journalistes des informations précises et crédibles sur les circonstances de leur mort. Une chose est sûre : dans plusieurs documents rendus publics, le rapporteur spécial des Nations unies sur la Birmanie affirme que dans les prisons d’Insein et de Tharawaddy, où trois de ces quatre journalistes ont été détenus, la torture est une pratique courante.
Une vingtaine de journalistes emprisonnés
Le 17 octobre 1990, Ohn Kyaing, également connu sous le nom de Aung Wint, journaliste à Hanthawathi et député de la LND, est arrêté par les militaires pour avoir dénoncé dans des articles la répression sanglante des manifestations de moines bouddhistes à Mandalay, en août 1988. Il est condamné, le même jour, à sept ans de prison pour « avoir rédigé et distribué des pamphlets séditieux » et « écrit un article antigouvernemental ». Le 15 mai 1991, en vertu de l’article 5, sections (a), (b) et (j) de la loi d’urgence, la Cour le condamne à dix années d’emprisonnement supplémentaires.
Comme Ohn Kyaing, au moins vingt journalistes birmans ont été détenus depuis le 27 mai 1990. La majorité d’entre eux ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir simplement exercé leur profession et soutenu la LND. Arrestations, interrogatoires violents, conditions de détention dégradantes, tortures pour les hommes, humiliations, procès arbitraires : telles sont les méthodes utilisées par les services de sécurité et la justice militaire pour museler les journalistes d’opposition. Ceux qui ont tenté de fournir des informations sur leurs conditions de détention, en les adressant notamment au rapporteur spécial des Nations unies sur la Birmanie, ont été condamnés à des peines supplémentaires. C’est le cas de Myo Myint Nyein, qui s’est vu infliger sept années de prison supplémentaires en mars 1996 pour avoir transmis des documents au rapporteur spécial notamment sur les mauvais traitements dans la prison d’Insein.
Au 25 mai 2000, douze journalistes sont emprisonnés en Birmanie : U Sein Hla Oo, arrêté en août 1994 et condamné à quatorze ans de prison, U Soe Thein, arrêté en mai 1996 en vertu de l’article 10 (a) de la State Protection Law, U Thein Tan, arrêté en 1990 et condamné à un total de dix ans de détention, U Tha Ban, condamné à sept ans en mars 1997, U Win Tin, arrêté en juillet 1989 et condamné depuis à vingt et un ans de prison, Sonny (Khin Maung Win), arrêté en juin 1997, Myo Myint Nyein et U Sein Hlaing, arrêtés en septembre 1990 et condamnés à un total de quatorze ans de prison chacun, U Ohn Kyaing, emprisonné et condamné à dix-sept de prison en 1990, Daw San San Nweh, arrêtée en août 1994 et condamnée à une peine de dix ans de prison, Cho Seint, arrêté et condamné à sept ans de prison en 1996, et Aung Zin Min, arrêté et condamné à sept ans de prison en 1996.
Des médias à la botte des militaires
En 1988, la presse birmane, à la pointe du combat pour une transition démocratique, a connu un véritable « printemps des libertés ». A partir du mois d’août, des centaines de publications font leur apparition dans les rues de Rangoon. Les journalistes couvrent les activités de l’opposition, les caricaturistes brocardent le régime militaire et, plus étonnant encore, les médias étatiques évoquent les manifestations démocratiques. La propagande rigide s’effondre et la presse, souvent artisanale, s’émancipe. Le 18 septembre, le coup d’Etat du Slorc (junte militaire) met fin à ce « printemps de la presse birmane ». Les journaux sont interdits et leurs animateurs poursuivis. La propagande officielle s’impose, vantant la noblesse de Tatmadaw, l’armée birmane.
La répression contre l’opposition, entamée en septembre 1988, fera plus de trois mille morts. Et va s’accentuer encore après mai 1990. La presse est, elle aussi, victime de la brutalité du Slorc : publications interdites, reporters licenciés ou arrêtés, journalistes étrangers expulsés, etc. Au moins quatre quotidiens et deux magazines d’information sont fermés, sans compter les nombreuses publications artisanales qui avaient fleuri au cours du « printemps ».
Seuls les programmes en langue birmane de la BBC, de Voice of America, de Radio Free Asia et de Democratic Voice of Burma et quelques très rares journaux étrangers en provenance de Chine et de Thaïlande, permettent aux Birmans d’échapper à la propagande officielle. De rares publications dissidentes, produites à l’étranger, circulent sous le manteau ou dans des cercles très restreints. Ecouter ou lire ces médias interdits peut coûter très cher : le 19 janvier 2000, U Than Chaum a été condamné à deux ans de prison pour avoir diffusé les programmes en birman de Voice of America dans le salon de thé dont il est propriétaire à She-boo (nord du pays). U Than Chaum est âgé de soixante-dix ans.
Des lois iniques contre la liberté d’expression
A partir de 1990, le Slorc va renforcer la législation répressive sur la presse. S’appuyant sur des lois adoptées durant la dictature du général Ne Win, telle que la loi sur la presse de 1962 qui a mis sur pied le Press Scrutiny Board (PSB), l’organisme officiel de censure, la junte militaire impose une chape de plomb sur l’information. La législation permet ainsi d’infliger jusqu’à sept ans de prison à toute personne collaborant à une publication contenant des « idées incorrectes ».
L’entrée en vigueur, en juin 1996, de la loi N° 5/96, permet aux militaires de condamner à de lourdes peines, jusqu’à vingt ans de prison, quiconque écrit ou distribue des informations qui « mettent en péril la stabilité de l’Etat, la paix et la tranquillité sociale, et la supériorité de la loi et l’ordre ».
Toujours en 1996, la junte promulgue deux lois qui renforcent la censure : la loi relative au « développement de la science informatique » et la loi sur « la télévision et la vidéo ». Toutes deux prévoient de lourdes peines pour tout individu qui utilise les médias électroniques pour diffuser des informations non autorisées. Il est notamment établi qu’une autorisation est nécessaire pour posséder un ordinateur. En janvier 2000, les Postes et Télécommunications de Birmanie (MPT, gouvernemental) mettent en place une nouvelle réglementation pour l’utilisation d’Internet qui interdit la diffusion sur la Toile de commentaires politiques ou d’informations « nuisibles au gouvernement ». Les contrevenants risquent jusqu’à quinze ans de prison.
Aucune critique à l’égard de l’armée ou de la junte n’est tolérée. Le pouvoir tient à maîtriser jusqu’aux mots employés par les journalistes : après avoir changé par décret, en 1989, le nom du pays et des villes, les expressions « démocratie » et « droits de l’homme » sont rayées du vocabulaire officiel. Il est également interdit de citer les noms ou de publier les textes d’écrivains ou de journalistes en prison ou bannis. C’est le cas notamment des écrits de Daw San San Nweh qui sont mis à l’index depuis sa première arrestation, en 1989.
Presse internationale : « ennemis de la Birmanie »
A la veille des élections du 27 mai 1990, les autorités birmanes accordent, sous la pression internationale, soixante et un visas d’entrée à des journalistes étrangers voulant couvrir le processus électoral. Les reporters des quotidiens américains The New York Times et The Washington Post, ainsi que ceux de la BBC et de All India Radio se voient refuser leur visa.
Depuis, de nombreux journalistes étrangers ont été qualifiés par les autorités de Rangoon d’être des « ennemis de la Birmanie ». Au moins quinze reporters étrangers ont été expulsés depuis cette date. Récemment, en avril 2000, Jean-Claude Buhrer, journaliste du quotidien français Le Monde, s’est vu refuser un visa de tourisme par l’ambassade de Birmanie en Thaïlande. Le secrétaire de l’ambassade lui a affirmé que son nom figurait sur une « liste noire » de reporters interdits de séjour dans le pays. Selon le fonctionnaire birman, Jean Claude Buhrer a publié des « articles hostiles » notamment après la condamnation, quelques semaines auparavant, de la Birmanie par la Commission des droits de l’homme des Nations unies. En 1990, ce journaliste français avait déjà été expulsé de Rangoon.
Les correspondants birmans de médias étrangers sont également victimes de la répression. Ainsi, Ne Min, avocat et collaborateur de la BBC, a été emprisonné pendant huit ans. La junte exerce aussi des pressions sur les correspondants étrangers des agences de presse internationales. En juillet 1996, le général Aye Kyaw, ministre de l’Information, a convoqué et menacé de sanctions les correspondants qui ne se montreraient pas « patriotes ». A cette époque, le club des correspondants étrangers ne comptait plus qu’un seul journaliste étranger : le représentant chinois de l’agence officielle Xinhua.
Certains responsables birmans n’hésitent pas à menacer de mort des journalistes étrangers. C’est le cas de U Soe Nyunt, ministre de l’Information, qui a menacé de mort, dans un article paru dans une publication gouvernementale en mai 1990, sous le pseudonyme de Bo Thanmani, les reporters qui ne respectent pas « l’éthique journalistique et les règles de souveraineté ». Il faisait allusion à Bertil Lintner, journaliste du magazine Far Eastern Economic Review, coupable d’avoir enquêté sur les mouvements de guérilla.
Recommandations
Reporters sans frontières demande instamment à la junte militaire birmane de :
– libérer immédiatement et sans conditions les douze journalistes emprisonnés pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme,
– interdire l’usage de la torture et des mauvais traitements dans les prisons, centres d’interrogatoires et commissariats,
– cesser d’utiliser les aveux extorqués sous la torture comme des « preuves » lors des procès,
– respecter les normes internationales en matière de procès justes et équitables (présence d’un avocat, possibilité d’interjeter appel, notification à l’accusé des chefs d’inculpation, etc.),
– abroger des lois contraires à la liberté de la presse : The Printers and Publishers Registration Law de 1962, qui institutionnalise la censure, The Television and Video Law et The Computer Science Development Law de 1996, qui permettent une censure drastique de l’audiovisuel et des médias électroniques, The Emergency Provisions Act de 1950, utilisé pour condamner des journalistes à de lourdes peines de prison, The Official Secrets Act de 1923 et The State Protection Law de 1975, des lois d’exception donnant aux militaires les pleins pouvoirs,
– signer et ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 19 garantit la liberté d’expression,
– permettre à une délégation de Reporters sans frontières de se rendre en Birmanie.
Reporters sans frontières demande aux pays membres de l’Association of South East Asian Nations (ASEAN) de :
– reconsidérer l’appartenance de la Birmanie à l’organisation régionale tant que son gouvernement ne respectera pas les libertés fondamentales, et notamment la liberté de la presse,
– apporter une assistance matérielle aux médias birmans en exil qui défendent les valeurs démocratiques.