Reyhana Masters partage une analyse approfondie sur le paysage politiquement chargé et les obstacles à la liberté d'expression et à l'accès à l'information dans la perspective des élections au Zimbabwe, avec des commentaires des principales parties prenantes.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Au cours d’un mois consacré à la commémoration de la lutte pour l’indépendance et des nombreuses vies perdues lors de celle-ci, les Zimbabwéens se rendent aux urnes. Pendant cette période charnière, les obstacles à un espace civique sain dans le pays sont mis en évidence par la violence politique, l’exclusion et la criminalisation de la dissidence, qui toutes visent à faire taire la société civile et le débat public.
Les élections sont fixées au 23 août. Bien qu’il y ait 11 candidats au scrutin présidentiel cette année et 38 partis différents en lice pour des sièges au conseil et au parlement, en réalité, la confrontation oppose deux principaux prétendants : l’actuel président Emmerson Mnangagwa du parti au pouvoir ZANU-PF, et Nelson Chamisa, qui dirige la Citizens Coalition for Change (CCC). La CCC, une émanation du Movement for Democratic Change, un mouvement d’une opposition très divisée, actuellement considéré comme le principal parti d’opposition au Zimbabwe.
Avec des tribunaux, à travers le pays, débordés par un peu moins de 100 affaires liées aux élections, les conversations principales et l’actualité sont inévitablement concentrées sur qui figurera sur les bulletins de vote et qui sera exclu. Au gré des affaires renvoyées de la cour de nomination et de la Haute cour à la Cour suprême d’appel, cela s’apparente à escalader des montagnes russes.
[ Traduction : La Cour suprême du Zimbabwe a consacré mardi l’audience à entendre et statuer sur l’appel de @Hon_Kasukuwere contre une décision de la Haute Cour, l’empêchant de se présenter comme candidat à l’élection présidentielle de 2023. Les avocats déclarent que la décision est injuste car @Hon_Kasukuwere est inscrit sur la liste des électeurs, ajoutant qu’un électeur ne peut en être retiré qu’à travers un processus bien établi. ]
Dans ce deuxième scrutin national depuis le départ sans cérémonie de l’ancien président Robert Mugabe, les citoyens sont confrontés à un paysage politique surchauffé et à une multitude de contradictions. Les citoyens veulent un soulagement face aux effets en cascade de l’hyperinflation, du taux élevé de chômage, de la corruption endémique et de la prestation de services publics erratique. Au lieu de cela, chaque jour complique davantage le contexte déjà complexe de ces élections.
Les points de discordes portent sur l’accès aux listes électorales, le controversé rapport sur la délimitation ; les cycles de violence politique, qui se sont intensifiés à l’approche du jour du scrutin ; la « capture judiciaire » (persécution judiciaire et abus du système judiciaire pour fermer l’espace civique et cibler les défenseurs des droits humains et les militants pro-démocratie) ; la nature partisane du secteur de la sécurité ; ainsi que l’introduction de nombreux nouveaux textes législatifs qui légitiment la main mise sur les libertés civiques.
Des obstacles à l’inclusivité
Une particularité très inquiétante de cette élection est la diminution de la participation des femmes. Après avoir remporté la légalisation de sa candidature à l’élection, Elisabeth Valerio, chef de la nouvelle United Zimbabwe Alliance, est la seule femme dans la course présidentielle de cette année. Malgré un cadre juridique solide qui met fortement l’accent sur les droits des femmes et leur inclusion dans les mandats électifs, seules 11 % (70/637) des femmes sont parvenues, via la Cour d’investiture, à l’élection pour l’Assemblée nationale, contre 14,4 % (237/1648) lors des élections de 2018.
Tafadzwa Tseisi, une défenseure des droits des femmes qui a travaillé avec certaines dans l’arène politique, attribue les faibles niveaux de participation :
- aux barrières structurelles au sein des partis politiques
- à la violence en ligne et hors ligne
- aux systèmes de croyances patriarcales autour des femmes occupant des postes de responsabilités
- au manque de capital pour le financement de leur campagne
- aux croyances culturelles et religieuses autour de l’éducation des femmes, qui font qu’elles sont moins préparées que leurs homologues masculins
[ Traduction : La violence politique entrave le leadership des femmes au Zimbabwe. Avec seulement 11 % de candidatures aux élections, donnons aux femmes les moyens de briser les barrières et de façonner l’avenir de la nation. #WomenInPolitics
Plus via @NewsDayZimbabwe ]
La prévalence de la violence en ligne et hors ligne a été signalée par la commissaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), Janet Ramatoulie Sallah-Njie, rapporteuse pour le Zimbabwe et rapporteuse spéciale sur les droits des femmes en Afrique. D’après des informations qu’elle a reçues, les « femmes subiraient des violences et des discriminations fondées sur le genre en raison de leur propre affiliation ou de celle de leurs proches à des partis politiques d’opposition. »
[ Traduction : Communiqué de presse sur la participation politique des femmes à la veille des élections d’août 2023 au Zimbabwe ]
Dans son communiqué de presse, la commissaire Ramatoulie Sallah-Njie a exhorté le gouvernement « à prendre des mesures juridiques fortes et à collaborer avec les parties prenantes concernées pour lutter contre la discrimination historique qui a entravé la participation politique des femmes et à créer un environnement électoral sûr et favorable où les femmes peuvent s’engager activement sans crainte des attaques numériques ou physiques dans la perspective des élections de 2023. »
Un autre facteur de limitation soulevé par les candidats – et les femmes en particulier – était les frais de nomination élevés institués en août 2022 par la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC), avec l’approbation du ministre de la Justice, des Affaires juridiques et des relations avec le parlement. La réponse dédaigneuse du ministre Ziyambi Ziyambi aux nombreuses plaintes a été de décrire les candidat(e)s comme « manquant de sérieux et indignes des postes pour lesquels ils veulent être élus », selon un article de All Africa.
La loi comme arme
L’utilisation stratégique de la loi pour alternativement faciliter les processus favorables à l’État et entraver le travail de la société civile quant à la transparence et la redevabilité est un savoir-faire maîtrisé au fil des ans par l’administration au pouvoir du parti ZANU-PF.
Comme l’observe Chris Maroleng, PDG international de Good Governance Africa, « au Zimbabwe, nous avons assisté à une érosion de l’État de droit, qui a été remplacé par ‘l’État par la loi’. Ce qui est frappant, c’est que le parti ZANU-PF a effectivement utilisé des instruments législatifs pour limiter le fonctionnement de la société civile et l’espace démocratique. »
Un exemple typique en est l’adoption du projet de loi sur la codification et la réforme du droit pénal, qui a été qualifié de « projet de loi patriotique » et de « projet de loi patriote » en raison d’une clause qui criminalise les activités perçues comme « portant délibérément atteinte à la souveraineté et aux intérêts nationaux du Zimbabwe ». Le langage plutôt vague et large peut manquer de clarté pour son interprétation par les tribunaux, mais il a l’intention claire de dissuader « les militants de l’opposition d’exhorter à ou de recommander des sanctions. . . et s’ils sont soumis à des procès prolongés et difficiles, ils seront distraits de leurs activités d’opposition », explique Veritas, l’organe de surveillance parlementaire.
La commissaire Ourveena Geereesha Topsy-Sonoo, rapporteure spéciale de la CADHP sur la liberté d’expression et l’accès à l’information, a écrit au président Mnangagwa pour lui déconseiller de signer le projet de loi, l’avertissant qu’il aurait des conséquences considérables sur la liberté d’expression et d’association.
Cela contredit ce que l’avocat des droits humains Chris Mhike souligne comme étant le mantra de la « Deuxième République » – comme le président Mnangagwa aime appeler son administration – qui a promis « un changement gouvernemental drastique… et que la démocratie serait renforcée afin d’améliorer les principes importants de l’équité, la liberté, la fourniture de biens et services sociaux vitaux et la bonne gouvernance. »
Ironiquement, la Loi sur la protection des données, qui modifie la Loi sur le droit pénal (Codification et Réforme) et a été principalement utilisée contre les journalistes, jusqu’à présent, pour empêcher les partis politiques, les observateurs des élections et d’autres parties prenantes d’obtenir une copie numérique de la liste électorale. L’organe de gestion électorale la leur a refusé au motif « que cela compromettrait la sécurité de sa base de données ».
Accès à l’information et intégrité de l’information
Parmi les nombreuses lacunes en termes d’accès à l’information, la plus flagrante est le manque de diversité dans la couverture médiatique et le problème de partialité, qui, selon Patience Zirima, directrice de Gender Media Connect, pourrait être attribué à ceux qui possèdent les médias.
Le 25 juillet 2023, le porte-parole du CCC, Fadzayi Mahere, a publié une déclaration critiquant la Zimbabwe Broadcasting Corporation (ZBC) et d’autres médias d’État pour leur couverture des partis politiques, déclarant qu’ils avaient « faussé les nouvelles et l’actualité » en faveur du parti ZANU-PF du président Emmerson Mnangagwa.
Comme Zirima me l’a expliqué : « Il y a très peu de distinction entre la couverture liée aux élections et la couverture de ZANU-PF en tant que parti au pouvoir et celle du président en tant que titulaire, et un avantage disproportionné en résulte ».
Pour se prémunir contre une couverture inégale par les chaînes de télévision et de radio nationales exploitées et contrôlées par la ZBC, MISA Zimbabwe a écrit à la ZEC pour demander un décompte de sa part. Etant entendu qu’« il est essentiel de surveiller efficacement la manière dont les médias publics s’acquittent de leurs fonctions et si cela est conforme aux dispositions de la Constitution. L’article 61 (4) (c) de la Constitution stipule que tous les médias de communication appartenant à l’État doivent offrir une possibilité équitable de présenter des points de vue divergents et des opinions dissidentes. »
Bien qu’ils n’aient pas reçu de réponse directe, l’horaire et le décompte ont été publiés dans The Herald le 28 juillet, soit trois jours après la lettre de suivi.
Les partis trompent le public
Le déficit d’information le plus flagrant dans cette élection provient des partis politiques qui semblent avoir évité de présenter ce que seraient leurs politiques s’ils étaient élus.
Douglas Mwonzora du MDC a lancé son manifeste électoral au siège du parti le 31 juillet, promettant que son parti apporterait « la paix, la tranquillité et la tolérance à jamais ». Il s’est depuis retiré des élections.
[ Traduction : #KasukuwereManifeste Le candidat indépendant à la présidentielle Saviour Kasukuwere a dévoilé un manifeste de 84 pages énonçant sa vision, son programme et sa promesse pour le Zimbabwe. Les manifestes sont importants pour la redevabilité. The NewsHawks présente des extraits clés du « Manifeste du peuple ». ]
Le parti au pouvoir ZANU-PF a déclaré « qu’il ne produirait pas un document angélique comme manifeste… mais qu’il s’appuie sur le bilan de la Deuxième République et laissera parler d’eux-mêmes ses projets de développement qui changent la vie et qui ont été livrés au peuple au cours des cinq dernières années… ». Alors que l’administration actuelle est catégorique sur le fait que l’essentiel des promesses faites ont été tenues, une plateforme indépendante – ZimCitizens Watch – le conteste.
Le CCC a émis des signaux mitigés, affirmant que son leader Nelson Chamisa avait lancé le manifeste du parti le 16 juillet lors d’un rassemblement à Gweru, mais s’est ensuite répandu sur les médias sociaux pour annoncer qu’il lancerait bientôt son projet.
[ Traduction : Beaucoup ont demandé quand nous lancerons notre New Great Zimbabwe Blueprint. Le moment est enfin arrivé et nous allons le lancer dans quelques jours. Préparez-vous pour un Nouveau Grand Zimbabwe qui apportera des avantages et de la prospérité à TOUS. ]
Le 25 juillet, même Saviour Kasukuwere, ancien ministre sous le régime de Mugabe, qui ne se retrouvera peut-être même pas sur les bulletins de vote en tant que candidat à la présidence, a réussi à présenter virtuellement sa vision et son programme de 84 pages.
Le journaliste vétéran Owen Gagare souligne que les manifestes sont un gage envers les citoyens par lesquels les partis sont tenus de rendre des comptes. « En l’absence de manifestes, l’élection ne porte plus sur les idées mais sur les personnalités. Au-delà de leur personnalité, les dirigeants politiques et les partis doivent faire savoir à l’électorat comment ils entendent faire avancer le pays et comment ils entendent faire face à la pléthore de problèmes auxquels le pays est confronté. En outre, de manière générale, les médias et les Zimbabwéens doivent demander des comptes aux dirigeants politiques. Comment pouvons-nous les rendre responsables si nous n’avons rien sur quoi les juger ? »
Manque de redevabilité
Bien que les griefs du parti CCC – selon lesquels ils participent à une élection qui les désavantage fortement – soient fondés, eux aussi mystifient leurs électeurs, démontrant un manque de redevabilité à plusieurs niveaux.
En dépit de vives critiques, le parti continue de fonctionner sans statuts. Zirima a noté que « l’absence de statuts rend difficile pour les autres membres du parti et la population de contester le processus de sélection et de nomination. »
En ce qui concerne la sélection des candidats, le CCC a adopté ce qu’il a décrit comme « un processus de sélection centré sur les citoyens », mais en a ensuite ignoré les résultats, en écartant ceux qui étaient choisis par les électeurs et en imposant des candidats sélectionnés par le chef du parti. L’affaire judiciaire interdisant initialement à 12 candidats du CCC de participer au scrutin d’août souligne les processus opaques et dictatoriaux au sein du parti. Le choix de présenter les dossiers des candidats si près de la date limite de clôture du tribunal de nomination a également soulevé des doutes sur la crédibilité de l’opposition.
Sauvegarder la liberté d’expression
Tabani Moyo, directeur de MISA, décrit un cocktail de mécanismes proactifs et défensifs que MISA-Zimbabwe et MISA-Regional utilisent pour lutter contre les tentatives délibérées de restreindre la liberté d’expression, l’accès à l’information et les droits à la liberté des médias.
Peu de temps après que les abonnés au téléphone mobile aient reçu des messages sollicitant leur vote avant les élections de 2023, MISA a écrit à l’Autorité de régulation des postes et télécommunications du Zimbabwe (POTRAZ), en tant qu’organe de surveillance travaillant sur les questions de protection des données, lui enjoignant d’enquêter sur la fuite. La lettre demandait « comment des tiers ont accédé aux données personnelles des citoyens, y compris les numéros de téléphone, affirmant que les messages étaient personnalisés et basés sur une segmentation des circonscriptions conforme aux listes électorales, et peut-être en violation de la loi qui régit l’utilisation des données biométriques personnelles . »
Outre son travail pour la sûreté et la sécurité des journalistes, qui est d’une importance primordiale, MISA-Zimbabwe a également :
- produit un rapport sur le paysage médiatique du Zimbabwe avant les élections, la législation qui réglemente les médias et son impact sur les journalistes couvrant les élections ;
- tenu des réunions d’engagement police-médias à l’échelle nationale, dirigées par MISA Zimbabwe, en partenariat avec l’Alliance des médias du Zimbabwe MAZ, et ancrées sur le plan d’action police-médias de décembre 2017 ;
- tenu des réunions avec la Commission parlementaire sur les services d’information, de médias et de radiodiffusion et avec le ministère de l’Information, de la publicité et des services de radiodiffusion, sur les réformes visant à empêcher un processus de double accréditation pour les journalistes couvrant les élections ;
- organisé une formation sur la sûreté et la sécurité pour les jeunes femmes journalistes couvrant les élections ;
- tenu des réunions séparées multipartites avec des chefs de partis politiques clés, la Commission des médias du Zimbabwe et des membres du parlement pour évaluer l’état de préparation des médias à une couverture des élections en toute sécurité ;
- organisé des campagnes d’alphabétisation numérique sensibilisant à la désinformation, à la mésinformation et à la loi sur la cybersécurité et la protection des données ;
- collaboré avec Signs of Hope, une organisation travaillant avec des personnes handicapées, pour engager ZEC et ZBC dans l’application de l’ordonnance du tribunal de 2018 ordonnant au radiodiffuseur national de fournir des informations aux personnes handicapées.
Quel que soit le résultat des élections, ce cycle de plaidoyer – qui a souvent donné des résultats positifs – devra être relancé avec les parlementaires nouvellement élus et les ministres nouvellement nommés.
Juillet en bref
Un mois enrichissant : le journaliste vétéran togolais Ferdinand Ayité, directeur de la publication d’investigation en ligne L’Alternative, a été honoré par le Comité pour la protection des journalistes avec le Prix international de la liberté de la presse de cette année. Tabani Moyo, directeur régional de l’Institut des médias d’Afrique australe et directeur de MISA-Zimbabwe, a été élu coordinateur d’IFEX pour le prochain mandat de trois ans. Tabani Moyo a également été sélectionné pour faire partie d’un comité international d’experts, mis sur pieds par Reporters sans frontières et ses partenaires, qui travaillera à l’élaboration d’une charte visant à réglementer l’utilisation de l’IA (Intelligence artificielle) dans les médias. Le comité est dirigé par la lauréate du prix Nobel de la paix 2021, Maria Ressa, et comprend « des membres éminents de 13 pays différents, des universitaires et professionnels dans les domaines du journalisme, de l’IA et des technologies numériques ».
Nigéria : Priestba Nwokocha, directrice des informations à la Rivers State Broadcasting Corporation (RSBC), à Port Hartcourt, a été enlevée par des hommes armés alors qu’elle rentrait chez elle après le travail. L’Union des journalistes du Nigeria (NUJ), Rivers State Council, a appelé les agences de sécurité à la libérer.
Burundi : La journaliste Floriane Irangabiye, en prison depuis 2022, est de retour sous les projecteurs alors que les organisations de défense des médias exigent qu’elle reçoive des soins médicaux pour sa santé détériorée. Au début de cette année, Irangabiye a été condamnée à 10 ans de prison et à une amende de un million de francs burundais (480 dollars US) pour ce qui a été décrit comme des accusations forgées de toutes pièces.