Janvier 2022 en Afrique. Un tour d'horizon de l’état de la liberté d'expression produit, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
En janvier, les projecteurs tournés vers le Cameroun – qui a accueilli, cette année, la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) – ont détourné l’attention de la culture inquiétante du pays en termes de violation des droits humains, notamment les détentions arbitraires et prolongées de journalistes, de membres de partis d’opposition et des activistes.
A titre d’exemple, le procès interminable du journaliste septuagénaire Amadou Vamoulké qui détient le record de jours de détention sans jugement pour son affaire : 2 000 jours au moment de la rédaction de ce résumé régional.
Le procès contre l’ancien chef de la radiotélévision nationale du Cameroun a été reportée à 90 reprises. Reporters sans frontières (RSF) déclare que « le traitement honteux de Vamoulké par le Cameroun est bien en deçà des normes les plus élémentaires de justice et de dignité humaine ».
[ Traduction : Ancien directeur général de la CRTV, Amadou Vamoulké révèle dans une lettre écrite de sa cellule qu’il est incarcéré pour d’autres motifs que pour détournement de fonds de l’État.]
L’arrestation de Vamoulké en 2016 faisait partie d’une campagne anti-corruption dénommée « Opération Epervier », qui a abouti à l’arrestation d’anciens ministres, de parlementaires, de hauts fonctionnaires et de dirigeants de sociétés d’État. Cependant, des militants, des avocats et des médias affirment que son objectif était de retirer les influenceurs des espaces et postes de pouvoir, et qu’elle n’a pas réussi à réduire les niveaux de corruption dans le pays.
De bonnes intentions mais une mauvaise loi : les défenseurs des médias remportent une victoire au Botswana
Les recommandation du Groupe d’action financière (GAFI) adoptées au niveau international pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sont manipulées au Botswana pour façonner des lois légitimant des processus défectueux, en plus d’imposer des restrictions.
Le gouvernement du Botswana a cité la nécessité de se conformer à la recommandation 31 du GAFI lors de l’élaboration du projet de loi sur la procédure pénale et la preuve de 2022, dont l’objectif principal est l’interception des communications, la divulgation forcée d’informations aux services publics de renseignement et agences d’application de la loi.
[ Traduction : Le projet de loi vise à permettre aux agences d’application de la loi d’utiliser des opérations d’infiltration pour intercepter des communications, d’accéder à des systèmes informatiques et d’utiliser des dispositifs de contrôle dans le cadre d’enquêtes sur le blanchiment de capitaux et les délits connexes. ]
[ Lorsqu’il a demandé que le projet de loi soit débattu d’urgence, le ministre Mmusi a déclaré qu’il était nécessaire d’avoir une loi qui puisse combler les lacunes juridiques et de sécurité liées aux questions de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. ]
La manière dont le projet de loi a été présenté aux citoyens, « gardé secret jusqu’à ce qu’il soit publié au Journal officiel et finalement déposé pour un examen d’urgence au Parlement une semaine plus tard, en dit long sur ses intentions malveillantes », fait remarquer le journaliste Thapelo Ndlovu dans son blog Indlovu Files.
Les organisations régionales de défense des médias – le Conseil de presse du Botswana, le Forum des éditeurs du Botswana et la Campagne pour la liberté d’expression – ont soutenu l’Institut des médias d’Afrique australe (MISA) en s’opposant au contenu du projet de loi et ont également envoyé « une délégation dans la capitale Gaborone pour enquêter sur la décision du gouvernement de précipiter l’adoption d’un projet de loi qui menacera la liberté des médias du pays. »
[ Traduction : Des journalistes d’Afrique australe envoient une mission de solidarité et d’enquête au Botswana alors que le gouvernement précipite l’adoption d’un nouveau projet de loi qui affectera la liberté des médias. #Botswana #StopCriminalProcedureBill ]
Le gouvernement a pris note des objections et a par la suite accepté de supprimer les clauses litigieuses.
Projet de loi d’amendement restrictif sur les PVO (organisations bénévoles privées) du Zimbabwe
Dans le même ordre d’idées, le projet de loi d’amendement PVO 2021 du Zimbabwe, présenté par le gouvernement en novembre de l’année dernière, devait supposément se conformer aux recommandations du GAFI. Cependant, il impose des restrictions sévères tout en accordant au ministre de la Fonction publique et des Affaires sociales des pouvoirs excessifs et sans entraves, pouvoirs qui auront un impact direct sur le fonctionnement des organisations, de leur dotation en personnel à leur prestation de services. Une analyse détaillée du Southern African Human Rights Defenders Network (SAHRDN) montre qu’en plus de restreindre la liberté d’association, il viole le droit à la vie privée et d’autres droits politiques, prévus expressément dans la Constitution du Zimbabwe.
[ Traduction : #Zimbabwe De même que mes collègues, je suis profondément préoccupé par le projet de loi d’amendement PVO qui pourrait avoir un impact grave sur l’espace civique. J’exhorte le gouvernement à veiller à ce que la lutte contre le terrorisme fournisse des garanties pour protéger les droits d’association et revoit les amendements pour se conformer aux normes internationales ]
Comme le souligne MISA : « Une analyse du projet de loi montre que, plutôt que de s’aligner sur les recommandations du GAFI, le gouvernement pourrait utiliser cette législation comme prétexte pour réprimer la société civile au Zimbabwe et pour enfreindre les droits d’association, à la vie privée et à l’expression, inscrits dans la Constitution ».
En réponse, de nombreuses organisations de défense des droits se sont jointes à MISA, membre de l’IFEX, pour demander au gouvernement du Zimbabwe de retirer le projet de loi. Dans une lettre adressée au Président du Parlement du Zimbabwe, ils ont exprimé leur inquiétude collective face aux clauses controversées.
Les deux recommandations faites par le bureau régional de MISA et toutes les OSC demandent que le Parlement du Zimbabwe :
- Retarde le débat sur le projet de loi d’amendement des PVO jusqu’à ce qu’il soit conforme aux normes et meilleures pratiques locales, régionales et internationales pour l’exercice de la liberté d’expression, de la liberté d’association et du droit à la vie privée.
- S’engage dans un vaste processus de consultation sur la réglementation des OSC, des fiducies et des ONG. Ce processus devrait être consultatif et refléter les points de vue d’un large éventail de la société zimbabwéenne.
Il s’agit d’une nouvelle tentative du gouvernement zimbabwéen d’introduire une législation visant à restreindre les activités des organisations non gouvernementales – une manœuvre qui a souvent lieu avant les élections. En 2004, le gouvernement avait proposé un projet de loi sur les organisations non gouvernementales, qui visait à interdire les ONG étrangères concernées principalement par les « questions de gouvernance » et à refuser l’enregistrement des ONG recevant des financements étrangers pour « la promotion et la protection des droits humains et les questions de gouvernance politique ».
Le Nigeria lève l’interdiction de Twitter sept mois après et évite ainsi le jugement de la CEDEAO
La levée, par le gouvernement nigérian, de l’interdiction qu’il avait imposée à Twitter en juin de l’année dernière a devancé le jugement de la Cour de justice de la CEDEAO initialement prévu pour le 20 janvier, puis reporté au 16 février.
[ Traduction : La Cour de la CEDEAO ajourne sa décision sur l’interdiction de Twitter contre le gouvernement nigérian jusqu’au 16 février | Sahara Reporters ]
L’interdiction, qui a duré sept mois, a été levée le 12 janvier à la suite d’un processus négocié par lequel Twitter accepte d’ouvrir un bureau dans la capitale Abuja, de s’enregistrer en tant que diffuseur, de nommer un représentant, de payer des impôts et s’engage à être sensible aux « questions de sécurité et de cohésion nationale ».
[ Traduction : Le gouvernement fédéral nigérian a finalement levé son interdiction de Twitter après 7 mois, ce qui indique que la société de médias sociaux a accepté une liste de demandes. ]
[Bien que ce soit une bonne nouvelle, des experts, dont Gbenga Sesan de @ParadigmHQ, craignent que l’affaire ne crée un dangereux précédent pour le gouvernement nigérian, pour contrôler l’information et violer les droits des citoyens. ]
Selon un article de Rest of World, Twitter devrait « mettre en place un service de conformité et nommer son représentant local d’ici la fin du premier trimestre 2022. L’accord signifie que l’entreprise sera l’une des premières entreprises à commencer à se conformer aux nouvelles lois fiscales numériques créées en 2020 mais qui n’ont pas encore été mises en œuvre. Le gouvernement percevra des taxes sur tous les revenus de Twitter, y compris les publicités et les revenus d’abonnement, provenant du Nigeria. La plateforme formera les employés du gouvernement, y compris le personnel de sécurité, sur la façon de signaler le contenu aux modérateurs.
L’interdiction a été imposée le 4 juin 2021, deux jours seulement après que Twitter a supprimé un tweet du président nigérian Muhammadu Buhari qui menaçait les sécessionistes dans la région du sud-est du Nigeria.
À la suite de l’interdiction, plusieurs groupes – dont les membres nigérians de l’IFEX Media Rights Agenda (MRA) et International Press Centre (IPC), ainsi que Paradigm Initiative (PIN), Premium Times Centre for Investigative Journalism (PTCIJ) et Tap Initiative for Citizens Development (TICD) ), les journalistes David Hundeyin, Samuel Ogundipe, Blessing Oladunjoye et Nwakamri Zakari Apollo – avaient déposé plainte, insistant sur le fait que la suspension de la plateforme de médias sociaux violait les droits des citoyens à la liberté d’expression, à la diffusion et à la réception d’informations.
Les journalistes dans la ligne de mire
La tendance aux violations des droits des journalistes s’est poursuivie tout au long du mois de janvier, avec une augmentation inquiétante des autorités exigeant de connaître l’identité de leurs sources. Les attaques physiques contribuent également à la culture croissante d’impunité sur le continent. Outre les autorités, les groupes militants, les partisans des partis politiques, les manifestants et les criminels semblent tous avoir des journalistes dans leur ligne de mire.
En représailles à un article sur la scission au sein de l’Agence de renseignement du Nigéria (NIA), quatre agents du renseignement se sont introduits de force dans les bureaux de la Peoples’ Gazette à Utako, dans le centre d’Abuja, exigeant de voir le rédacteur en chef, Samuel Ogundipe et la journaliste Hillary Essien. Présentant une lettre du chef de la NIA, les officiers ont demandé les noms des sources d’une note de service fuitée et publiée par Peoples’ Gazette. La lettre avertissait également que d’autres mesures seraient prises si l’identité des sources n’étaient pas fournies.
Une semaine plus tôt, le bureau du site d’information Thunder Blowers dans l’État de Zamfara, toujours au Nigeria, a été pris d’assaut par huit hommes, qui ont attaqué le personnel et saccagé l’équipement des locaux. Après avoir réalisé que le rédacteur en langue haoussa de la publication, Abdul Balarabe, n’était pas présent, les agresseurs ont alors sauvagement agressé, à la place, les rédacteurs en chef Anas Sani Anka et Mansur Rabiu. En plus d’avoir endommagé huit ordinateurs de bureau et un serveur, ils sont repartis avec du matériel technique.
[ Traduction : Ce rapport, réalisé par @themfwa et son organisation partenaire @IPCng@ a recensé au moins 56 violations de la liberté de la presse au #Nigeria. 48 des violations ont été perpétrées contre des journalistes avec 8 attaques visant les installations des médias. ]
Dans leur rapport, L’état de la liberté des médias au Nigeria, lancé en juin de l’année dernière, la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) et son organisation partenaire IPC détaillent comment l’impunité a « atteint un sommet sous le gouvernement du président Buhari ». citant des violations allant du meurtre à la torture, des arrestations et des détentions, des condamnations, des agressions physiques, des menaces contre des journalistes ainsi que la fermeture/suspension arbitraire d’organisations médiatiques.
Dans une énième tentative pour identifier une source, les autorités capverdiennes ont convoqué le journaliste et rédacteur en chef du Santiago Magazine Hermínio Silves à trois reprises et l’ont finalement inculpé pour « désobéissance qualifiée » le 27 janvier pour avoir prétendument divulgué des informations judiciaires confidentielles. En décembre 2021, Silves a utilisé des documents classifiés pour son article sur une enquête en cours sur le lien entre un responsable gouvernemental et la mort d’un suspect en 2014. Suite à la publication de cet article, le bureau du procureur général a lancé une enquête sur la manière dont Silves avait accédé à ces informations et qui étaient ses sources. Silves a juré de protéger ses sources à tout prix.
[ Traduction : #CapeVerde : Hermínio Silves, rédacteur en chef du Santiago Magazine, a été officiellement inculpé aujourd’hui de « désobéissance qualifiée » pour avoir prétendument divulgué des informations judiciaires confidentielles dans un article sur les abus de la police. Il risque jusqu’à 2 ans de prison s’il est reconnu coupable. ]
Condamnations avec sursis dans une affaire de diffamation
Un tribunal de Niamey, au Niger, a prononcé des peines de prison avec sursis contre les journalistes Moussa Aksar et Samira Sabou après les avoir reconnus coupables de diffamation. L’agence nigérienne de lutte contre les stupéfiants avait porté plainte contre ces journalistes pour avoir republié les conclusions d’un rapport international sur le trafic de drogue dans le pays, qui évoquait l’implication de responsables gouvernementaux. Bien que l’agence ait retiré sa plainte contre eux, l’accusation a poursuivi l’affaire et le jugement a été rendu. Le rapport en question a été largement partagé sur les réseaux sociaux, mais Moussa et Sabou ont été les seuls poursuivis pour cela. Samira Sabou – lauréate du Prix Index on Censorship pour la liberté d’expression – a été condamnée à un mois de prison avec sursis, tandis qu’Aksar a été condamné à deux mois de prison avec sursis, et tous deux ont été condamnés à une amende.
[ Traduction : La récente condamnation de Samira Sabou & Moussa Aksar, 2 journalistes d’investigation au Niger, pour avoir rapporté les conclusions d’une ONG internationale marque un tournant alarmant dans le ciblage de plus en plus éhonté des médias critiques par les autorités. ]
En bref
Le Forum des éditeurs sud-africains (SANEF) a apporté son soutien à Phathiswa Magopeni, après son licenciement abusif le 28 janvier en tant que directrice du groupe de presse et rédactrice en chef de la chaîne publique South African Broadcasting Corporation. Dans une affaire remontant à l’année dernière, Magopeni affirme que son audience disciplinaire tenue en décembre était factice et attribue plutôt son renvoi à sa résistance à l’ingérence de ses patrons. Le conseil disciplinaire avait déclaré Magopeni coupable d’inconduite, pour avoir diffusé un épisode d’un programme télévisé malgré l’interdiction d’un tribunal. « Cette manière de faire doit être condamnée car elle se moque des lois du travail et des processus associés. Cela conduit également à une méfiance à l’égard de nos institutions publiques et prive le radiodiffuseur public de la liberté des médias protégée par la Constitution », déclare la SANEF. Dans un éditorial du Daily Maverick, Raymond Suttner affirme : « les processus qui ont conduit à cette décision sont remplis d’irrégularités depuis le début jusqu’à aujourd’hui ».
Au Ghana, la radio communautaire Radio Ada – bien connue pour ses reportages critiques – a été contrainte au silence après un raid brutal. Douze hommes ont fait irruption dans le studio et ont ordonné à Gabriel Korley Adjaotor, qui présentait une émission musicale, d’arrêter sa présentation. « Avant que le présentateur ne puisse réagir, ils ont déconnecté les câbles, détruit les ordinateurs et attaqué la console et les microphones, perturbant ainsi la diffusion », rapporte MFWA. Adjaotor a dû être hospitalisé, mais il se rétablit.
La levée d’une suspension de deux mois imposée à la radio 357FM au Lesotho a été bloquée par la contestation d’une famille sur la propriété de la station de radio. Le décès du propriétaire de 357FM pendant la suspension a déclenché un conflit familial permettant à la Lesotho Communications Authority (LCA) de maintenir la suspension en place jusqu’à ce que la question de la propriété soit clarifiée. La licence a été retirée le 21 novembre après que la station a prétendument omis de se conformer à une directive du comité des litiges et à la décision de la radiodiffusion de la LCA de s’excuser auprès d’un chef de l’opposition.
Des articles de projets de médias indépendants mis en place par des membres de l’IFEX, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest et ADISI-Cameroun, figurent parmi la sélection des 10 meilleurs articles d’investigation d’Afrique subsaharienne produits en 2021du Global Investigative Journalism Network (GIJN). The Licensed Sex Predator du journaliste primé Manasseh Azure Awuni, qui dirige le nouveau média Fourth Estate, est décrit comme l’une des enquêtes les plus importantes réalisées en Afrique l’année dernière. L’article de l’initiative de vérification des faits, Data Cameroon est de son côté consacré à l’importation de réfrigérateurs à gaz de seconde main et son impact sur les citoyens alors que les lois du pays interdisent l’importation de déchets potentiellement dangereux.
Le film en langue kiswahili Binti, création d’une équipe entièrement féminine, est entré dans l’histoire en tant que premier film tanzanien à être diffusé sur le service de streaming populaire Netflix, lors de sa première sur la plateforme le 7 janvier 2022. Avant sa sortie sur Netflix, il a été projeté dans des festivals de films en Amérique, en Afrique du Sud, au Nigeria, en Allemagne et en Tanzanie.
À noter
- Le journaliste sénégalais Sadibou Marong a été nommé directeur du bureau Afrique de l’Ouest de Reporters sans frontières.
- Ourveena Geereesha Topsy-Sonoo, adjointe au procureur général de l’île Maurice, a été nommée nouvelle rapporteuse spéciale sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique lors de la 69ème session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle remplace l’avocate sierra-léonaise Jamesina King, rapporteuse spéciale de 2019 à 2021.