"Le harcèlement et les intimidations visant systématiquement les journalistes swazis qui osent critiquer le roi ou l’action de son gouvernement font peser de lourdes menaces sur la production d’informations indépendantes."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 7 mai 2020.
« La police est de retour chez moi. Ils portent des armes. J’ai réussi à m’enfuir”. Contacté par RSF, Eugene Dube, le rédacteur en chef du site d’information Swati Newsweek, vit désormais caché. Le 23 avril, plusieurs agents ont débarqué chez lui et saisi l’ensemble de son matériel professionnel dont un ordinateur, plusieurs téléphones portables et des documents. Le journaliste a été violemment et longuement interrogé, pendant sept heures, avant d’être finalement relâché en attendant les suites de l’enquête.
A l’origine de ces problèmes : la publication de deux articles remettant en cause la gestion de la crise sanitaire par le royaume. Le premier article, publié le 8 avril faisait état des insuffisances de la réponse apportée par le roi Mswati III et son gouvernement face à l’épidémie de coronavirus. Le deuxième, mis en ligne le 14 avril, donnait la parole au dirigeant local d’un mouvement politique qui estimait possible le “renversement du roi” et l’avènement du multipartisme dans le royaume de l’ex-Swaziland, petit État enclavé d’Afrique australe rebaptisé “Eswatini” par le roi en 2018.
Deux autres journalistes de Swati Newsweek, l’un des sites d’information les plus populaires du royaume, sont également dans le collimateur des autorités. L’un d’entre eux Mfomfo Nkhambule a aussi été brièvement arrêté et interrogé. L’autre est toujours activement recherché par la police.
“Les poursuites lancées contre les journalistes de cette rédaction relèvent de la persécution, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Le harcèlement et les intimidations visant systématiquement les journalistes swazis qui osent critiquer le roi ou l’action de son gouvernement font peser de lourdes menaces sur la production d’informations indépendantes. Dans le contexte actuel, cette chasse aux journalistes critiques est d’autant plus inacceptable qu’elle risque de renforcer un peu plus l’autocensure et de réduire l’accès à des informations fiables et crédibles sur la crise sanitaire”.
Le 24 avril, la police avait averti que les autorités n’hésiteraient pas à sévir contre les journalistes qui critiquent le roi Mswati III, estimant que cela relevait de la “haute trahison”, un crime passible de la peine de mort.
Joint par RSF, Sicelo Vilane, le secrétaire général du syndicat des professionnels des médias swazis, confirme que le régime scrute quotidiennement ce qui est publié sur le roi, la royauté et l’action du gouvernement. La censure des articles critiques sur ces thèmes qui était auparavant assurée par la police dans les rédactions a laissé place à l’autocensure des journalistes qui connaissent les lignes rouges. Ceux qui osent les franchir s’exposent au pires représailles. Le leader du syndicat a confié craindre que ses confrères de Swati Newsweek finissent par être “arrêtés ou tués”.
En février, le rédacteur en chef du média en ligne indépendant Swaziland News, Zweli Martin Dlamini, avait dû fuir vers l’Afrique du Sud voisine, après avoir reçu des menaces de mort de la ministre de l’Information qui n’est autre que la princesse Sikhanyiso, fille aînée du roi. Accusé de sédition, le journaliste avait été arrêté, avant, d’être torturé par la police swazie.
Le pays occupe la 141e place sur 180 dans l’édition 2020 du Classement mondial de la liberté de la presse récemment publié par RSF.