Les autorités éthiopiennes ont soumis des détenus politiques incarcérés dans le principal centre de détention d'Addis Abeba à la torture et à d’autres mauvais traitements.
Les autorités éthiopiennes ont soumis des détenus politiques incarcérés dans le principal centre de détention de la capitale, Addis Abeba, à la torture et à d’autres mauvais traitements, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le gouvernement éthiopien devrait prendre immédiatement des mesures pour réfréner les pratiques illégales au Centre des enquêtes criminelles de la police fédérale (Federal Police Crime Investigation Sector), aussi appelé Maekelawi, pour effectuer des enquêtes impartiales sur les allégations de violations des droits humains et pour amener les responsables à en répondre devant la justice.
Ce rapport de 70 pages, intitulé « ‘They Want a Confession’: Torture and Ill-Treatment in Ethiopia’s Maekelawi Police Station‘» (« ‘Ils veulent des aveux’: Tortures et mauvais traitements au centre de police Maekelawi en Éthiopie ») documente de graves violations des droits humains, des techniques d’interrogatoire illégales et des conditions de détention déplorables au centre Maekelawi depuis 2010. Parmi les personnes détenues dans ce centre figurent un grand nombre d’opposants politiques, de journalistes, d’organisateurs de manifestations et de partisans présumés de mouvements de rébellion ethniques. Human Rights Watch a interrogé plus de 35 anciens détenus du centre Maekelawi et des membres de leurs familles, qui ont décrit comment les responsables avaient refusé de subvenir aux besoins les plus fondamentaux de ces détenus, les avaient torturés et maltraités afin d’extorquer des informations et des aveux, et les avaient privés de contacts avec un avocat et avec leurs proches.
« En plein cœur de la capitale, les autorités éthiopiennes commettent régulièrement des exactions pour obtenir des informations », a déclaré Leslie Lefkow, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les passages à tabac, la torture et l’extorsion d’aveux ne sont pas des méthodes acceptables de traitement de journalistes ou de membres de l’opposition politique. »
Depuis les élections controversées de 2005, l’Éthiopie a intensifié la répression de diverses formes d’expression pacifique d’opposition, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités ont eu fréquemment recours aux arrestations arbitraires et aux procès politiques, notamment dans le cadre de la contraignante loi nationale antiterroriste, contre des personnes considérées comme opposées au gouvernement, qui ont été détenues et interrogées au centre Maekelawi.
Les responsables du centre Maekelawi, notamment les enquêteurs de la police, ont recouru à diverses méthodes de torture et aux mauvais traitements contre les personnes qu’ils détenaient. D’anciens détenus ont affirmé à Human Rights Watch avoir été giflés, roués de coups de pied et frappés à l’aide d’objets divers, dont des bâtons et des crosses de fusil, principalement pendant les interrogatoires. Ils ont également indiqué avoir été maintenus dans des positions douloureuses et stressantes pendant des heures, pendus par les poignets contre un mur, le plus souvent tout en étant frappés.
Un étudiant originaire d’Oromiya a décrit comment il était resté enchaîné pendant plusieurs mois dans une cellule d’isolement: « Quand je voulais me lever, j’avais du mal: je devais m’aider de ma tête, de mes jambes et du mur pour y parvenir. J’étais toujours enchaîné quand je mangeais. Ils m’enchaînaient les mains par devant pendant le repas et me les enchaînaient de nouveau par derrière après. »
Les conditions de vie dans les quatre principaux quartiers de détention du centre Maekelawi sont mauvaises mais varient beaucoup de l’un à l’autre. Dans le pire des quatre, appelé « Chalama Bet » (« maison obscure » en amharique), d’anciens détenus ont affirmé que la lumière et l’accès aux toilettes étaient strictement limités, et que certains d’entre eux étaient maintenus dans un complet isolement. Ceux qui avaient été détenus dans le quartier « Tawla Bet » ( « maison en bois ») se plaignaient d’un accès limité à une cour située voisine de leurs cellules et que celles-ci étaient infestées de puces. Les enquêteurs se servent du besoin de satisfaire des besoins de base et de l’accès aux sanitaires comme d’un levier pour punir ou récompenser les détenus de s’être pliés ou non à leurs exigences, y compris en les transférant d’un quartier à l’autre. À défaut d’être libérés, beaucoup de détenus aspirent à être transférés dans le quartier « Sheraton », ainsi nommé en référence à la chaîne internationale d’hôtels, où ils sont plus libres de leurs mouvements.
Les détenus des quartiers Chalama Bet et Tawla Bet se sont vu régulièrement refuser tout contact avec leurs avocats et les membres de leurs familles, en particulier lors de la phase initiale de leur détention. Plusieurs proches de détenus ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils avaient effectué des visites au centre Maekelawi chaque jour mais que des responsables leur avaient dénié la possibilité de voir le membre de leur famille qui y était détenu, jusqu’à la fin de l’instruction, procédure qui est toujours longue. L’absence d’un avocat lors des interrogatoires accroît la probabilité des mauvais traitements et limite les possibilités de documenter ceux-ci et d’en obtenir réparation, a déclaré Human Rights Watch.
« Séparer les détenus de leurs défenseurs et des membres de leurs familles, non seulement augmente les risques de mauvais traitements, mais crée aussi une énorme pression sur les détenus pour qu’ils se plient aux exigences des enquêteurs », a ajouté Leslie Lefkow. « Les détenus du centre Maekelawi doivent être assistés d’un avocat lors de leurs interrogatoires et avoir des contacts avec leurs familles, et ils devraient être déférés sans tarder devant un juge pour être inculpés ou non. »
Human Rights Watch a recueilli des informations selon lesquelles les enquêteurs avaient recours à des méthodes de coercition, y compris des passages à tabac et des menaces de violence, pour forcer les détenus à signer des déclarations et des aveux. Ces déclarations ont parfois été utilisées par la suite pour faire pression sur certaines personnes pour qu’elles coopèrent avec les autorités après leur libération, ou utilisées comme pièces à conviction devant un tribunal.
Martin Schibbye, journaliste suédois qui a été détenu au Maekelawi en 2011, a ainsi décrit les pressions exercées pour extorquer des aveux: « La plupart des personnes détenues au Maekelawi y sont maintenues jusqu’à ce qu’elles craquent et fassent des aveux, vous pouvez passer trois semaines sans être interrogé, on attend vos aveux, tout est basé autour des aveux. La police dit que le tribunal fera la part des choses mais en fait, c’est faux ».
Les possibilités pour les détenus d’obtenir réparation pour les mauvais traitements subis sont limitées, a souligné Human Rights Watch. Les tribunaux éthiopiens n’ont pas l’indépendance nécessaire, en particulier quand il s’agit d’affaires sensibles d’un point de vue politique. Malgré les nombreuses allégations de mauvais traitements formulées par des prévenus, y compris par des personnes détenues en vertu de la loi anti-terroriste, les tribunaux n’ont pas pris de mesures adéquates pour enquêter sur ces allégations ou pour protéger d’éventuelles représailles les accusés qui se plaignent de mauvais traitements.
Les tribunaux devraient être plus entreprenants dans leur réponse aux plaintes concernant des mauvais traitements, mais cela ne peut se produire que si le gouvernement permet aux tribunaux d’agir en toute indépendance et respecte leurs décisions, a déclaré Human Rights Watch.
L’Éthiopie a strictement limité ces dernières années les enquêtes indépendantes sur les questions de droits humains et la diffusion de leurs résultats, ce qui a entravé la supervision des conditions de détention au centre Maekelawi. La Commission gouvernementale éthiopienne des droits humains a visité le centre Maekelawi trois fois depuis 2010 et a exprimé publiquement ses préoccupations au sujet des détentions dans l’isolement complet. Cependant, d’anciens détenus ont indiqué à Human Rights Watch que des responsables du centre Maekelawi étaient présents lors de ces visites et les avaient empêchés de s’entretenir en privé avec les membres de la commission, et ils ont exprimé des doutes quant à l’impact de ces visites.
L’amélioration du contrôle des conditions en matière de droits humains au centre Maekelawi et dans d’autres lieux de détention éthiopiens nécessiterait la révision de deux lois répressives, la Loi sur les sociétés et associations caritatives (Charities and Societies Proclamation) et la Loi anti-terroriste (Anti-Terrorism Proclamation). Ces lois ont grandement réduit les possibilités d’observer de manière indépendante la situation en matière de droits humains en Éthiopie et ont supprimé des dispositifs juridiques fondamentaux de garantie contre la torture et les mauvais traitements en détention, a déploré Human Rights Watch.
La constitution de l’Éthiopie et ses engagements juridiques internationaux font obligation à ses responsables de protéger tous les détenus des mauvais traitements et il incombe aux autorités éthiopiennes, quel que soir leur rang, de mettre fin aux pratiques abusives et de poursuivre en justice leurs auteurs, a affirmé Human Rights Watch. Quoique le gouvernement éthiopien ait adopté un plan d’action de trois ans dans le domaine des droits humains dans lequel il reconnaît la nécessité d’améliorer le traitement des détenus, ce plan n’aborde pas le problème des sévices physiques et de la torture; il est axé sur le renforcement des capacités plutôt que sur les décisions politiques concrètes nécessaires pour que cessent les abus commis quotidiennement.
« Se contenter d’allouer davantage de fonds et de renforcer les capacités ne suffira pas à mettre fin aux mauvais traitements généralisés au centre Maekelawi et dans les autres centres de détention éthiopiens », a conclu Leslie Lefkow. « Un vrai changement exige des actes aux plus hauts niveaux du gouvernement contre toutes les personnes responsables pour mettre fin à la culture de l’impunité qui est sous-jacente. »