Le Bureau régional des communications a ordonné à ces médias internationaux de suspendre leurs activités après avoir reçu une lettre de l'Autorité éthiopienne des médias lui demandant de prendre des mesures contre les journalistes des médias étrangers travaillant sans licence.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 21 février 2023.
Le Bureau des communications de la région Somali, en Éthiopie, a suspendu 15 chaînes étrangères, leur reprochant de travailler sans licence. Le lendemain, un journaliste a été arrêté et détenu pendant deux jours. Reporters sans frontières (RSF) condamne ces atteintes à la liberté d’informer et appelle à l’annulation de cette décision.
Quinze stations de télévisions étrangères n’émettent plus de signal dans la région Somali, la deuxième plus vaste d’Éthiopie, située dans le sud-est, depuis le 28 janvier dernier. Le Bureau régional des communications a ordonné à ces médias internationaux, dont la BBC Somali et d’autres médias privés en langue somalie, de suspendre leurs activités après avoir reçu une lettre de l’Autorité éthiopienne des médias lui demandant de prendre des mesures contre les journalistes des médias étrangers travaillant sans licence.
Le lendemain, la police régionale somalienne a arrêté Muhiyadin Mohammed Ali, journaliste pour Kalsan TV, l’un des médias concernés. Officiellement accusé de “diffusion de propagande” sur les réseaux sociaux après avoir critiqué le parti régional au pouvoir dans un live diffusé sur Facebook, le journaliste coordonnait la publication d’un communiqué de presse dénonçant la suspension des 15 chaînes de télévision. Il a été libéré après deux jours de détention au poste de police de la zone de Fafan, à la condition de ne pas publier d’articles critiques du gouvernement durant trois mois.
Ces atteintes à la liberté de la presse constituent un grave danger pour l’environnement médiatique de la région et du pays dans son ensemble. Les autorités de la région doivent impérativement lever la suspension des 15 médias étrangers, qui est une tentative claire de museler la presse couvrant des sujets sensibles. La détention de Muhiyadin Mohammed Ali, démonstration des abus de pouvoir pour réprimer le droit à la liberté d’expression, s’ajoute au triste palmarès des emprisonnements de journalistes en Éthiopie. Nous demandons aux autorités de protéger la liberté d’informer en annulant ces décisions
Sadibou Marong, Directeur du Bureau Afrique Subsaharienne de RSF
Avant la publication de cette décision, les médias concernés avaient pourtant demandé au gouvernement régional de renouveler cette licence, qui leur permet de fonctionner légalement dans la région. Une demande qui est restée sans réponse. La suspension des médias serait en fait liée à leur couverture des problèmes actuels de la région, dont la sécheresse et la corruption. Bien qu’étant à l’origine de la lettre demandant aux autorités de réagir face aux journalistes et médias travaillant sans licence, l’Autorité de régulation affirme ne pas avoir été mise au courant de la décision de suspendre les médias.
“La liberté d’expression” comparée à “la liberté du chaos”
Le 3 février dernier, les autorités ont également révoqué, sans mise en garde préalable, la licence de l’Association des journalistes de l’État régional somalien en invoquant une “action inappropriée”. Contacté par RSF, son porte-parole, Abdulrazaq Hassan, estime qu’il s’agit de représailles sanctionnant les interventions de l’association à propos des suspensions de médias. Il a également déploré des actes d’intimidation : “Le 8 février, trois hommes en civil se sont rendus au bureau de l’association et ont demandé au gardien pourquoi il travaillait encore. Pour ma part, je suis dans la ligne de mire des autorités, j’ai peur d’être emprisonné à tout moment. Tous les journalistes ont d’ailleurs peur depuis les suspensions.”
Le même jour, le président de la région, Mustafa Omer, a publié un message inédit sur Facebook, affirmant que “la liberté d’expression dans la région” était comparable à “la liberté du chaos”.
En Éthiopie, l’information est entravée par le conflit armé entre les forces gouvernementales et celles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). En mai 2022, 21 professionnels des médias avaient été arrêtés en moins de dix jours par les forces fédérales, qui avaient prétexté une opération dite “de maintien de l’ordre”.
Les dernières arrestations de journalistes dans le pays datent des 13 et 14 février, lorsque le journaliste pour la Télévision orthodoxe éthiopienne (EOTC TV) en langue oromo Deacon Yosef Ketema, et le fondateur d’Ethio Selam – l’une des principales chaînes Youtube d’analyse politique indépendante et critique de la guerre au Tigré – Tewodros Asfaw, ont été interpellés par les forces de sécurité. Tewodros Asfaw a été arrêté à son domicile, sans mandat, par deux agents armés et quatre autres en civil, avant d’être détenu au bureau d’enquête criminelle de la police fédérale de Mexico Square, à Addis-Abeba. Deacon Yosef Ketema est détenu dans un lieu qui n’a pas été rendu public. Ils sont accusés de “terrorisme” et d’“incitation à la violence”, pour avoir réalisé des émissions portant sur un conflit au sein de l’Église orthodoxe éthiopienne.