Désireuses de ne pas froisser leur voisin russe, les autorités des cinq républiques d’Asie centrale mettent sous pression les médias pour couvrir de manière “neutre” ou ignorer l’invasion russe en Ukraine.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 19 avril 2022.
Désireuses de ne pas froisser leur voisin russe, les autorités des cinq républiques d’Asie centrale mettent sous pression les médias pour couvrir de manière “neutre” ou ignorer l’invasion russe en Ukraine. Reporters sans frontières (RSF) appelle ces gouvernements à laisser les journalistes couvrir librement le conflit et ses conséquences.
Au Kirghizistan, le directeur de la chaîne d’opposition Next TV Taalai Duichenbiev risque sept ans de prison à cause d’une publication liée à la guerre en Ukraine. Arrêté pour “incitation à la haine ethnique”, il est accusé d’avoir diffusé de fausses informations. Les bureaux de la chaîne ont été scellés, plusieurs employés interrogés, après que le média a re-posté le 2 mars sur ses comptes de réseaux sociaux la citation de l’ancien chef du Comité pour la sécurité nationale (KNB) du Kazakhstan – en exil – sur un supposé accord secret entre Bichkek et Moscou pour fournir une assistance militaire à la Russie en Ukraine. Le 29 mars, ce post a été jugé “extrémiste” par un tribunal de la capitale.
En Ouzbékistan, les autorités tentent d’intimider les journalistes et blogueurs pour influencer leur couverture de l’invasion russe en Ukraine. Certains articles publiés sur le sujet par les sites d’information populaires Kun.uz et Daryo.uz ont par la suite été supprimés. Le rédacteur en chef de Kun.uz, Oumid Chermoukhammedov, et deux de ses fondateurs, ont été convoqués le 26 février pour interrogatoire par le service de renseignement (SNB), selon un message sur son compte Facebook, supprimé depuis. Il a été sommé d’écrire de façon plus “neutre” sur le sujet. Anora Sodikova, rédactrice en chef du média en ligne Rost24, a déclaré à Radio Ozodlik (le service ouzbek de Radio Free Europe / Radio Liberty) que plusieurs de ses confrères ont été soumis à ce type de pressions. Comme en Russie, les médias d’État évitent pour leur part d’utiliser les mots “invasion” ou “agression”.
“Les médias n’ont pas à recevoir de consignes de la part des forces de l’ordre sur leur couverture d’un événement, rappelle la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Nous appelons les autorités des pays d’Asie centrale à cesser ces pressions sur les journalistes et à respecter l’indépendance de la presse.”
Au Kazakhstan, le mot “guerre” n’est pas interdit, mais les médias d’Etat et médias privés appartenant à des hommes d’affaires importants restent prudents dans leurs publications. Et l’hebdomadaire indépendant Ouralskaïa Nedelia fait face à une tentative de censure : l’un de ses principaux annonceurs a retiré ses publicités, en fustigeant une position “anti-russe” à cause d’un post sur le compte Instagram du média qui expliquait comment aider des volontaires ukrainiens à collecter des médicaments pour l’armée et les habitants de Kyiv. Sa rédactrice en chef, Tamara Esliamova, a par ailleurs signalé des attaques de leur compte Instagram par des bots russes, au début de la guerre.
Au Tadjikistan, les rares médias indépendants couvrent le sujet, mais il est ignoré à la télévision, contrôlée par l’Etat. Les services spéciaux ont demandé aux responsables de chaînes de s’abstenir de couvrir la guerre, selon CABAR.asia. Au Turkménistan, l’un des pays les plus fermés au monde, où l’ensemble des médias est contrôlé par l’État, l’agence de presse gouvernementale TDH ne mentionne pas la guerre en cours.
L’Ouzbékistan se situe à la 157e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2021 de RSF, le Kirghizistan à la 79e. Le Kazakhstan occupe la 155e position, le Tadjikistan la 162e et le Turkménistan la 178e.