Reporters sans frontières (RSF) appelle la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à réagir pour que les autorités guinéennes mettent un terme à la censure.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 18 juin 2024.
Malgré leurs engagements, les autorités ont ordonné en toute illégalité le retrait des agréments d’exploitation de quatre radios et de deux télévisions privées. Reporters sans frontières (RSF) condamne fermement cette décision et appelle la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à réagir pour que les autorités guinéennes mettent un terme à la censure.
Il avait pourtant condamné de vive voix le brouillage de quatre radios privées populaires et même assuré engager un dialogue avec les médias pour une sortie de crise. Deux mois après ces promesses du ministre de l’Information et de la Communication, Fana Soumah, prononcées lors d’une audience accordée à RSF à Conakry, la répression des médias n’en est que plus féroce, et ce, en toute illégalité.
Le 21 mai, la décision est tombée comme un couperet : un arrêté signé par ce même ministre ordonne le retrait des agréments d’exploitation des médias indépendants Djoma TV, Djoma FM, Espace FM, Espace TV, Sweet FM et FIM FM. Le lendemain, des courriers signés par l’Autorité de régulation des postes et télécommunication (ARPT), l’organe de régulation des télécommunications, annoncent aux médias concernés le retrait de leurs fréquences, leur demandant de démanteler leurs installations.
Depuis fin novembre 2023, les signaux des radios Espace FM, Djoma FM, FIM FM et Évasion FM sont déjà brouillés, présumément par l’ARPT. Les chaînes Espace TV, Djoma TV et Évasion TV ont, elles, été retirées des bouquets de Canal+ et de StarTimes sur décision de la Haute Autorité de la communication (HAC) en décembre pour des raisons de “sécurité nationale” et restent indisponibles.
Le gouvernement a publié un communiqué le 24 mai justifiant cette répression en signifiant que “certains médias manquent à leurs responsabilités, en enfreignant des lois sur la liberté de la presse, la HAC et le Code de bonne conduite des journalistes”. Les médias censurés, qui font partie des plus grands groupes de médias privés du pays, ont tous en commun de suivre une ligne éditoriale libre et critique.
Un recours grâcieux a été déposé par ces trois groupes de médias auprès du ministère de l’Information et de la Communication le 4 juin afin de faire annuler la décision, et une demande d’intervention a été déposée le même jour auprès de la HAC. Aucune réponse n’a été donnée à ce jour.
Pour justifier ce retrait, deux membres de la HAC ont par ailleurs accusé les médias concernés, lors d’une déclaration le 12 juin, d’avoir reçu de l’argent “des mains de Mamadi Doumbouya lui-même” afin qu’ils soutiennent les actions de la junte militaire. Selon eux, le fait qu’ils n’aient pas respecté ce contrat serait la cause de leur fermeture. Des propos que les directeurs des trois groupes ont condamné et qualifié de “diffamatoires”. Les deux membres ont été suspendus jusqu’à nouvel ordre.
« Force est de constater qu’en atrophiant le paysage médiatique du pays, les autorités ont pris la direction opposée à celle qu’elles avaient annoncée. Cette réduction au silence de plusieurs médias est dramatique, pour les journalistes et pour les citoyens privés de leur droit à une information plurielle. Face à la sourde oreille des autorités, nous interpellons la CEDEAO afin qu’elle réagisse et épingle les autorités pour qu’elles cessent le harcèlement envers les médias concernés et protègent l’exercice du journalisme dans le pays. Nous demandons également une protection des responsables de médias et des acteurs de la presse qui sont à l’heure actuelle gravement menacés. »
Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF
Des décisions prises sans respecter les lois
L’arrêté publié le 21 mai est contraire à la loi organique sur la HAC, qui indique que “le ministère de l’Information et de la Communication retire l’agrément sur saisine de la HAC” et que “la HAC décide du retrait des fréquences aux médias audiovisuels”. Rien ne prouve, selon les informations de RSF, que l’organe de régulation ait décidé le retrait des agréments ou ait été saisi.
Interrogé par RSF à ce propos, le ministre de l’Information et de la Communication a avancé que la HAC avait été consultée, avant de renvoyer notre organisation vers le président de l’organe, Boubacar Yacine Diallo, qui a demandé à RSF de “se contenter de la réponse du ministre”.
Les lettres de l’ARPT demandant le retrait des fréquences devraient également être caduques. La loi relative aux télécommunications et aux technologies de l’information précise que le retrait d’une licence ou d’une autorisation est “prononcé par le ministère en charge des Télécommunications, sur proposition ou après consultation de l’Autorité de régulation”, et qu’il est “notifié par écrit au titulaire au moins six mois pour la licence et trois mois pour l’autorisation avant sa date de prise d’effet”. Le retrait a pourtant été immédiat. Enfin, il n’est mentionné nulle part que le non-respect du cahier des charges – qui est un motif vague et non explicité – est un manquement permettant le retrait de la licence.
Selon le Syndicat des professionnels de la presse privée (SPPG), l’arrêté a engendré la perte de plus de 700 emplois. La direction générale du Groupe Fréquence Médias (GFM) auquel appartient FIM FM a organisé une campagne de collecte de fonds pour les employés du média contraints au chômage.
Les journalistes sérieusement menacés
Dans ce climat hostile à la presse, certains professionnels des médias font l’objet de menaces. Le secrétaire général du SPPG, Sékou Jamal Pendessa, qui a passé plus d’un mois en détention pour avoir voulu défendre le droit à l’information face aux restrictions imposées aux médias, a déclaré à RSF avoir été suivi par des individus inconnus. Le week-end du 8 juin, des sources l’ont alerté pour le prévenir que quatre personnes auraient été “dépêchées pour l’enlever”. Sékou Jamal Pendessa reçoit également des appels lui signifiant de “prendre ses dispositions pour éviter le pire”.
Le directeur adjoint de FIM FM, Ibrahima Sory Lincoln Soumah, a quant à lui rapporté à RSF avoir été suivi par deux motards alors qu’il rentrait d’une réunion. L’un d’eux l’aurait clairement menacé, lui signifiant: “on vous a à l’œil, on va vous abattre”.
Le quotidien du directeur d’Espace FM, Mohamed Mara, est aussi ciblé. Il a rapporté à RSF qu’un individu anonyme aurait appelé un membre de sa famille pour annoncer sa mort du professionnel de l’information, et un montage photo annonçant son enlèvement a tourné sur les réseaux sociaux. Le chargé de publicité d’Espace FM et TV, modérateur et chroniqueur sur l’émission phare “Les Grandes Gueules”, Tamba Zacharie Millimono a, lui aussi, reçu deux appels de menaces de mort.