L’institution reproche plus précisément au DGA d’avoir violé « l’éthique et la déontologie du journaliste et le code de bonne conduite du journaliste guinéen » en ayant diffusé sur ce media l’extrait d’une déclaration de la Coordination nationale de la Jeunesse Konia.
Cet article a été initialement publié sur mfwa.org le 16 septembre 2022.
La Haute Autorité de la Communication (HAC), l’autorité de régulation de l’espace médiatique, a interdit à N’Faly Guilavogui, Directeur Général Adjoint (DGA) du média Groupe Evasion Guinée d’exercer son métier de journaliste pendant 10 jours. M. Guilavogui a été suspendu pour avoir permis la diffusion du communiqué d’une association de jeunes de Konia, une communauté située 62 kilomètres au nord de Conakry, Konia.
Selon la décision de la HAC, le DGA du groupe de radio et télévision privées basés dans la capitale guinéenne, est suspendu de toutes les émissions radiotélévisées du 13 au 23 septembre 2022. La décision de la suspension du journaliste a été rendue publique le 12 septembre 2022 dans un communiqué officiel par le régulateur.
L’institution reproche plus précisément au DGA d’avoir violé « l’éthique et la déontologie du journaliste et le code de bonne conduite du journaliste guinéen » en ayant diffusé sur ce media l’extrait d’une déclaration de la Coordination nationale de la Jeunesse Konia. Les jeunes ont exigé dans la déclaration que la lumière soit faite sur le sort de leurs frères arrêtés par les autorités militaires guinéennes.
Sans citer la partie incriminée de la déclaration, la HAC juge celle-ci partisane et de nature à « mettre en danger l’équilibre social de notre pays ».
Le mauvais côté de la HAC
Ces derniers temps, la Haute Autorité de la Communication (HAC), l’organe de régulation des médias en Guinée, est devenue très répressive. A son actif, une multitude de sanctions à l’encontre de plusieurs journalistes ces deux derniers mois.
Le 08 août, c’est le Directeur de Publication du site d’information Mosaique.com, Mohamed Bangoura, qui a été soumis à un interrogatoire par la HAC. Cette institution a repris le dossier sensible de ce journaliste qui a publié un article faisant état de la disparition dans les locaux d’une garnison militaire d’un camion contenant du Tramadol, un médicament dont la consommation est souvent abusée.
Se sentant offensé par cette publication, la direction de renseignement militaire de l’Etat-major général des Armées a invité Mohamed Bangoura à se présenter dans les locaux de cette garnison pour un interrogatoire au sujet de cet article. La HAC a intercédé et a repris le dossier pour éviter que ce journaliste se présente dans ce camp militaire pour un interrogatoire.
C’est ainsi qu’au terme de l’interrogatoire, le journaliste n’ayant pas fourni de preuves de ses allégations, a été invité par la HAC à publier un démenti de son article et, comme pour faire
d’une pierre deux coups, apaiser la fureur des militaires qui étaient déterminés à le faire arrêter pour diffamation.
Le 19 août, Ibrahima Lincoln Soumah, le chroniqueur de la célèbre émission Mirador de la radio privée FIM FM a été suspendu par la HAC pour une période allant du 22 au 29 août 2022.
L’instance de régulation lui reproche d’avoir « tenu des propos à travers lesquels il a manqué de responsabilité sociale ».
Dans un numéro de « Mirador », une émission à grand audimat, M. Soumah a déclaré que la plupart des manifestants tués lors des manifestations pacifiques réprimées en Guinée sont « des Diallo, des Bah, des Sow… », ce qui signifie que ces victimes étaient d’origine peul.
Ce sont ces propos que la HAC a incriminé pour sanctionner le journaliste. Cependant, M. Soumah a eu le soutien des auditeurs qui l’ont baptisé du nom « de journaliste du peuple de Guinée ».
Peu après Ibrahima Lincoln Soumah, le 22 août, c’est autour du journaliste Habib Marouane Camara d’être invité par la Haute Autorité de la Communication. Au terme de 3 heures d’horloge d’interrogatoire, cet administrateur du site d’information « Le Révélateur 224 » a eu son verdict. La HAC a fait savoir que l’invitation du journaliste à cet interrogatoire est due à une tribune qu’il a publiée sur son media.
Il n’a pas été suspendu. Mais, la HAC l’a invité à plus de professionnalisme dans l’exercice du métier. La HAC a mentionné dans sa décision que « la Haute Autorité de la Communication a cependant noté les regrets formulés par l’auteur qui s’est engagé de plein gré à retirer l’article de son site ».
Ces cascades de convocation des journalistes par la HAC pour des interrogatoires harassants, assortis parfois de suspensions sont perçues par les journalistes comme une tentative de musèlement, d’intimidations et de dérives autoritaire des militaires au pouvoir contre les journalistes dans l’exercice de leur profession.
La HAC est perçue de ce point de vue comme le bras armé de la junte au pouvoir depuis le 5 septembre 2021. Les militaires au pouvoir se sont positionnés comme une force de répression de toutes les voix discordantes en Guinée. Des acteurs de la société civile qui s’opposent aux dérives de la junte sont actuellement détenus en prison. Tous les journalistes qui essaient de dénoncer les dérives du système sont convoqués par la HAC et soumis à un interrogatoire musclé puis à une sanction. C’est dans cette atmosphère que les journalistes guinéens exercent actuellement en Guinée.
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) est profondément préoccupée par l’état de la liberté de la presse en Guinée et exhorte les autorités guinéennes à mettre un terme aux intimidations azimuts des voix critiques et dissidentes.
En toute état de cause, la suspension des journalistes ainsi que des organes de presse et les longs interrogatoires des professionnels de la presse par la HAC, ou toute autre autorité du pays à cause de leur travail sont des indicateurs alarmants du rétrécissement rapide de l’environnement de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Alors que nous comprenons la volonté de la junte au pouvoir de vouloir bâtir une Guinée meilleure et plus forte, nous les invitons à s’écarter de toute voie qui jetterais les bases de la suppression des libertés civiles fondamentales dans une démocratie qui peine déjà à retrouver son équilibre.