"Cet incident reflète le mot d’ordre du Kremlin pour les médias : cacher aux yeux du monde et du peuple russe toute information relative à des manifestations de mécontentement populaire quant à la guerre menée en Ukraine."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 5 fevrier 2024.
Près de 20 reporters qui couvraient un rassemblement de femmes de soldats mobilisés en Ukraine ont été interpellés le 3 février 2024, lors d’un raid de la police visant quasi-exclusivement des journalistes. Reporters sans frontières (RSF) s’alarme de ce nouvel incident grave contre la presse, véritable outil d’intimidation des rares médias russes et étrangers opérant encore officiellement dans la capitale russe.
« Le fait que la police russe ait interpellé samedi majoritairement des journalistes est inédit. Communément, lorsqu’ils couvrent des protestations, des reporters sont arrêtés avec des manifestants. Cet incident reflète le mot d’ordre du Kremlin pour les médias : cacher aux yeux du monde et du peuple russe toute information relative à des manifestations de mécontentement populaire quant à la guerre menée en Ukraine. À l’aube d’une élection présidentielle verrouillée par Vladimir Poutine, RSF s’alarme de cette intimidation des rares correspondants de presse encore présents à Moscou. »
Jeanne Cavelier, Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale
Les reporters arrêtés couvraient un rassemblement dans la capitale russe près du Kremlin d’épouses de soldats mobilisés, exigeant leur retour du front ukrainien, 500 jours après le début de la mobilisation. Ces correspondants exclusivement masculins de médias russes (du quotidien économique Kommersant, du média indépendant en ligne Sota.Vision…) et internationaux (de l’agence de presse française AFP, du magazine allemand Der Spiegel…) portaient des gilets marqués presse et ont été sciemment visés par la police. Après un long moment dans un fourgon de police non chauffé, ils ont été emmenés au poste de Kitaï-Gorod, dans le centre de Moscou.
Les journalistes ont été relâchés après avoir dû signer un “avertissement” stipulant que la police “dispose d’informations” selon lesquelles ils ont personnellement “pris part à des événements publics organisés en violation de la loi” – alors qu’ils couvraient simplement le rassemblement pour leurs médias. Sans valeur juridique, mais dans le contexte actuel de suspension de l’état de droit, ce document pourrait néanmoins servir de base à de futures poursuites pénales, par exemple pour “émeutes de masse”, passible de 15 ans de prison.
Alors que Vladimir Poutine doit être réélu le 17 mars prochain pour un cinquième mandat à la tête de la Russie, deux ans après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, le pays se transforme en “trou noir” de l’information. Des centaines de journalistes de médias indépendants risquant la prison ont quitté la Russie, ainsi que les rédactions de grands médias internationaux. Deux correspondants de nationalité américaine, Alsu Kurmasheva pour Radio Free Europe / Radio Liberty, et Evan Gershkovich pour le Wall Street Journal, sont détenus dans l’attente de leurs procès, une première depuis la fin de la guerre froide.