(JED/IFEX) – Ci-dessous, une lettre ouverte de JED au Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en RD Congo, datée du 5 septembre 2006: Monsieur l’Ambassadeur William Lacy Swing Représentant Spécial du Secrétaire général des Nations Unies en RD Congo A Kinshasa/Gombe IL EST ENCORE TEMPS D’ARRETER LA VIOLENCE D’ETAT CONTRE LES MEDIAS Journaliste […]
(JED/IFEX) – Ci-dessous, une lettre ouverte de JED au Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en RD Congo, datée du 5 septembre 2006:
Monsieur l’Ambassadeur William Lacy Swing
Représentant Spécial du Secrétaire général des
Nations Unies en RD Congo
A Kinshasa/Gombe
IL EST ENCORE TEMPS D’ARRETER LA VIOLENCE D’ETAT CONTRE LES MEDIAS
Journaliste en danger (JED), organisation indépendante et non partisane de défense et de promotion de la liberté de la presse basée en République démocratique du Congo, et Réseau d’alerte de l’Organisation des médias d’Afrique centrale (OMAC), vous écrit, ce jour, pour partager avec vous ses très vives appréhensions concernant la situation d’extrême tension créée et entretenue autour de certains médias de la RDC depuis la publication, le 20 août 2006, des résultats provisoires de l’élection présidentielle.
JED s’adresse à vous en votre qualité de Représentant Spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, de chef de la Mission d’Observation l’ONU en RDC (MONUC), et de Président du Comité International d’Accompagnement de la Transition (CIAT). A tous ces titres, personne ne doute que vous disposez des pouvoirs réels pouvant vous permettre d’agir efficacement et d’influer sur les événements en cours au moment où ce pays donne l’impression de voguer comme un bateau ivre dans l’océan. Il vous suffit pour cela d’être convaincu par quelques évidences ci-dessous :
1. La paix et la stabilité post-électorale de ce pays qui sort de plusieurs années de conflits armés dépendent de l’aboutissement heureux du processus démocratique dont les élections véritablement libres, démocratiques et transparentes constituent le point de chute ;
2. L’accès de tous à des médias indépendants, libres et responsables, de même qu’une information pluraliste, sont des gages de la transparence du processus électoral ;
3. Sans la possibilité pour les journalistes de pouvoir collecter, traiter et diffuser toutes les informations, sans entraves, et sans cette liberté de la critique, la liberté de la presse est une illusion.
Aujourd’hui, à quelques semaines du second tour de l’élection présidentielle, notre constat est que, sous des prétextes divers, ce qui reste encore du gouvernement de la république, au travers notamment de ses services de sécurité, multiplie des actes de menaces et des tentatives d’embrigadement des médias dans le but inavoué d’empêcher toute contradiction, de réduire au silence toute voix discordante et de filtrer ce que doit consommer le grand public en terme d’information.
A titre illustratif, il vous souviendra que depuis le lendemain de la proclamation des résultats provisoires du premier tour des élections présidentielles qui ont conduit à des affrontements armés dans les rues de Kinshasa entre les gardes du président de la République sortant, M. Joseph Kabila, et ceux commis à la garde de son désormais challenger au second tour, M. Jean-Pierre Bemba, toutes les chaînes de radiotélévision appartenant à ce dernier (CCTV, CKTV, RALIK) ont été réduites au silence par une coupure méchante de leur signal d’émission. Avec elles, deux autres chaînes, RLTV et Molière TV, généralement ouvertes aux thèses de l’opposition.
Autre illustration. Dans un arrêté ministériel daté du 18 août 2006 – mais qui n’a été rendu public que le samedi 2 septembre 2006-, et portant « interdiction de discours et messages dangereux dans la presse », le Ministre de la presse et information, M. Henri Mova Sakanyi, écrit, notamment « qu’il est interdit dans la presse écrite ou audiovisuelle tout message, discours ou représentation incitant la population à la haine, à la désobéissance, à la discrimination fondée sur quelle que base que ce soit, et plus généralement à, tout acte ou comportement incivique anti-démocratique ou anti-social . . . ».
Entre les deux actes, la Haute Autorité des Médias (HAM), institution publique par excellence, a contraint tous les responsables des chaînes des radios et des télévisions à signer, devant tous les ambassadeurs du CIAT, un Acte d’engagement qui n’aurait jamais posé problème dans un pays de droits où la justice est réellement un pouvoir indépendant. Connaissant nos réalités politiques, vous conviendrez avec JED que l’Acte d’engagement signé est déjà utilisé pour proscrire toute critique et toute analyse et, in fine, pour confiner désormais les journalistes et médias à offrir au public des communiqués de presse et autres déclarations politiques ainsi que des reportages protocolaires comme au bon vieux temps du parti unique. Par l’absurde, le geste de la HAM, JED l’aurait, à la limite, compris s’il avait permis de remettre le signal d’émission aux médias bâillonnés marquant ainsi un nouveau départ pour tous indistinctement.
Malheureusement, plus de deux semaines après les affrontements armés de Kinshasa et au moment où des concertations se déroulent entre les deux adversaires du second tour, sous votre médiation, pour tenter de décrisper la tension, JED est scandalisée de constater que les médias réduits ainsi au silence n’émettent toujours pas en dépit des promesses faites à JED par le président de la HAM, M. Modeste Mutinga, mardi 29 août 2006.
Cette décision d’interrompre le signal de certains médias est non seulement illégale mais aussi injuste. Elle est illégale dans la mesure où elle a été prise par un service qui n’en a pas mandat au regard de la loi congolaise N° 96/002 du 22 juin 1996 portant modalité de l’exercice de la liberté de la presse en RDC. Elle est aussi illégale car aucune loi en RD Congo ne prévoit la coupure du signal d’un média comme sanction à un quelconque délit de presse. C’est convaincu de cette illégalité, qui n’est rien d’autre qu’un coup de force, que les auteurs de ces actes n’ont jamais pris la peine de signifier « leur décision » aux médias frappés, les mettant ainsi non devant la force de la loi, mais bien devant celle des muscles.
La décision est de surcroît injuste parce pendant ce temps des médias privés proches du pouvoir, y compris les médias publics, n’ont jamais été inquiétés pour les mêmes dérapages que JED a toujours condamnés. Que cache donc cet acharnement ? Cette situation de deux poids, deux mesures cache mal une volonté politique, de profiter d’un incident malheureux, pour étouffer une frange de l’opinion congolaise au moment où se prépare le second tour de l’élection présidentielle ainsi que d’autres scrutins locaux. Par conséquent, il constitue, de ce fait même, une atteinte grave au droit du public à l’information pluraliste.
JED reste convaincue que si les médias d’Etat (la RTNC) avaient été des médias réellement publics, on n’aurait pas assisté à la prolifération des chaînes de radios et de télévisions comme c’est le cas aujourd’hui en RD Congo. C’est parce que la RTNC a été confisquée, en violation de la loi de 1996, par un groupe politique que d’autres ont trouvé le salut dans la création de leurs propres médias audiovisuels. Plus d’une fois, le Centre de monitoring de la HAM a démontré le déséquilibre scandaleux dans l’accès aux médias publics. En créant la HAM, le législateur, répondant au v?u des négociateurs de Sun City, lui avait confié comme principale tâche de veiller à la neutralité des médias publics. JED ne vous apprend rien sur toutes les entraves politiques que l’instance de régulation a eu pour faire exécuter cette disposition légale.
Tout en admettant qu’il y a eu des dérapages de part et d’autres des médias proches de différents candidats à l’élection présidentielle, JED considère qu’en tout état de cause, la sanction doit être légale, juste et proportionnelle. Si la dérive totalitaire et la violence d’Etat qui frappe actuellement CCTV, CKTV, Molière TV, RLTV et RALIK ne sont pas arrêtées, JED redoute plus que tout que ce précédent fâcheux ne constitue, à terme, un casus belli et partant une hypothèque sérieuse aux efforts d’apaisement – voulu par tous les congolais – que déploie la MONUC et l’ensemble de la communauté internationale. JED voudrait aussi attirer votre attention sur le danger que pourrait constituer, pour certains qui s’estimeraient privés des moyens d’expression, la tentation de recourir à des voies violentes pour se faire entendre.
C’est pourquoi, devant l’Histoire et le Congo, JED vous demande d’user de tout ce qui est en votre pouvoir pour obtenir le rétablissement du signal des radios et télévisions aujourd’hui réduites au silence, et de veiller à ce que la liberté de la presse, corollaire de la liberté d’expression et d’opinion, soit sauvegardée conformément à la constitution de la République. Cela permettrait aux Congolais d’avoir plusieurs sons de cloches au grand bonheur du débat démocratique nécessaire surtout en période électorale, de faire baisser la vive tension que l’ont ressent dans les rues de Kinshasa et de décrisper tant soit peu le climat politique général.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur l’ambassadeur, l’expression de notre haute considération.
FAIT À KINSHASA, LE 05 SEPTEMBRE 2006
Tshivis T. Tshivuadi
Secrétaire général
D. M’Baya Tshimanga
Président