(JED/IFEX) – Ci-dessous, une lettre du 2 septembre 2000 de JED à Dominique Sakombi Inongo, Ministre de la Communication de la République démocratique du Congo: Kinshasa, le 2 septembre 2000 Monsieur Dominique Sakombi Inongo Ministre de la Communication Kinshasa/Lingwala Excellence Monsieur le Ministre, Concerne : Etat de la liberté de la presse en RDC Au […]
(JED/IFEX) – Ci-dessous, une lettre du 2 septembre 2000 de JED à Dominique Sakombi Inongo, Ministre de la Communication de la République démocratique du Congo:
Kinshasa, le 2 septembre 2000
Monsieur Dominique Sakombi Inongo
Ministre de la Communication
Kinshasa/Lingwala
Excellence Monsieur le Ministre,
Concerne : Etat de la liberté de la presse en RDC
Au nom du comité directeur et de tous les membres de Journaliste en danger (JED), nous avons lâhonneur de vous présenter nos félicitations à lâoccasion de votre nomination en qualité de ministre de la Communication.
Nous saisissons cette occasion pour vous présenter lâétat de la liberté de la presse dans notre pays, en vous exhortant de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que cette situation soit ameliorée.
A ce jour, la République démocratique du Congo (RDC) présente la pire fiche en matière de liberté de la presse en Afrique. Notre organisation a dénombré plus de 110 cas de journalistes privés de leur liberté, pour des plus ou moins longues périodes, depuis que le Président Laurent-Désiré Kabila a accédé à la magistrature suprême en mai 1997.
Pendant que vous retrouvez le fauteuil que vous avez occupé par le passé, trois journalistes sont en prison. Lâun, Freddy Loseke Lisumbu la Yayenga, éditeur du journal La Libre Afrique, est à son neuvième mois dâemprisonnement au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK, ex-Prison centrale de Makala). Il a été arrêté le 31 décembre 1999, jugé et condamné par la Cour dâordre militaire (COM), en mai 2000, à trois ans de prison ferme pour « outrage à lâarmée ».
Freddy Loseke avait publié, fin décembre 1999, deux articles faisant état dâun complot ourdi par un officier supérieur des Forces armées congolaises (FAC), non autrement identifié, contre le Président de la République. Avant lâouverture de son procès, Loseke a été incarcéré au camp militaire Kokolo, à Kinshasa, et il affirme avoir été torturé. A ce jour, Loseke est malade au CPRK – il souffre dâune insuffisance rénale et il aurait une jambe paralysée – et les autorites pénitentiaires refusent toujours de lui permettre de se faire soigner dans un centre medical spécialisé comme le souhaitent ses avocats.
Les deux autres journalistes incarcérés sont Emile-Aimé Kakese Vinalu, éditeur du journal Le Carrousel, et Jean-Pierre Ekanga Mukuna, éditeur du journal La Tribune de la Nation.
Kakese Vinalu a été arrêté en juin 2000 et il est également poursuivi par la COM pour « trahison ». Il avait publié dans son journal trois articles jugés hostiles au pouvoir. Il avait, entre autres, dans un éditorial, appelé à lâunité de lâopposition et fait état de la détérioration des relations entre le chef de lâEtat et son ministre dâEtat chargé du Pétrole.
Jean-Pierre Ekanga Mukuna est aussi poursuivi par la COM pour « trahison » .
Nous tenons à attirer votre particulière attention sur le fait que, dans notre pays, une dizaine de services ou juridictions sont compétents, de droit ou de fait, pour interpeller, tancer, entendre, arrêter ou incarcérer les journalistes. Ces services sont : la COM, lâAgence nationale de renseignements (ANR), le Comité de sécurité dâEtat (CSE), la Police dâintervention rapide (PIR), les Services spéciaux de la Police (SPP), la Détection militaire des activités anti-patrie (DEMIAP), lâInspection de la Police judiciaire des parquets, lâAgence de sécurite des aéroports (ASA), lâInspection provinciale de la Police (IPK), etc. Ces services se substituent le plus souvent aux cours et tribunaux et soumettent les journalistes à des exactions inacceptables. Lorsque ce sont les tribunaux réguliers qui connaissent des affaires de délits de presse, lâon assiste, dans plusieurs cas, à des parodies de procès, la cause étant entendue dâavance.
Pour ce qui est du cas plus précis de la COM, notre organisation rappelle que plusieurs voix se sont élevées pour demander la suppression pure et simple de cette juridiction qui viole les engagements internationaux pris par notre pays. Le Président de la République lui-même, répondant aux exigences des participants à la Consultation nationale, en avril 2000, avait promis de faire en sorte que les civils soient déférés devant leur juge naturel. Les participants au séminaire organisé lâan dernier à Kinshasa – conjointement par les ministères de la Justice et des Droits humains, le Bureau sur terrain en RDC du Haut commissariat des Nations unies aux droits de lâhomme et le Programme des Nations unies pour le développement – avaient exigé, eux aussi, la suppression de la COM. Rien nây fait.
Il vous souviendra que la République démocratique du Congo est partie à la Déclaration universelle des droits de lâhomme, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à la Charte africaine des droits de lâhomme et des peuples ainsi quâà plusieurs autres instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de lâhomme. Tous ces textes garantissent la liberté dâexpression et exhortent les états qui les ont ratifiés à consacrer la conformité des lois nationales aux engagements internationaux. Ce qui fait quâaujourdâhui, aucun Etat démocratique nâemprisonne des journalistes dans des affaires de délits de presse.
En tant quâorganisation de défense et de promotion de la liberté de la presse, nous ne nous occupons pas seulement des cas des journalistes privés de leur liberté du fait de lâexercice de leur profession. Nous travaillons également pour faire comprendre aux journalistes leur devoir de respecter les règles dâéthique et de déontologie qui régissent leur métier. Nous avons organisé plusieurs séminaires, ateliers, colloques et autres matinées de presse pour ce faire, tant à Kinshasa que dans lâarrière-pays.
Nous savons que les journalistes ne sont pas tous des enfants de chÅur. Câest ainsi que nous avons toujours appelé à la mise en place dâune structure de régulation de la presse, indépendante du pouvoir public, en lâoccurrence le Conseil national de la presse, souhaité par les états généraux de la communication de mai 1995, dont vous demeurez, par ailleurs, membre du comite de suivi. Cette structure éviterait, certainement, la multiplication des procès des journalistes car ces derniers auraient pour premier juge la juridiction de leurs pairs. Il est, en effet, plus acceptable que le journaliste qui commet des dérives se voit retirer sa carte de presse par ses confrères que mis en prison par les détenteurs du pouvoir.
Aussi, le manque de dispositions légales, précises et strictes sur lâaccession à la qualité de journaliste fait quâà lâheure actuelle, notre profession est envahie par des personnes qui prennent trop de liberté avec les règles universelles et qui font la honte de ce noble métier. En termes clairs, on devrait reposer la question de savoir qui est journaliste et qui ne lâest pas.
La coutume qui fait que, dans notre pays, chaque ministre ayant la presse dans ses attributions puisse chercher é faire élaborer une loi sur la presse taillée sur mesure devrait cesser. Câest dans cette logique que nous avons appelé à une concertation avec les autorités compétentes pour que le projet de loi concocté unilatéralement par le cabinet de votre prédécesseur fasse lâobjet dâun débat par la profession avant quâil ne soit transmis à lâAssemblée constituante et législative.
Journaliste vous même et patron dâun journal, vous faites certainement le constat dâune presse congolaise pauvre, dont le tirage excède difficilement les mille exemplaires et dont le taux dâinvendus est de lâordre de 60 a 70 %. Vous savez que le journaliste ne peut normalement exercer son métier en toute indépendance de lui-même. Tous les théoriciens de lâinformation sont dâaccord sur le fait que câest lâentreprise de presse qui doit garantir, en premier lieu, lâindépendance des journalistes quâelle emploie. Cette garantie ne peut être accordée que par des entreprises de presse viables et prospères.
Tout en nous opposant farouchement à un financement sélectif de la presse, sans base juridique – qui sâapparenterait à lâachat de la conscience des journalistes par les détenteurs du pouvoir politique et économique – nous appellons à lâapplication des dispositions de la loi actuelle (portant exercice de la liberté de la presse en RDC) en matière dâaide à la presse. A ce niveau, il ne reste plus que la signature des arrêtés conjoints entre votre ministère et les ministères concernés pour appliquer ces dispositions. A titre dâexemple, il nâest pas normal quâun journaliste en reportage sur la campagne de vaccination des enfants congolais contre la poliomyélite dans le Kasai puisse payer son billet dâavion au même prix quâun commercant qui va acheter le diamant artisanal.
Nous tenons à vous dire, enfin, que notre organisation nâest pas un mouvement politique qui sâopposerait systématiquement à lâaction gouvernementale en matière de la presse. Un de nos moyens dâaction est, dâailleurs, la concertation avec les autorités publiques pour trouver des voies et moyens de défendre et de promouvoir la liberté de la presse. Câest ainsi que nous vous promettons notre collaboration tant quâil sâagira de défendre et de promouvoir la liberté de la presse dans notre pays.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Ministre, lâexpression de notre haute considération.
Mwamba wa ba Mulamba
Secrétaire général
D. MâBaya Tshimanga
Président
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ACTION RECOMMANDÃE:
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Monsieur Dominique Sakombi Inongo
Ministre de la Communication
Kinshasa/Lingwala
République démocratique du Congo
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