Le mois de mars 2021 en Europe et en Asie centrale. Un tour d'horizon de la liberté d’expressions réalisé par Cathal Sheerin, rédacteur régional de l'IFEX, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
En mars, la Turquie a démantelé les protections des droits humains et les normes démocratiques, la promesse d’un changement – à la fois bon et mauvais – en Asie centrale et le lancement d’un nouveau site Web consacré à la lutte contre les SLAPP. Ce mois a également vu les membres de l’IFEX appeler l’UE à faire face aux attaques de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovénie contre la liberté des médias, ainsi que des développements importants dans la campagne visant à tenir les autorités bélarussiennes redevables des violations des droits humains.
Demander des comptes au régime de Loukachenko
La répression des voix discordantes au Bélarus se poursuit et les journalistes, les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile continuent d’être pris pour cible par les autorités. L’Association bélarussienne des journalistes (BAJ), membre local de l’IFEX, est sous pression depuis des mois. Dans un article publié ce mois-ci, les dirigeants de BAJ décrivent cette persécution, qui comprend la fermeture de bureaux, des perquisitions à domicile, des interrogatoires de la police et d’autres types de harcèlement.
Le mois de mars a connu de nombreux actes de solidarité et des développements dans la campagne visant à demander des comptes au régime du président Loukachenko pour ses horribles violations des droits humain:
- 25 mars – « Journée de la liberté » – des militants, des politiciens et des journalistes du monde entier se sont livrés à des actes publics de solidarité avec le peuple bélarussien. Les célébrations pacifiques de la Journée de la liberté ont abouti à 245 arrestations dans le pays.
- Plus de 50 organisations de journalistes ont écrit aux chefs d’État européens, les exhortant à exiger que la Biélorussie libère tous les journalistes emprisonnés, et leur demandant de faire appel à l’ONU, à l’OSCE, au Conseil de l’Europe et à l’UE pour qu’ils prennent davantage de mesures contre les autorités du Bélarus.
- La Fédération européenne des journalistes, ARTICLE 19, et Human Rights Watch (HRW) se sont joints à d’autres groupes de défense des droits humains pour appeler le Conseil des droits humains des Nations Unies à « créer un nouveau mécanisme facilitant le processus de redevabilité pour les violations des droits humains en Biélorussie ».
- Le Conseil des droits humains de l’ONU a adopté la résolution A/HRC/46/L.19 qui demande au Commissaire des Nations Unies aux droits humains de collecter et d’analyser des informations sur la situation des droits humains au Bélarus en ce qui concerne l’élection présidentielle de 2020 et la répression des voix de l’opposition.
- Des groupes de défense des droits humains dirigés DIGNITY, organisation danoise de lutte contre la torture, ont lancé une plateforme internationale de redevabilité pour le Bélarus. Le projet rassemblera des groupes de défense des droits locaux et régionaux pour documenter et vérifier les preuves de violations des droits humains. L’initiative a été approuvée par 19 Etats.
- IFEX a lancé une nouvelle page Web, « Répression et résistance au Bélarus: une chronologie mensuelle », qui rassemble toutes les mises à jour de nos notes mensuelles détaillant le travail de nos membres et d’autres acteurs, et mettant en évidence d’autres développements clés au Bélarus.
- Le Bélarus a été disqualifié de participer à l’Eurovision 2021 après avoir soumis deux chansons, qui ont toutes deux été considérées comme ayant enfreint les règles en soumettant des chansons politisées (la première soumission contenait des paroles pro-régime pas si subtiles).
Je suis ému aujourd’hui de commémorer la journée de la liberté en Biélorussie. Je viens d’un pays qui n’est pas étranger à la lutte pour la liberté et la démocratie. Soyez sûr que l’UE condamne la persécution des personnes exerçant leurs #droitsfondamentaux #DéboutAvecBelarus
United States government official
Alors que nous commémorons la Journée de la liberté au Bélarus, nous sommes impressionnés par la résilience du peuple bélarussien face à une répression aveugle. Nous soutenons vos aspirations aujourd’hui et tous les jours à l’occasion de la Journée de la liberté. #DéboutAvecBelarus
Certains des cas individuels d’activistes ou de journalistes persécutés que les membres de l’IFEX ont soulignés ce mois-ci comprenaient: la journaliste Katsiaryna Barysevich, qui a été emprisonnée pendant six mois pour avoir couvert des manifestations; la traductrice renommée Volha Kalackaja, condamnée à deux ans d’assignation à résidence pour « hooliganisme malveillant » (elle avait été maintenue en détention provisoire pendant deux mois); le journaliste Dzyanis Ivashin, qui a été arrêté après avoir publié un article sur d’anciens policiers anti-émeute ukrainiens rejoignant les forces de police bélarussiennes; et le musicien punk Ihar Bantsar, qui a été condamné ce mois-ci à un an et demi de liberté restreinte pour « hooligan » et libéré avec une interdiction de voyager. Bantsar, qui était en prison depuis octobre 2020, était en grève de la faim depuis environ deux semaines.
Pour des mises à jour récentes sur la manière dont la répression affecte le secteur culturel bélarussien, jetez un œil à la dernière édition de PEN Belarus de Cultural Resistance in Belarus. Pour une analyse juridique de l’abus par les autorités bélarussiennes de la législation relative à « l’extrémisme » et au « discours de haine » pour faire taire les voix de l’opposition, veuillez consulter ce rapport d’ARTICLE 19 et Human Constanta. Pour en savoir plus sur l’impact de la répression de Loukachenko sur les journalistes indépendants et leurs familles, voir le récent rapport de HRW. Consultez également le rapport de BAJ sur la persécution des médias biélorusses en 2020, qui examine la situation avant et après les élections présidentielles.
« Justice partielle », démantèlement des protections des droits humains en Turquie
Vers la fin du mois, un tribunal de Turquie a condamné 27 des 76 accusés en relation avec le meurtre en 2007 du journaliste Hrant Dink. La plupart des personnes condamnées étaient membres des forces de sécurité de l’État ou des agents du renseignement et ont été condamnées à des peines de prison allant de trois ans à la perpétuité. Reporters sans frontières (RSF) a qualifié le verdict de « justice partielle », affirmant que justice ne serait rendue que lorsque toutes les personnes impliquées seraient condamnées.
Plus tôt dans le mois, Hazım Özsu, un animateur de radio local dans la province de Bursa, a été abattu à son domicile par un homme qui a dit plus tard qu’il n’aimait pas certains des commentaires d’Özsu sur la religion dans son émission de radio. Le suspect est en détention et aurait avoué le meurtre.
HRW a condamné la Turquie pour « avoir démentelé les protections des droits humains et les normes démocratiques » à la suite de deux récents développements inquiétants. Le premier d’entre eux a été le retrait brutal de la Turquie de la Convention d’Istanbul sur la prévention de la violence à l’égard des femmes, qui a vu des milliers de femmes descendre dans la rue pour manifester et des protestations des experts de l’ONU et du Conseil de l’Europe.
Les femmes en Turquie n’acceptent pas le retrait de la #ConventionIstanbul « Mon corps, mes droits, ma décision, les rues et les nuits sont à moi », scandent-elle. La déclaration dit ce qui suit: « L’État a donné un laissez-passer gratuit aux hommes qui battent leur femme. Nous ne l’acceptons pas »
#Turquie:Le retrait de la #ConventionIstanbul est un recul contre les droits des femmes et un pas en arrière très inquiétant – experts de l’ONU. Lire http://ow.ly/BqqO50E6lAO #StandUp4HumanRights
Le deuxième développement a été la décision du procureur en chef de la Cour de cassation de fermer le parti pro-kurdes Peoples’ Democratic Party (HDP). Cela est intervenu après que le parlement a expulsé le député du HDP Ömer Faruk Gergerlioğlu sous prétexte de sa condamnation (et de sa peine imminente de 2.5 ans de prison) pour une publication sur les réseaux sociaux en 2016. En signe de protestation, Gergerlioğlu, bien connu pour son travail en faveur des droits humains, a refusé de quitter le parlement et a été arrêté en pyjama au moment où il se préparait à prier.
Horrible nouvelle du Parlement turc. Le défenseur des droits humains Gergerglioglu a été arrêté plus tôt dans la journée. #GergerliogluDetained
Le député #HDP au franc-parler @gergerlioglueng arrêté au parlement. Le député HDP Sirnak @avhuseyinkacmaz dit que Gergerlioglu a été arrêté alors qu’il était sur le point de prier et que la police l’a emmené en pyjama! Après la révocation du statut de @gergerliogluof plus tôt, il a refusé de quitter le parlement @kisadalgamedya
Plus tôt dans le mois, le président Erdoğan a annoncé un Plan d’action des droits humains pour la Turquie, ce qui semble ironique compte tenu de la répression continue de son gouvernement contre la presse, les médias sociaux, les militants des droits humains et la société civile en général. Le plan a été critiqué par les défenseurs des droits pour son « manque de calendrier de mise en œuvre clair, l’exclusion des ONG dans le mécanisme de protection des droits humains et le fait de ne pas formuler les mesures à prendre dans un langage concret », ce qui « suscite des doutes sur la mise en œuvre du plan ».
Asie centrale: des pas en avant, des pas en arrière
Un nouveau projet de constitution controversé sera soumis à un référendum national au Kirghizistan le 9 avril. Si les électeurs approuvent la nouvelle constitution, cela pourrait être un grand pas en arrière pour les droits et la démocratie. Le projet a été soumis au parlement par le nouveau président, Sadyr Japarov, un nationaliste populiste (qui, jusqu’à ce que ses partisans le sortent de prison l’année dernière, purgeait une longue peine de prison pour avoir kidnappé un homme politique local). HRW et le Media Policy Institute ont averti que le projet de constitution augmente considérablement le pouvoir du président et érode les freins et contrepoids. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (BIDDH) et la Commission de Venise du Conseil de l’Europe ont soulevé des inquiétudes similaires.
Ces dernières années, l’Ouzbékistan a pris des mesures pour améliorer son affreux bilan en matière de droits humains, bien que de graves violations des droits soient encore très courantes. Un nouveau projet de code pénal promet des changements, mais pas assez. HRW a noté quelques améliorations modestes mais bienvenues dans le projet, mais souligne également qu’il « conserve de nombreuses dispositions qui violent les droits à la liberté d’expression, d’association et de religion », tout en ne respectant pas les protections pour les femmes et les personnes LGBTQI+.
L’Ouzbékistan est l’un des deux seuls pays d’Europe et d’Asie centrale (l’autre étant le Turkménistan) où les relations sexuelles consensuelles entre hommes constituent un crime. Ce mois, HRW a appelé à la dépénalisation, affirmant que la situation actuelle laisse les hommes homosexuels vulnérables à « la détention arbitraire, les poursuites et l’emprisonnement ainsi que l’homophobie, les menaces et l’extorsion ». Les médias sociaux ouzbeks ont connu de nombreux débats sur les droits des LGBTQI+ ces derniers jours et le 28 mars a vu une manifestation dans la capitale ouzbèke, Tachkent, pour protester contre la dépénalisation des relations sexuelles consensuelles entre hommes (même s’il n’est pas prévu de dépénaliser). Le même jour, Miraziz Bazarov, un blogueur qui soutient ouvertement les droits LGBTQI+, a été hospitalisé après une attaque brutale par une foule homophobe à Tachkent.
Miraziz Bazarov, un blogueur ouzbek, qui soutient ouvertement les droits #LGBT, est hospitalisé après avoir été sévèrement battu par des radicaux ce soir. Jambe cassée, commotion cérébrale. Il reçoit depuis un certain temps des menaces de mort de la part de blogueurs islamistes. Il les a dénoncés mais la police n’a rien fait #Ouzbekistan
Alors qu’une vision conservatrice, patriarcale et souvent homophobe est dominante dans les États d’Asie centrale, les femmes et les militants des droits LGBTQI+ détruisent continuellement les structures de pouvoir traditionnelles résistantes au changement, parfois avec succès.
Ce mois-ci, les autorités d’Almaty, au Kazakhstan, ont autorisé, pour la première fois, la tenue d’une marche pour la journée internationale de la femme. Les manifestants ont appelé à l’égalité et au respect des droits des femmes, à la pénalisation de la violence domestique et à l’adoption d’une nouvelle loi sur la lutte contre la violence domestique qui est bloquée au parlement.
Le mois prochain, les élections au conseil local du Kirghizistan constitueront un test intéressant de sa loi de 2019 sur le quota de genre, qui réserve 30% des sièges dans chaque conseil de village aux femmes. Au total, 9 800 femmes se présentent à des postes dans 448 conseils locaux à travers le pays, ce qui signifie que plus de 2 800 d’entre elles sont assurées d’obtenir des sièges. Dans un article pour The Diplomat, Colleen Wood reconnaît que le quota de genre n’est « pas une panacée pour les problèmes auxquels les femmes sont confrontées », mais soutient que ce « coup de pouce » pour inclure les femmes dans la politique locale « va remettre en question et changer les stéréotypes de genre, pour donner aux femmes une chance de lutter de front contre les enlèvements de mariées et la violence domestique, et d’acquérir une expérience indispensable pour briguer des postes de plus haut niveau ».
Travailler ensemble
En mars, la Coalition contre les SLAPPs en Europe (CASE) a lancé son site Web qui est dédié à la lutte contre les poursuites stratégiques contre la participation publique (SLAPP- Strategic Lawsuits Against Public Participation ), c’est-à-dire les poursuites bâillons utilisées par les riches et les puissants pour intimider et faire taire les journalistes d’investigations et les activistes. Plus de 100 groupes de défense des droits et de la presse (dont IFEX et des membres de l’IFEX) ont signé une déclaration conjointe pour coïncider avec le lancement, appelant le Conseil de l’Europe à une recommandation pour lutter contre la menace à la liberté d’expression posée par les SLAPPs.
Plusieurs membres de l’IFEX se sont joints à d’autres groupes de défense des droits pour appeler les députés européens à rejeter le règlement relatif au contenu terroriste en ligne, qui sera débattu au Parlement européen le 28 avril. Les groupes soutiennent que le règlement pose de graves menaces aux droits à la liberté d’expression, à l’accès à l’information, à la vie privée et à l’état de droit. Les détails de ses failles peuvent être trouvés ici.
IFEX et les membres de l’IFEX se sont également joints à d’autres groupes de défense de la liberté de la presse pour appeler l’UE à agir face aux menaces à la liberté des médias en Hongrie, en Pologne et en Slovénie. Dans une déclaration conjointe, ces groupes décrivent comment le gouvernement hongrois, « par l’utilisation abusive des outils législatifs, réglementaires et administratifs, a muselé les médias critiques tout en créant un vaste éventail de thuriféraires du gouvernement qui dominent le paysage médiatique national », fournissant ainsi un mauvais exemple à la Pologne et la Slovénie qui suivent le même chemin sombre. Veuillez consulter la déclaration pour une liste de nos recommandations.