"L’adoption précipitée de cette loi à l’approche des législatives, prévues en octobre, fait craindre son utilisation pour censurer des médias indépendants et d’opposition."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 26 août 2021.
Sous couvert de lutte contre la désinformation, le président du Kirghizistan a signé une loi permettant aux autorités de supprimer, sur simple demande, des informations qu’un citoyen considère comme mensongères à son égard. Reporters sans frontières (RSF) appelle au retrait immédiat de cette loi qui peut être utilisée pour censurer les médias.
C’est un texte qui pourrait s’avérer dangereux pour la liberté d’informer au Kirghizistan. Prétextant vouloir lutter contre les fausses informations sur Internet, les autorités du pays ont adopté une nouvelle loi qui protège le “droit à l’honneur, à la dignité et la réputation d’une personne”. Celle-ci autorise n’importe quel citoyen à demander la suppression de toute information en ligne qui lui porterait atteinte devant un “organisme administratif habilité” et ce, sans aucun contrôle judiciaire. Ainsi, tout type de contenu en ligne contesté devra désormais être supprimé sous 24 heures sous peine de blocage complet de la page ou du site Internet. Les fournisseurs d’accès seront également soumis à l’obligation de bloquer ces informations.
La loi, signée par le président Sadyr Japarov, a été adoptée en violation de la Constitution du Kirghizistan et des procédures législatives en vigueur. Après un premier rejet en juin dernier, une nouvelle version légèrement modifiée a été adoptée par le Parlement en juillet, sans respecter le délai de six mois obligatoire avant le réexamen d’un texte rejeté.
“L’adoption précipitée de cette loi à l’approche des législatives, prévues en octobre, fait craindre son utilisation pour censurer des médias indépendants et d’opposition, affirme la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, Jeanne Cavelier. Elle s’inscrit à l’encontre de la Constitution kirghize et du droit international : une autorité publique ne peut restreindre, sans contrôle judiciaire, le droit à la liberté d’expression ni juger elle-même qu’une information est vraie ou fausse. Les plaignants dans les affaires de protection de l’honneur étant principalement des représentants des autorités, cette loi pourra devenir un véritable instrument de censure pour faire taire les voix critiques du pouvoir. Nous appelons à son retrait immédiat.”
Les autorités avaient déjà tenté de faire passer une telle mesure en 2020 avec une proposition de loi “sur la manipulation de l’information« , rejetée, et dont le texte est une version remaniée. Cette première proposition avait été vivement critiquée par RSF, qui avait fait part de ses craintes aux deux députées à l’origine du texte. La version remaniée est non seulement dangereuse mais elle est aussi inutile, puisqu’il existe déjà une loi protégeant l’honneur et la dignité des citoyens kirghizes, offrant la possibilité de trancher ce type de litige devant un tribunal.
Le Kirghizistan, république instable d’Asie centrale, a une histoire mouvementée et a connu des révolutions en 2005 et 2010. Les dernières élections législatives, le 4 octobre 2020, avaient été suivies de manifestations de grande ampleur après la contestation des résultats par l’opposition et lors desquelles des journalistes avaient été agressés. Une crise politique qui avait conduit, en janvier 2021, à l’élection de Sadyr Japarov, un leader de l’opposition à la réputation populiste, à la tête du pays.
Le pays occupe la 79e place au Classement mondial de la liberté de la presse 2021 établi par RSF.