Dans un article, Lola Karimova est suspectée de vouloir "blanchir l'image de son pays" par le biais d'événements charitables.
(RSF/IFEX) – Le 18 mai 2011 – Demain, 19 mai 2011, un procès des plus inhabituels doit s’ouvrir devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris : y sera examinée la plainte en diffamation déposée par Lola Karimova, fille du président ouzbek Islam Karimov, contre le site d’information Rue89.
« Les motifs de l’accusation prêteraient à rire si la situation des droits de l’homme en général, et de la liberté de la presse en particulier, n’était pas catastrophique en Ouzbékistan. Dans son pays, Lola Karimova n’aurait pas eu besoin de saisir la justice pour faire taire un média trop critique. Et en tant que justiciable, elle n’aurait guère eu droit aux garanties procédurales qui lui sont offertes en France. L’instrumentalisation de la justice de pays démocratiques par des despotes ou leurs proches est un scandale qui mérite d’être rappelé », a réagi Reporters sans frontières.
Lola Karimova réclame 30 000 euros au titre de préjudice pour un article publié le 20 mai 2010, intitulé « Sida : l’Ouzbékistan réprime à domicile mais parade à Cannes ». Son auteur, le journaliste Augustin Scalbert, y rapportait l’organisation à Cannes d’un gala de charité, « Cinéma contre le sida », en présence de la sœur aînée de Lola, Gulnara. Et ce, alors qu’un jeune militant ouzbek venait d’être condamné à sept ans d’emprisonnement pour avoir diffusé des brochures de prévention contre le VIH jugées « contraires aux traditions du peuple ». Outrée par l’expression « filles de dictateur » employée dans l’article, Lola Karimova n’a pas non plus supporté d’être suspectée de vouloir « blanchir l’image de son pays ». Arguant de la mention d’une somme d’argent (celle qu’avait perçu l’actrice Monica Bellucci pour intervenir lors d’un autre gala organisé par les filles Karimova) à quelques lignes de cette expression, elle accuse Rue89 de la mettre en cause, implicitement, pour blanchiment d’argent.
Ce procès peut avoir une utilité : il doit être l’occasion de braquer les projecteurs sur cette sombre dictature, trop souvent oubliée. L’organisation souligne le bilan désastreux en matière de liberté de la presse d’une régime qui s’est encore durci ces derniers mois.
N’en déplaise à sa fille, Islam Karimov, régnant sans partage sur son pays depuis 1989, en ne tolérant aucune véritable opposition et en s’appuyant sur la peur, n’est pas seulement un dictateur, au sens où l’entendent tous les politologues classiques. Il figure aussi en bonne place sur la liste des « prédateurs de la liberté de la presse » publiée chaque 3 mai par Reporters sans frontières.
Au moins onze journalistes sont toujours incarcérés en Ouzbékistan, dans des conditions de détention épouvantables. Et la chute de ses homologues arabes a visiblement renforcé la paranoïa du dictateur ouzbek, qui a encore renforcé la pression sur les médias depuis le début de l’année. Ceux-ci doivent désormais prévenir les autorités avant de rencontrer des officiels étrangers. Les journalistes indépendants sont harcelés en permanence. Deux journalistes de la télévision publique Yoshlar, Saodat Omonova et Malohat Eshankoulova ont été licenciées et victimes de pressions, après avoir manifesté dans le centre de la capitale, Tachkent, pour dénoncer la censure et la corruption au sein de la chaîne – un acte d’une audace et d’un courage inouïs dans ce pays où le silence est d’or. Le 5 mai 2011 encore, les journalistes indépendants Vassily Markov et Ruslan Karimov ont été détenus par les forces de police alors qu’ils enquêtaient sur les nombreux suicides dans la province de Kachkadaria, au sud du pays. Témoigner de la vie quotidienne et des problèmes de la société ouzbèke est une gageure pour les journalistes.
En Ouzbékistan, la censure semble n’avoir aucune limite. L’Internet n’y échappe pas. Les sites du journal russe Russki reporter et de l’Institute for War and Peace Reporting sont dernièrement venus s’ajouter à la longue liste des adresses inaccessibles dans le pays. Et début mars, le dernier espace de liberté, les télécommunications et l’Internet mobiles, ont été priées de rentrer dans le rang : les compagnies de téléphonie mobile ont reçu l’ordre de signaler instantanément toute circulation massive de messages SMS au « contenu suspect ». A tout moment, le pouvoir peut leur ordonner de couper l’accès aux réseaux internet.
Les autorités n’ont peur de rien. En mars 2011, une campagne a été lancée dans les médias étatiques contre le rock’n roll et le rap, musiques « sataniques », crées par des « forces diaboliques », « s’avançant tels des nuages sombres sur les têtes de la jeunesse ouzbèke. »
Malgré cela, Islam Karimov ne serait donc pas un dictateur ? Le 13 mai dernier était tristement commémoré le sixième anniversaire du massacre d’Andijan, qui a fait des centaines de morts. De nombreuses ONG soulignent que la situation des droits de l’homme, largement bafoués par l’Etat ouzbek, ne fait qu’empirer depuis. L’opposition politique a été réduite à néant. Les militants des droits de l’homme ne peuvent plus accéder au pays. En mars 2011, Human Rights Watch, présente envers et contre tout sur le terrain depuis 15 ans, a été obligée de fermer son bureau de Tachkent. L’ONG avait notamment fait état des tortures et des mauvais traitements, devenus monnaie courante dans les geôles ouzbèkes.
Le 24 janvier 2011, lors de la discrète visite à Bruxelles d’Islam Karimov, la question des libertés fondamentales n’a que trop peu été abordée. Malgré elle, Lola Karimova parviendra peut être à ce que soit enfin brisé le silence assourdissant de la communauté internationale sur les violations massives des droits de l’homme en Ouzbékistan.