(RSF/IFEX) – Ci-dessous, une lettre ouverte de RSF au Ministre israélien de la Justice Meir Sheetrit : Paris, le 14 septembre 2001 Monsieur le Ministre, Nous sommes aujourd’hui révoltés par la décision de la justice israélienne de clore l’enquête sur le tir qui a touché, en mai 2001, Bertrand Aguirre, journaliste de la chaîne de […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, une lettre ouverte de RSF au Ministre israélien de la Justice Meir Sheetrit :
Paris, le 14 septembre 2001
Monsieur le Ministre,
Nous sommes aujourd’hui révoltés par la décision de la justice israélienne de clore l’enquête sur le tir qui a touché, en mai 2001, Bertrand Aguirre, journaliste de la chaîne de télévision TF1.
Eran Shangar, directeur du bureau des affaires internes à la police, la justifie en ces termes dans une lettre adressée au reporter : « Après avoir examiné les éléments du dossier, j’ai décidé de ne pas traduire en justice le policier, faute de preuves suffisantes. » Rien n’est plus faux.
Quand Bertrand Aguirre est blessé par une balle réelle à Ramallah (Cisjordanie), trois équipes de télévision différentes filment simultanément la scène. On y voit clairement un garde-frontière israélien descendre de son véhicule, ajuster calmement son arme et, cigarette à la bouche, ouvrir le feu à balles réelles, à hauteur d’homme, à une distance d’environ 100 mètres. Le journaliste, qui vient de finir un « plateau » et qui tient encore à la main son micro allumé, est touché en pleine poitrine. Par chance, le projectile est arrêté in extremis par la plaque de blindage de son gilet pare-balles. Les enquêteurs disposaient donc de toutes les preuves nécessaires pour savoir à qui imputer la responsabilité du tir.
Cette décision est d’autant plus grave qu’elle démontre la volonté évidente des autorités israéliennes de ne pas sanctionner les auteurs de tels actes, alors qu’ils auraient pu coûter, en l’occurrence, la vie à un journaliste. Elle constitue dès lors un véritable encouragement à l’impunité.
Elle est par ailleurs un démenti total de toutes les promesses qui nous avaient été faites. Interrogé par Reporters sans frontières (RSF) en juillet 2001, Olivier Rafowicz, porte-parole de l’armée, affirmait : « Nous allons regrouper ces enquêtes et les publier ; je m’y engage personnellement. Il faut expliquer ce qui s’est passé et montrer les erreurs s’il y en a eu. Nous voulons vraiment établir la vérité. » Dans le même temps, lorsque RSF a demandé des engagements sur les sanctions dont feraient l’objet les auteurs des tirs, les autorités nous ont répondu : « Il va de soi que s’il était établi, après vérification des faits, qu’un membre des forces israéliennes a blessé un journaliste, l’autorité hiérarchique dont il relève mettrait en oeuvre les sanctions prévues par la loi et les règlements applicables. » C’est à croire que ces déclarations n’étaient que des effets d’annonce.
Le double langage tenu par les autorités israéliennes renforce notre sentiment d’avoir été dupés. Bertrand Aguirre le partage : « Cette décision indique clairement que les dés sont pipés. J’avais joué le jeu. Je leur avais donné tous les éléments pour l’enquête. On voit ici que la voie classique, c’est-à-dire la justice, ne sert à rien. Je ne vais vraisemblablement pas faire appel. Cela démontre clairement qu’ils ne veulent pas voir la réalité en face. »
RSF avait déjà fait part de ses inquiétudes quant au bon déroulement des enquêtes relatives aux tirs de Tsahal sur les journalistes dans un rapport intitulé « Etude sur 45 cas de journalistes blessés par balles dans les territoires occupés depuis le 29 septembre 2000 ». Il a été présenté aux autorités israéliennes, le 26 juillet 2001, lors d’une conférence de presse à Jérusalem, en présence de Danny Seaman, directeur de l’Office de presse gouvernemental.
En ce jour de deuil international, nous n’osons imaginer qu’il soit tiré profit de l’actualité et de l’émotion liée aux attentats perpétrés le 11 septembre dernier aux Etats-Unis pour enterrer cette affaire.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général