Mars 2023 en Afrique. Tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé, sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Mars a été un mois de chaos sur le continent africain, avec une montée du sentiment homophobe au Kenya et en Ouganda, une répression impitoyable des manifestations au Mozambique, en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigeria et au Sénégal, et la suspension de médias français au Burkina Faso.
Allégresse à la libération d’Olivier Dubois
Une bonne nouvelle pour commencer. Une lueur d’espoir a été déclenchée par la libération du journaliste indépendant français Olivier Dubois. Le 20 mars, Dubois est arrivé à l’aéroport nigérien de Niamey, à la suite de négociations menées par les autorités nigériennes. Il avait été retenu captif pendant 711 jours par un groupe armé au Mali.
Dubois avait disparu le 8 avril 2021 et son enlèvement avait été confirmé par un message vidéo, dans lequel Dubois disait avoir été enlevé à Gao par le « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » (JNIM).
[ Traduction : Lundi, Emmanuel Macron a remercié le Niger pour son aide à obtenir la libération du journaliste français Olivier Dubois, retenu en otage au Mali depuis près de deux ans, a indiqué la présidence française dans un communiqué. ]
Dans un incident partiellement lié à cette affaire, la junte militaire du Burkina Faso a temporairement suspendu la diffusion de France 24 dans le pays.
Selon un article de la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), le gouvernement burkinabé « « se désole de voir que le chef d’une organisation terroriste comme AQMI et reconnue comme telle par l’ensemble de la communauté internationale puisse bénéficier des largesses éditoriales de France 24 pour s’exprimer longuement sur les antennes de la chaîne ».
La station de radio française a déclaré que bien qu’ils aient eu une interview exclusive avec Abou Obeida Youssef al-Aanabi, le chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), il n’a été invité à parler directement sur aucune de leurs émissions et France24 n’avait fait que rapporter ses commentaires.
« De plus, cette interview nous a permis d’avoir confirmation pour la première fois que l’otage français Olivier Dubois, qui a depuis été libéré, était détenu par AQMI », a ajouté France 24.
En décembre dernier, la junte militaire a également suspendu les émissions de Radio France Internationale (RFI) pour « avoir relayé un message d’intimidation attribué à un chef terroriste », comme l’a rapporté le Comité pour la protection des journalistes.
L’homophobie en hausse
« L’Ouganda parmi les pires » : une loi punitive anti-gay
Alors que le projet de loi antihomosexualité de 2023 attend la signature du président Yoweri Museveni, les mères de personnes LGBTQI+ en Ouganda ont écrit une lettre ouverte au chef de l’État l’implorant de ne pas la promulguer.
« Nos enfants ne sont pas des punching balls ; nos enfants ne sont pas des ennemis de l’État. Nos enfants ne sont pas dégoûtants. Nos enfants ne sont pas l’un des noms désobligeants auxquels ils ont eu droit ; nos enfants ne sont pas des criminels ou anti-gouvernement. Nos enfants sont plus que leur sexualité et leur identité de genre. Nos enfants sont des citoyens ougandais, tout comme vous et [nous]. »
Volker Turk, le haut-commissaire des Nations Unies aux droits humains, a déclaré que « [l]’adoption de ce projet de loi discriminatoire, probablement l’un des pires du genre au monde, est un développement profondément troublant ». Il imposerait la peine de mort dans certaines circonstances, ce que les experts de l’ONU ont qualifié de « violation flagrante des droits de l’homme ».
Le projet de loi vise également à proposer des peines de prison de 10 ans pour les relations homosexuelles et va même jusqu’à prescrire des mesures punitives pour les membres de la famille ou les amis qui soutiennent les personnes LGBTQI+ ou qui ne les dénoncent pas aux autorités.
Kenya : chercher le salut en marginalisant l’homosexualité ?
Au Kenya, pays voisin, l’indignation morale a éclaté lorsque la Première Dame Rachel Ruto a appelé à des prières nationales contre l’homosexualité. Selon un reportage de la Kenya Broadcasting Corporation, elle a déclaré : « Nous ne souhaitons pas avoir cette conversation sur les LGBTQ parce que ce n’est pas ce que disent notre tradition ou notre religion dans ce grand pays qu’est le Kenya ».
La réaction de la Première Dame a été déclenchée par une décision de février 2023 de la Cour suprême du Kenya autorisant la Commission nationale des droits humains des gays et lesbiennes (NGLHRC) à s’enregistrer officiellement en tant qu’organisation non gouvernementale (ONG).
[ Traduction: Lors de la Journée #ZeroDiscrimination, nous applaudissons la récente décision de la Cour suprême du Kenya affirmant le droit de @NGLHRC de s’enregistrer en tant qu’ONG, défendant la non-discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de la liberté d’association. ]
[ FLASH: Victoire pour la communauté LGBTIQ+ du Kenya : la Cour suprême affirme le droit de la Commission nationale des droits humains des gays et lesbiennes de s’enregistrer en tant qu’ONG. #EqualityWins #FreedomOfAssociation #Victory #JusticePrevails ]
La demande de l’organisation à s’enregistrer en tant qu’ONG, datant de 2013, avait été initialement refusée par le Conseil de coordination des organisations non gouvernementales. Comme Human Rights Watch l’a rapporté à l’époque, le Conseil avait refusé au motif que « le nom de l’organisation était « inacceptable » et qu’il ne pouvait pas l’enregistrer car le code pénal du Kenya criminalise les relations gays et lesbiennes ». La décision a été contesté avec succès par l’ancien directeur exécutif du NGLHRC, Eric Gitari, devant la Haute Cour.
L’adoption du projet de loi contre l’homosexualité 2023 en Ouganda et la position anti-gay de la première famille kenyane ont enhardi les discours de haine contre les communautés LGBTQI+ dans les deux pays. Amnesty International s’est dite préoccupée par « l’augmentation des commentaires malveillants en ligne et hors ligne, de profilage et de manifestations publiques d’hostilité contre des personnes qui s’identifient comme intersexes, gays, lesbiennes ou non binaires ».
La justice sociale au cœur des contestations
Mars a vu une vague de protestations à travers l’Afrique. Les problèmes graves soulevés par les citoyens du Mozambique, du Nigéria, du Kenya et du Sénégal allaient de la corruption à la hausse du chômage, en passant par des résultats électoraux contestés et le coût de la vie élevé.
Les autorités du Mozambique ont répondu aux manifestations pacifiques en tirant des gaz lacrymogènes, en agressant les manifestants et en ciblant les organisateurs. Les manifestations nationales de jeunes à travers le pays, qui avaient été autorisées au préalable, ont été organisées pour honorer le rappeur contestateur et féroce critique du gouvernement Azagaia, décédé plus tôt dans le mois. L’icône de 38 ans évoquait l’injustice sociale, le changement climatique, la maltraitance des personnes par les autorités, la pauvreté et la corruption.
[ Traduction : Un groupe de jeunes se tient aux portes de la cathédrale de Maputo en train de dire un Notre Père, tandis que la police anti-émeute tire des gaz lacrymogènes. C’était aujourd’hui, au Mozambique, lorsque la police a dispersé des centaines de jeunes qui voulaient défiler en hommage au rappeur Azagaia. ]
Amnesty International pense que la police « visait à réprimer les manifestations, avec l’intention de minimiser l’héritage d’Azagaia au Mozambique ». Elle a appelé les autorités à « enquêter rapidement sur les policiers qui ont arrêté des gens à Maputo et les ont battus, et à veiller à ce qu’ils soient traduits en justice pour violation des droits humains des manifestants, y compris dans le droit international ».
Les retards dans l’annonce des résultats des élections de février au Nigeria, associés à un résultat contesté, ont déclenché une série de manifestations dans le pays. La première, le 6 mars, était dirigée par le candidat arrivé en deuxième position, Atiku Abubakar du Parti démocratique des peuples. Elle a été suivie par des manifestations quotidiennes lancées par des organisations de la société civile voulant contraindre la Commission électorale nigériane indépendante à revoir l’élection présidentielle, celle des gouverneurs et des parlementaires en février et mars.
Le paysage pré-électoral du Nigéria a été marqué par une flambée de violence, de profondes divisions, des intimidations et des irrégularités dans les listes électorales qui ont abouti à une journée de scrutin chaotique et mal gérée. Media Rights Agenda et International Press Centre, membres de l’IFEX, ont documenté de nombreuses violations contre le personnel des médias pendant la période pré et post-électorale. Des journalistes ont été attaqués à la fois par des agents de sécurité et des militants de partis politiques, et, dans de nombreux cas, leurs téléphones ont été saisis et les images supprimées.
Au Kenya, pays voisin, les accusations de fraude électorale et la cherté de la vie ont poussé les Kényans à descendre dans la rue. Leurs manifestations ont été brutalement réprimées par les services de sécurité et d’État, entraînant la mort de William Mayange, étudiant de troisième année à l’université de Maseno au Kenya, ainsi que de nombreux blessés et l’arrestation de plus de 200 manifestants.
Les journalistes couvrant les manifestations ont fait les frais de la violence ; le Conseil des médias du Kenya a décrit le mois de mars 2023 comme le « mois le plus sombre » pour les médias kenyans. La Kenyan Editors Guild a publié une déclaration exprimant son inquiétude face aux violentes attaques contre les journalistes couvrant les manifestations d’Azimio à Nairobi.
Amnesty International rapporte que bien avant les élections prévues au Sénégal en 2024, les autorités ont « réprimé les droits humains, restreint l’espace civique, interdit les manifestations et détenu un journaliste et des personnalités de l’opposition ». Les manifestations en cours dans le pays sont centrées sur ce que les fervents partisans du politicien Ousmane Sonko considèrent comme une campagne de diffamation et une attaque ciblée contre ce dirigeant de l’opposition.
En mars, Sonko a été condamné à deux mois de prison avec sursis pour diffamation pour avoir accusé le ministre du Tourisme de détournement de fonds. Bien que cette condamnation n’affecte pas son droit à se présenter à la présidentielle, des accusations de viol remontant à 2021 pourraient avoir un résultat différent. S’il est reconnu coupable, il sera disqualifié et ne pourra se présenter à cette fonction.
[ Traduction : Les forces de sécurité du #Senegal et la population s’affrontent alors que les manifestations se propagent à travers Dakar. Des dommages matériels et une répression violente ont été signalés. Le dirigeant de l’opposition, Ousmane Sonko, est actuellement au tribunal]
Les médias se retrouvent pris au milieu des audiences au tribunal et des affrontements. Le déclin de la liberté de la presse au Sénégal a été progressif mais évident. Des organes de presse ont été attaqués ou empêchés de couvrir l’actualité et le personnel des médias a été harcelé et intimidé. Deux journalistes en particulier, Papa Ndiaye et Pape Ale Niang, ont été interpellés, puis de nouveau arrêtés pour leurs reportages sur Sonko et ses audiences au tribunal.
En bref
L’article de fond du Nigérian Adekunle Adebajo, Keeping up with the Chibok Girls, et le reportage du Zimbabwéen Farai Shawn Matiashe sur une coopérative de pêche entièrement féminine sur le fleuve Zambèze ont reçu le prestigieux Prix Michael Elliott pour l’excellence dans la narration africaine.
Le FESPACO – le plus grand festival du film du continent, qui se tient tous les deux ans à Ouagadougou, au Burkina Faso – s’est déroulé malgré les problèmes de sécurité liés aux troubles et à la menace terroriste auxquels est confronté ce pays d’Afrique de l’Ouest.
MFWA a réfuté les affirmations du président Nana Akufo Addo lors de son discours sur l’état de la nation où il a évoqué la situation enviable de la liberté des médias au Ghana. Comme MFWA le souligne : « Bien que la liberté d’expression soit garantie par la Constitution du Ghana de 1992, cette liberté est compromise lorsque ceux qui l’exercent craignent des représailles sous forme de menaces, d’arrestations et d’agressions physiques, comme cela a été le cas pour de nombreux journalistes et militants sous l’administration du président Akufo-Addo ».
Quatre-vingt-six organisations de la société civile ont réitéré leur appel aux autorités du Rwanda pour qu’elles autorisent une enquête indépendante, impartiale et efficace sur les circonstances suspectes entourant la mort du journaliste John Williams Ntwali.