RSF appelle le Premier ministre à garantir la liberté des médias, victimes de censure et de violences, et dont l'indépendance est fortement remise en cause par l'ingérence politique de la coalition au pouvoir.
(RSF/IFEX) – Le 15 mai 2012 – Reporters sans frontières appelle le Premier ministre, Najib Razak, à garantir la liberté des médias, victimes de censure et de violences, et dont l’indépendance est fortement remise en cause par l’ingérence politique de la coalition au pouvoir. Dans une lettre ouverte, l’organisation appelle à l’annulation, sans délai, de la décision du ministère de l’Intérieur de ne pas accorder de licence de publication au site d’information Malaysiakini. Une décision contestée le 11 mai 2012 devant la Cour suprême par les avocats du média en ligne. Cette affaire, parallèlement aux violations de la presse en marge de Bersih 3.0, révèle la volonté de contrôle de l’information par le gouvernement sa crainte du développement des médias indépendants dans le pays.
Monsieur le Premier ministre,
Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté d’information, souhaite attirer votre attention sur la dégradation des conditions de travail des médias, et sur le manque de liberté d’information, en terme de diffusion et d’accès, qui constituent des menaces sérieuses à l’aune des élections générales, censées se tenir dans les prochains mois.
A votre arrivée au pouvoir, vous aviez appelé les médias à vous critiquer et aviez également promis plus de libertés, tout en annulant l’interdiction temporaire imposée à deux journaux d’opposition, le Suara Keadilan, journal du parti Keadilan, et le Harakah, journal du parti islamique PAS. Pourtant, l’espoir suscité par ces signes prometteurs d’une plus grande liberté pour les médias a été de courte durée. En 2009 et 2010, la position de la Malaisie dans le classement mondial de la liberté de la presse n’a cessé de se dégrader. Si l’année 2011 a vu une remontée du pays dans le classement, que vous n’avez pas manqué de mentionner dans votre déclaration du 19 mars dernier, celle-ci s’explique davantage par la dégradation de la liberté de la presse dans un certain nombre d’autres pays que par une réelle amélioration de la situation de la liberté d’information dans le vôtre.
Aujourd’hui, de nombreux problèmes persistent, pour lesquels nous souhaitons vous adresser nos attentes.
La très faible couverture du rassemblement de Bersih 3.0, le 28 avril dernier, par les principaux médias et la censure scandaleuse des programmes de la BBC, témoignent de l’urgence de permettre à des médias indépendants, tels que Malaysiakini, d’apporter une information libre de toute influence partisane à vos concitoyens.
En ce sens, le refus, sans fondement, par le ministère de l’Interieur, d’accorder une licence de publication à Malaysiakini, est non seulement contraire à l’encouragement d’une presse critique et indépendante, mais est aussi en contradiction directe avec la Constitution malaisienne qui garantit l’égalité devant la loi dans son article 8, et la liberté d’expression dans son article 10.
Ce refus est d’autant plus inquiétant qu’il intervient quelques jours seulement après le rassemblement de Bersih 3.0, dont la faible couverture médiatique a démontré le manque d’indépendance de la presse écrite malaisienne, dénoncé à maintes reprises par des journalistes, y compris certains appartenant aux principaux médias sous influence de l’UMNO.
Les sites d’informations et les blogs ont fleuri ces dernières années comme une alternative à des médias traditionnels sous contrôle du pouvoir. Les nouveaux médias, et en particulier Malaysiakini, qui produit un journalisme de qualité et aborde des sujets importants, ont gagné une véritable crédibilité et participent de l’information de la population malaysienne. Leur essor doit être encouragé, et non contrôlé.
Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que la caricaturiste Zunar a engagé une poursuite au civil contre la police et votre gouvernement pour arrestation et détention illégales, perte de livres d’art, confiscation de 66 ouvrages de caricatures à la suite d’un raid policier, ainsi que perte de revenus résultant de l’incapacité de vendre les dits ouvrages. La prochaine audience du procès doit se tenir le 28 mai prochain.
Recommandations de Reporters sans frontières :
La Justice devant être sollicitée à plusieurs reprises dans les jours et les semaines qui suivent, Reporters sans frontières espère fortement que cette dernière répondra à son devoir de protection des médias et de garante des droits fondamentaux que sont la liberté de la presse et de l’information :
* Malaysiakini doit se voir accorder une licence de publication. Les demandes futures de médias en ligne désireux de bénéficer d’une publication imprimée, devront etre examinées en toute équité, sans que la ligne éditoriale ou politique d’un média critique du gouvernement ne soit utilisée contre lui.
* Une remise en question du pouvoir discrétionnaire du Ministère de l’Intérieur dans la décision d’accorder ou de renouveler des licences à la presse, doit être menée à bien. Les récents amendements du Printing Presses and Publications Act 1984 (PPPA), insuffisants à bien des égards, appellent une réforme en profondeur de la loi, qui continue de permettre au gouvernement de faire pression sur toutes les voix qu’elle jugent trop critiques à son égard.
* Les atteintes physiques, psychologiques, materielles et financières à l’encontre du caricaturiste Zunar, doivent etre reconnues par la Cour. Un terme doit être mis à la censure illégitime de ses ouvrages.
* Votre gouvernement doit également prendre des engagements concrets en faveur de l’indépendance des médias, afin qu’aucune influence externe ne puisse entraver le bon fonctionnement des médias, et que des cas de censure, telle que celle observée sur la Chaine Astro TV, ne puissent plus se reproduire.
* Nous vous demandons d’abroger la nouvelle loi sur les délits liés à la sécurité (Security Offences Act). Si cette tentative de réforme de la loi sur la sécurité intérieure, l’ISA (Internal Security Act), surnommée la « terreur blanche », est certes respectable, elle n’est pas suffisante. En effet, la Security Offences Act pérénise des pratiques autoritaires qui demeurent en contradiction avec la transition démocratique à laquelle votre gouvernement s’est engagé et l’ouverture dont il se targue.
La liberté de la presse en Malaisie est loin d’etre acquise. A la veille des élections générales, il nous semble essentiel que vous vous prononciez publiquement sur des problèmes aussi cruciaux et concernant le futur de la liberté d’information et d’expression en Malaisie.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre demande et, dans l’attente d’une réponse favorable, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.
Olivier Basille
Directeur général