"Les quatre condamnations déjà prononcées illustrent ce climat de peur que le palais tente d’instaurer au sein de la profession." - RSF
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 10 septembre 2024.
Quatre journalistes ont été condamnés sous le coup de la loi sur la cybercriminalité adoptée il y a un an, en septembre 2023. Alors que deux d’entre eux sont toujours incarcérés, Reporters Sans Frontières (RSF) s’inquiète du climat répressif contre la presse et appelle les candidats aux élections législatives du 10 septembre à l’abrogation de ce texte.
Dans la séquence politique en cours, les journalistes qui veulent relayer le mécontentement d’une partie de la population jordanienne s’exposent à des poursuites judiciaires introduites par la loi sur la cybercriminalité. Dans ce texte adopté en septembre 2023, qualifié de “liberticide” par RSF, figurent en effet des délits de diffusion de fausses informations et d’incitation à la discorde, passibles de peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Quatre professionnels des médias ont déjà été condamnés abusivement au titre de cette loi aux contours flous laissant une part trop grande à l’interprétation des juges. Deux d’entre eux, la journaliste Hiba Abu Taha et le chroniqueur satirique Ahmad Hassan al-Zoubi, demeurent derrière les barreaux. Selon les informations dont dispose RSF, l’état de santé de ce dernier s’est détérioré ces derniers jours en raison des conditions de détention difficiles dans la prison surpeuplée connue sous le nom du « Centre de réforme et de réhabilitation de Marka ».
“La loi sur la cybercriminalité offre au pouvoir un dangereux outil de répression des journalistes. Les quatre condamnations déjà prononcées illustrent ce climat de peur que le palais tente d’instaurer au sein de la profession. Les futurs parlementaires élus à l’issue du scrutin du 10 septembre peuvent inverser la tendance, en abrogeant ce texte liberticide, et en libérant sur-le-champ le commentateur satirique Ahmad Hassan al-Zoubi et la journaliste Hiba Abu Taha. Bâillonner la presse ne permettra jamais de faire taire les mécontentements et les besoins qui s’expriment dans la population jordanienne.”
Jonathan Dagher, Responsable du Moyen-Orient de RSF
Des peines d’une semaine à un an d’emprisonnement déjà prononcées
Dernier condamné sous le coup de la loi sur la cybercriminalité, Ahmad Hassan al-Zoubi est aussi le plus durement puni. Ce journaliste de 49 ans, fondateur du site d’information Sawalif et longtemps chroniqueur dans le quotidien d’État Al Rai, est incarcéré depuis le 2 juillet. Il a été condamné à un an d’emprisonnement pour un message sur les réseaux sociaux critiquant les autorités jordaniennes. Le 13 mai, la journaliste Hiba Abu Taha a quant à elle été arrêtée et détenue, à la suite d’un article d’opinion sur les liens entre la Jordanie et Israël depuis le début de la guerre à Gaza.
Avant eux, le journaliste indépendant Khairuddin al-Jabri avait été détenu pendant une semaine en mars 2024, car accusé, sous le coup de cette même loi, d’inciter à la discorde et de diffamation visant une autorité publique, en raison du partage d’une vidéo en ligne critique de la guerre à Gaza. En décembre 2023, la journaliste indépendante Nour Haddad avait elle aussi été détenue pendant une semaine et punie d’une amende de 5 000 dinars (près de 6 500 euros), annulée par la suite sur la base d’une loi d’amnistie en mars 2024, accusée de diffuser des fausses informations menaçant la sécurité nationale et de diffamation visant une autorité publique.
Faire taire les critiques
Sur le terrain, en reportage, plusieurs professionnels de l’information ont aussi été entravé dans leur travail cette année à cause de cette loi. En mars, deux photojournalistes ont été arrêtés alors qu’ils couvraient à Amman des manifestations contre la guerre à Gaza, et détenu pendant près d’un mois pour Charles Dessi du média d’informations en ligne 7eber, et une semaine pour le photojournaliste indépendant Abdul Jabbar Zeitoun. En avril, la journaliste indépendante norvégienne Synne Bjerkestrand a également été victime d’intimidations de la police alors qu’elle couvrait la poursuite de ces manifestations.
Depuis le début de la guerre à Gaza, la monarchie est confrontée au mécontentement d’une large partie de sa population, en raison du statu quo avec Israël. La Jordanie figure à la 132e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024. Une chute de 12 places pour le royaume hachémite, depuis 2022