La situation d'insécurité dans laquelle se trouvent les journalistes est peu propice à une couverture libre et objective de l'élection présidentielle, selon RSF.
(RSF/IFEX) – Quelques jours avant l’élection présidentielle en Afghanistan, fixée au 20 août 2009, Reporters sans frontières s’inquiète de la situation d’insécurité dans laquelle se trouvent les professionnels des médias afghans. Ce climat est peu propice à une couverture libre et objective de cette échéance politique cruciale.
Reporters sans frontières dans son rapport de mission (publié le 16 mars 2009) et la lettre envoyée aux candidats le 31 juillet, a formulé des recommandations en vue d’améliorer la liberté d’expression en Afghanistan. L’organisation a notamment déploré que, depuis plusieurs années, la nouvelle loi sur la presse soit victime de blocages politiques.
« L’une des conséquences du blocage de la loi sur la presse, est l’inégalité de temps de parole pour les candidats. Pendant toute la durée de la campagne, les électeurs ont été privés d’une information indépendante à la télévision nationale. Même si le travail de surveillance de la Commission électorale des médias a permis une avancée considérable, ce n’est pas suffisant. Les professionnels des médias ont besoin de lois pour que leur sécurité et leur liberté soient garanties, au moins dans les textes », a déclaré Reporters sans frontières.
« Le prochain gouvernement devra décriminaliser les délits de presse et améliorer par la loi les conditions de travail des professionnels de l’information. Enfin, il devra mettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs des violences à l’encontre des médias et des femmes journalistes en particulier. Les violences commises par les officiels et les forces de l’ordre et maintes fois dénoncées, doivent cesser au plus vite au risque de dissuader les femmes de travailler dans les médias. »
Les médias à l’heure de l’élection présidentielle
Depuis le 16 juin 2009, début de la campagne présidentielle, une trentaine de candidats à l’élection présidentielle tentent d’obtenir temps de parole et temps d’antenne à la radio et à la télévision. Cependant, les inégalités des moyens d’accès aux médias et l’instrumentalisation de ceux-ci constituent une grave menace pour le bon déroulement du processus électoral. Peu de candidats ont pu, grâce aux moyens financiers dont ils disposent, faire diffuser régulièrement leurs spots de campagne. La majorité des candidats n’ont recouru à la télévision qu’une ou deux fois et certains d’entre eux doivent se contenter d’afficher sur les murs.
Bien que des chaînes et des médias indépendants tentent de donner la parole aux différents partis à travers des débats ou des interviews, les grands canaux de diffusion accordent une place plus importante à un nombre restreint de candidats. Selon des analyses hebdomadaires d’Insight, une ONG locale soutenue par le Programme des Nations unies pour le développement, et chargée du monitoring de la couverture médiatique des élections, les chaînes de télévision favoriseraient certains candidats.
Les médias indépendants afghans existent mais sont minoritaires. Le financement des médias par des partis politiques ou des pays étrangers dictant leur agenda politique et religieux, très répandu, en plus de politiser et d’ethniciser les médias indépendants, réduit considérablement la qualité de l’information.
On rapporte également la création de plusieurs journaux et hebdomadaires « provisoires ». Ces publications temporaires qui ne sont pas dirigées par des professionnels de l’information sont en fait des instruments politiques utilisés par certains candidats à des seules fins électoralistes.
L’équité de la couverture médiatique
Contacté par Reporters sans frontières, Sediqullah Tauhidi, président de la Commission électorale des médias, un organe indépendant constitué de cinq membres expérimentés, et ayant pour tâche de garantir une couverture équitable de la campagne par les médias, a déclaré: « La situation des médias pendant la campagne électorale a globalement été satisfaisante. Les médias ont disposé d’une liberté suffisamment importante pour relayer les informations et sensibiliser le public. A travers différentes émissions, les radios et les télévisons privées ont largement participé au processus de couverture des élections, et particulièrement les radios locales, qui ont été très actives. Tout au long de la campagne, les médias internationaux comme Radio Azadi ou BBC persan, ont activement relayé les informations sur les élections. »
Cependant, bien que la plupart des medias privés aient accepté la charte de bonne conduite proposée par la Commission électorale des médias, appelant au respect d’une couverture égale dans les émissions d’information, ils ont continué de favoriser l’un ou l’autre candidat dans les autres types de programmes.
Sediqullah Tauhidi a exprimé ses inquiétudes concernant la radio-télévision d’Etat, qui « n’a pas accompli son devoir d’objectivité, mais a témoigné un soutien évident au président sortant. Même si, dans certaines régions comme MazariSharif ou Balkh, les antennes locales de la télévision d’Etat ont favorisé d’autres candidats que le président sortant. »
Régions reculées, insécurité et trous noirs de l’information
Le 20 août est également la date de l’élection des 544 conseillers provinciaux, pour lesquels plus de 3 000 Afghans se sont portés candidats. Même s’il n’y a pas eu jusque-là d’incidents graves liés aux élections, la situation dans plusieurs provinces du pays demeure tendue. Selon Saber Fahim, membre de l’organisation de surveillance des médias Nai, « dans les provinces de Ghazni et de Khost, et dans le Sud du pays, de nombreux journalistes se plaignent du manque d’accès à l’information. » Selon des sources journalistiques, les autorités locales auraient même pour consigne de ne pas collaborer avec les professionnels des médias.
Les journalistes sont de moins en moins nombreux à se rendre dans les régions qui échappent au contrôle des autorités, devenues des « trous noirs » de l’information. Il est important de rappeler que les menaces dont sont victimes les journalistes afghans et étrangers présents dans le pays, ne proviennent pas uniquement des taliban. A ces principaux responsables de l’insécurité et des atteintes à la liberté de la presse, sont venus s’ajouter des groupes mafieux et criminels.