Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Europe et en Asie centrale, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
L’Espagne face à la Catalogne
Le 27 octobre, près de quatre semaines après le référendum controversé sur l’indépendance, les législateurs catalans ont voté pour la déclaration de l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. Quelques heures plus tard, le sénat espagnol a voté pour l’application de l’article 155, qui impose un contrôle direct de la région autonome, y compris les médias publics catalans, pour lesquels le Premier ministre espagnol Rajoy dit vouloir s’assurer de leur « véracité, objectivité et équilibre ». Le gouvernement de Madrid a annoncé que le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, sera démis de ses fonctions et que son gouvernement sera dissous; que des élections régionales auront ensuite lieu le 21 décembre. Puigdemont reste rebelle et a appelé à une « résistance pacifique » contre la mise en œuvre de l’article 155. Les procureurs espagnols ont dit, qu’à l’instar des autres dirigeants catalans, il sera poursuivi pour « rébellion », qui est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 30 ans d’emprisonnement.
Tout au long de cette crise politique, le gouvernement espagnol ne s’est pas privé de restreindre les droits à la liberté d’expression ou d’user des méthodes très sévères pour réprimer les activités des séparatistes. Le 17 octobre, deux personnalités de la société civile catalane, Jordi Sánchez et Jordi Cuixart (qui sont tous deux d’éminents séparatistes), ont été arrêtées et emprisonnées, sans possibilité de mise en liberté sous caution, alors qu’elles faisaient l’objet d’une enquête pour sédition. Fin septembre, de hauts responsables catalans ont été incarcérés pour les mêmes accusations. Tous ont été détenus uniquement pour avoir participé à l’organisation du vote sur l’indépendance.
Plus tôt dans le mois, des membres de l’IFEX ont publié des rapports et des déclarations sur les violences qui ont eu lieu le jour du référendum (1er octobre) et qui ont fait environ 900 blessés parmi la population civile du fait de la police. Un rapport détaillé de Human Rights Watch a trouvé que la police avait fait un usage excessif de la force pour empêcher le vote, et a appelé à une enquête indépendante. ARTICLE 19 a publié une déclaration disant que certaines des actions prises par le gouvernement espagnol étaient « contraires au droit international ». Reporters sans frontières a trouvé que les journalistes avaient été victimes de harcèlements et de pressions de la part de toutes les parties dans la controverse. La Fédération internationale des journalistes a porté les attaques subies par les journalistes couvrant les événements du 1er octobre à la connaissance de la Plate-forme du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes.
Peu de temps après les événements dramatiques du 27 octobre, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a exprimé, dans un tweet, son soutien au gouvernement espagnol, mais il était tout de même clairement préoccupé par les méthodes utilisées:
For EU nothing changes. Spain remains our only interlocutor. I hope the Spanish government favours force of argument, not argument of force.
— Donald Tusk (@eucopresident) October 27, 2017
Pour l’UE, rien ne change. L’Espagne reste notre seul interlocuteur. J’espère que le gouvernement espagnol favorise la force de l’argumentation, pas l’argumentation de la force.
Turquie: quelques bonnes nouvelles au milieu de mauvaises
Le 25 octobre, il y a eu une très bonne nouvelle en Turquie: les dix défenseurs des droits humains (également connus sous l’appellation des 10 d’Istanbul), qui avaient été détenus pour terrorisme depuis juillet, ont été libérés en attendant leur procès.
emotional moment outside Silivri prison with #AliGharavi #PeterSteudtner #Istanbul10 #FreeRightsDefenders pic.twitter.com/oRWvoOlXEo
— Markus N. Beeko (@mnbeeko) October 26, 2017
Depuis le début de leur détention, des organisations de défense des droits humains, y compris des membres de l’IFEX, avaient plaidé pour leur libération et pour que les accusations absurdes portées contre eux soient abandonnées. Vous pouvez lire plus sur le contexte de leur cas ici. La prochaine audience de leur procès aura lieu le 22 novembre.
Toutefois, le reste des nouvelles de la Turquie n’était pas si positif. La vague des poursuites et des détentions, qui a commencé avec la déclaration de l’état d’urgence en 2016, se poursuit sans relâche. Reporters sans frontières nous a rappelé que durant la seule dernière semaine d’octobre, 48 journalistes ont été jugés en Turquie.
Fait important, les membres de l’IFEX ont collaboré ce mois-ci avec d’autres groupes des droits pour déposer un mémoire auprès de la Cour européenne des droits de l’homme en soutien au défi auquel faisait face le personnel du journal Cumhuriyet à propos de leur longue détention préventive pour des accusations de terrorisme.
Le 18 octobre, les autorités ont arrêté un autre haut responsable de la société civile – le philanthrope des droits humains Osman Kavala. Il fait l’objet d’une enquête pour des infractions liées au terrorisme. La députée européenne Kati Piri, rapporteuse sur la Turquie du Parlement européen, a annoncé qu’un groupe multi-partisan de députés réclamait la libération immédiate de Kavala:
EP cross-party letter to Turkish government, urging immediate release of Osman Kavala pic.twitter.com/DK9MKJfWtX
— Kati Piri (@KatiPiri) October 25, 2017
Lettre multi-partisane du PE au gouvernement turc demandant libération immédiate d’Osman Kavala.
L’Azerbaïdjan et la Hongrie sous pression
Le blogueur Mehman Huseynov – un membre de l’IFEX et président de l’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes (IRFS) – reste en prison après la décision du 29 septembre de la Cour suprême d’Azerbaïdjan de renvoyer son affaire à la cour d’appel qui l’avait condamné. Huseynov purge une peine de prison de deux ans, après avoir été emprisonné en mars 2017 pour des accusations mensongères de calomnie envers un poste de police entier. L’accusation était une sorte de représailles et faisait suite à son allégation selon laquelle il avait été torturé par la police pendant qu’il était détenu au secret. IFEX continue d’appeler à la libération de Huseynov.
Le cas de Huseynov est emblématique de ce que Human Rights Watch décrit comme un abominable bilan des droits humains de l’Azerbaïdjan. En octobre, selon HRW, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a tenté de faire pression sur l’Azerbaïdjan en adoptant deux rapports et résolutions exigeant que le gouvernement cesse sa répression en cours contre les voix critiques et dissidentes. D’autres pressions seront exercées en mai 2018 lorsque le dossier des droits humains de l’Azerbaïdjan fera l’objet d’un examen dans le cadre du processus d’Examen périodique universel (EPU) de l’ONU; un regroupement de groupes de défense des droits – dont ARTICLE 19, Index on Censorship, IRFS, PEN International et Reporters sans frontières – a présenté un rapport conjoint sur l’Azerbaïdjan ce mois-ci à l’EPU.
Aves des élections législatives hongroises programmées pour se tenir au printemps 2018, le parti au pouvoir et ses partisans tentent d’intimider et de saper les journalistes indépendants. Ceci est allé de pair avec une campagne de haine parrainée par le gouvernement contre George Soros (financier philanthropique des projets des droits humains et de démocratie) et l’UE, tous deux – selon Human Rights Watch – sont accusés de vouloir amener des millions d’immigrants en Europe. Cependant, apparemment insatisfaits de la simple intimidation des voix indépendantes dans les médias, les alliés du Premier ministre Orbán ont récemment racheté tous les médias régionaux hongrois afin d’assurer une couverture favorable de leur homme.
Ce mois-ci, la Commission européenne (CE) a intensifié sa procédure d’infraction contre la Hongrie au sujet de ses lois répressives des ONG. La Hongrie dispose d’un mois pour répondre aux préoccupations de la CE selon lesquelles cette législation (adoptée en juin) n’est pas conforme à la législation de l’U. Si elle ne le fait pas de manière satisfaisante, l’affaire pourrait être renvoyée à la Cour de justice européenne. Si vous vous demandez comment la situation en Hongrie est devenue si mauvaise, le Syndicat hongrois des libertés civiles (HLCU) – en collaboration avec d’autres ONG hongroises – vient juste de publier un rapport sur cet « Etat non libéral au cœur de l’Europe ».
Focus sur le genre: les femmes dans les médias, les LGBTQI + en Azerbaïdjan
La lutte pour l’égalité des sexes pour les femmes travaillant dans les médias est une bataille sans fin. Ce mois-ci, un groupe européen comprenant des universités, la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ) et la Conférence Permanente des Opérateurs Audiovisuels Méditerranéens (COPEAM) a annoncé le lancement d’un projet de promotion de l’égalité des genres dans les industries médiatiques (AGEMI). À ce stade, ils demandent aux parties intéressées de soumettre leurs meilleures pratiques médiatiques sur l’égalité des sexes pour inclusion dans une base de données. Vérifiez ici pour plus de détails.
La répression d’Azerbaïdjan contre la communauté LGBTQI + a déclenché des allégations troublantes de torture policière. Bien que l’homosexualité ait été dépénalisée en 2000, l’homophobie est très présente et excitante. Les autorités, qui ont commencé à rassembler des hommes homosexuels à Bakou à la mi-septembre, ont affirmé que c’était fait en partie pour prévenir la propagation des maladies sexuellement transmissibles (les hommes auraient été testés). Cependant, des rapports avancent que jusqu’à 60 personnes LGBTQI + ont été emprisonnées ou condamnées à payer une amende pour avoir résisté aux ordres de la police. Et ces derniers jours, certains des détenus ont affirmé avoir été torturés par des policiers, notamment par l’utilisation des chocs électriques.
En bref : meurtre à Malte, lanceurs d’alerte, un journaliste russe attaqué, Interpol, droits numériques
Le 16 octobre, la journaliste d’investigation et blogueuse maltaise, Daphne Caruana Galizia, a été tuée par une voiture piégée. La nouvelle a choqué Malte et la communauté internationale dans son ensemble. Caruana avait mené l’enquête sur les Panama Papers, qui avaient révélé la corruption politique dans son pays d’origine, et son blog était l’un des blogs les plus populaires de la région méditerranéenne. Des membres de l’IFEX ont appelé à une enquête immédiate sur le meurtre, de même que l’UE. The Malta Independent, dans lequel elle avait une chronique, lui a rendu un hommage triste et respectueux:
The Malta Independent has carried Daphne Caruana Galizia’s articles for 20 years — this is her column page today. pic.twitter.com/jPTg2KDHlo
— James Masters (@Masters_JamesD) October 19, 2017
The Malta Independent a porté les articles de Daphne Caruana Galizia pendant 20 ans – voici la page de sa chronique d’aujourd’hui.
Ton stylo a été réduit au silence
Mais ta voix vivra à jamais
Le 24 octobre, le Parlement de l’UE a adopté une proposition exigeant une législation européenne protégeant les lanceurs d’alerte. Cette initiative extrêmement bien accueillie est le résultat des mois de travail acharné des groupes de défense des droits et des législateurs, et l’espoir est maintenant que la Commission européenne proposera une directive pour faire cette loi.
Le 23 octobre, un homme est entré dans le bureau d’Ekho Moskvy, l’un des quelques rares entreprises de média de la Russie réellement indépendants, et a poignardé la journaliste Tatyana Felgenhauer dans le cou. Heureusement, Felgenhauer a survécu et l’agresseur a été arrêté. Cependant, comme Human Rights Watch l’a souligné, « la Russie n’est pas un endroit sûr pour les journalistes indépendants ». Octobre a également été marqué par le 11e anniversaire du meurtre de la courageuse journaliste Anna Politkovskaya.
Les membres de l’IFEX devraient savoir que le système de notice rouge d’Interpol a été exploité récemment par des pays comme la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan afin de cibler des journalistes indépendants à travers l’Europe. Ces mandats d’arrêt internationaux ont été utilisés pour détenir six journalistes depuis le mois d’août et, selon des rapports, l’un d’entre eux vient juste d’être délivré contre le journaliste de Cumhuriyet en exil, Can Dündar. Index on Censorship donne un bon aperçu de ce qui se passe. Veuillez visiter leur site Web pour le savoir.
Les droits numériques sont un terrain de bataille relativement nouveau pour les défenseurs des droits humains et de la liberté d’expression. Le mois d’octobre a vu le lancement du Fonds pour la liberté numérique (DFF), qui vise à soutenir les litiges stratégiques en justice sur les droits numériques en Europe en fournissant un soutien financier et en facilitant le travail en équipe entre ceux qui œuvrent pour faire progresser les droits numériques. Pour en savoir plus, visitez la page Web.