Dans une lettre ouverte au Président, le CPJ a dénoncé les enquêtes apparemment défectueuses sur la mort en prison le 22 avril du journaliste Germain Cyrille Ngota.
(CPJ/IFEX) – Dans une lettre ouverte au Président, CPJ dénonce les enquêtes apparemment défectueuses et entachées d’ingérence politique sur la mort en prison le 22 avril du journaliste Germain Cyrille Ngota:
Le 6 mai 2010
S.E. Paul Biya
Président de la République du Cameroun
Yaoundé, Cameroun
Fax: (237) 22 20 33 06
Cher Monsieur le Président Biya,
Nous sommes préoccupés par les enquêtes apparemment défectueuses et entachées d’ingérence politique sur la mort en prison le 22 avril dernier du journaliste Germain Cyrille Ngota. Nous rendons le gouvernement du Cameroun responsable de la mort de M. Ngota et du sort des trois autres journalistes détenus par votre administration. Nous vous demandons de prendre d’urgentes mesures qui pourraient sauvegarder l’intégrité de ces enquêtes et apporter de la lumière sur des allégations de torture de journalistes par des agents de renseignement sous l’autorité de la présidence camerounaise.
Monsieur le Président, le 26 avril dernier, nous avons salué un communiqué du gouvernement affirmant que « dans un souci d’objectivité et d’impartialité, le Président de la République a voulu confier cette affaire à un organe indépendant de l’Exécutif et des parties, à savoir le pouvoir judiciaire, en vue de l’établissement de la vérité ».
Toutefois, la même déclaration a affirmé que le cas de M. Ngota « ne pose pas un problème de restriction de la liberté de la presse, mais plutôt de soumission de tous les citoyens à la légalité républicaine ». En fait, M. Ngota avait déjà fait l’objet d’une arrestation arbitraire le 4 février dernier lorsque des agents de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) du Cameroun l’on prit chez lui alors qu’il recevait des soins médicaux à domicile pour hypertension artérielle. M. Ngota a été détenu avec trois autres journalistes qui enquêtaient sur un document impliquant le ministre d’État secrétaire général de la présidence du Cameroun et président du conseil d’administration de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), Laurent Esso, dans une présumée affaire de corruption. Votre administration n’a toujours pas engagé sa responsabilité par rapport à des allégations selon lesquelles des agents de la DGRE ont recouru à la torture psychologique et physique pour forcer les journalistes à révéler leurs sources pour le document en question.
La déclaration du gouvernement a également soutenu que M. Ngota est décédé des suites d’un mauvais état de santé et non en raison d’une mauvaise prise en charge médicale à la prison de Nkondengui. Toutefois, dans une interview avec l’hebdomadaire La Météo, la mère de M. Ngota, Georgette Edima Ngoulou, a déclaré que son fils s’était plaint des conditions de détention et avait demande une évacuation médicale. Elle a cité son fils disant qu’il dormait à même le sol dans une salle étroite et surpeuplée et sans abri contre la pluie. Ngota aurait confié à sa mère qu’il était souvent piétiné pendant qu’il dormait. La mère du journaliste a également affirmé que le régisseur de la prison avait « catégoriquement rejeté » une demande écrite pour son évacuation sanitaire qui, dit-elle, avait été pourtant approuvée par le médecin de la prison.
En outre, nous sommes indignés par la révélation par le ministre camerounais de la Communication de la sérologie de M. Ngota sur les ondes des médias nationaux le 28 avril dernier. Le ministre a déclaré que M. Ngota était séropositif et qu’il est décédé des suites d’infections opportunistes liées au VIH. Cette affirmation a été réfutée par la veuve du défunt journaliste. Des associations de lutte contre le SIDA et l’Ordre nationale des médecins du Cameroun ont condamné l’annonce du statut sérologique de M. Ngota, exprimant ainsi leurs inquiétudes que cette divulgation viole le droit à la vie privée, le secret médical, et les principes de l’ONUSIDA sur la confidentialité et la sécurité des informations sur le VIH-SIDA. La déclaration du ministre est fondée sur une autopsie du corps de M. Ngota que le ministre a dit avoir effectué « en présence de personnalités indépendantes et de sa famille », selon l’Agence France-Presse. Cependant, le frère cadet du défunt journaliste, et Félix Cyriaque Ebolé Bola, un journaliste local qui aurait été invité par le ministre pour représenter la presse indépendante à l’autopsie, ont affirmé qu’ils n’ont pas assisté à cette autopsie, selon les médias.
Monsieur le Président, vous avez chargé le pouvoir judiciaire camerounais d’enquêter de manière indépendante sur cette affaire. Cependant, nous craignons que l’intégrité de cette enquête ne soit déjà compromise par une série d’affirmations de votre administration qui sont en contradiction avec les déclarations formulées par la famille et les amis de M. Ngota. Dans un souci de transparence et pour la sauvegarde de l’intégrité de toute enquête judiciaire, nous vous exhortons à répondre à ces préoccupations. Nous vous exhortons encore une fois à faire la lumière sur les allégations selon lesquelles des agents de renseignement de la DGRE ont recouru à la torture physique et psychologique pour forcer quatre journalistes à révéler leurs sources pour le document qui est à la base de leurs arrestations. Enfin, nous vous demandons de libérer tous les journalistes détenus dans les prisons camerounaises et d’initier la dépénalisation des délits de presse.
Merci de l’attention que vous prêtez à ces questions très importantes. Nous attendons votre réponse.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments distingués.
Joël Simon
Directeur Exécutif