Nasreddine Ben Saïda encourt une peine allant de six mois à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 120 à 1 200 dinars alors que le nouveau code de la presse qui vient d’entrer en vigueur protège les journalistes de telles peines.
(RSF/IFEX) – Le 17 février 2012 – Le directeur du quotidien arabophone Attounissia, Nasreddine Ben Saïda, est toujours incarcéré depuis son arrestation le 15 février dernier. S’ils ont été libérés le rédacteur en chef du journal, Habib Guizani, et le journaliste, Mohammed Hedi Hidri, restent poursuivis.
Reporters sans frontières demande la libération immédiate de Nasreddine Ben Saida, premier responsable d’un média emprisonné de l’ère post-Ben Ali, et l’abandon des poursuites lancées contre lui et les deux autres collaborateurs du journal.
Le 15 février 2012, suite à la publication, à la Une d’Attounissia, d’une photographie montrant le joueur de football germano-tunisien Sami Khedira enlaçant un mannequin dénudé, une instruction a été ouverte par le ministère public contre le journal. Les exemplaires en kiosques ont été saisis et le directeur général, le rédacteur en chef et le journaliste ont tous trois été arrêtés par la brigade des mœurs, sur ordre du procureur de la République. Après avoir été entendus le 16 février dans l’après-midi, Habib Guizani et Mohammed Hedi Hidri ont été relâchés. En revanche, le juge a émis un mandat de dépôt contre Nasreddine Ben Saida qui encourt une peine allant de six mois à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 120 à 1 200 dinars (60 à 600 euros).
En faisant reposer les poursuites sur le code pénal, le ministère public démontre qu’un article de presse peut encore envoyer en prison et envoie un signal extrêmement inquiétant aux défenseurs de la liberté d’expression. L’organisation a également critiqué « l’hypocrisie d’une telle réaction » indiquant que « des photos de ce type illustrent régulièrement la Une des magazines étrangers vendus en Tunisie ».
Reporters sans frontières condamne fermement le recours au code pénal alors même que le nouveau code de la presse vient d’entrer en vigueur et prévoit dans son article 13 que un journaliste « ne peut être poursuivi pour son travail à moins que la violation des dispositions du présent décret-loi ne soit prouvée ». Pourtant les poursuites ne se fondent pas sur ce texte mais sur l’article 121 paragraphe 3 du code pénal (ajouté par la loi organique n° 2001-43 du 3 mai 2001, portant modification de -l’ancien- code de la presse). Il dispose que « sont interdites la distribution, la mise en vente, l’exposition aux regards du public et la détention en vue de la distribution, de la vente, de l’exposition dans un but de propagande, de tracts, bulletins et papillons d’origine étrangère ou non, de nature à nuire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ». Le fait de présenter les délits de presse comme des délits de droit commun rappelle de manière inquiétante les machinations politico-administratives employées sous Zine El-Abidine Ben Ali afin de condamner des journalistes et museler les médias.
Comme mentionné dans le bilan publié par Reporters sans frontières à l’occasion du premier anniversaire de la révolution, l’organisation rappelle la nécessité de consacrer le caractère exclusif du code de la presse. Le fait de pouvoir encore envisager de privilégier l’utilisation du code pénal réduit aujourd’hui à néant le code de la presse alors que celui-ci dispose dans son article 2 que sont abolies « tous les textes précédents en contradiction avec le présent code, à compter de la date d’entrée en vigueur du code de la presse » et remet en cause la dépénalisation des délits de presse engagée par ce décret-loi.
L’annonce de ce nouveau procès et l’arrestation des trois collaborateurs d’ Attounissia a coïncidé avec la tenue de la conférence de presse organisée par l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC) dans le but d’insister sur la nécessité de voir les décrets d’application des nouvelles lois sur les médias être activés. A cette occasion, l’INRIC a fait part de son inquiétude face à ce qu’elle a qualifié de “double langage” et de “discours contradictoires” de la part du gouvernement qui refuse d’adopter des positions fermes sur les dossiers majeurs du secteur de l’information (adoption des décrets-lois, nouvelle nomination à la tête de Radio Zitouna) tout en se montrant très virulent vis-à-vis des médias.
Reporters sans frontières appelle l’ensemble de la classe politique à exiger l’application du code de la presse et à se mobiliser pour protéger les médias, garants de la démocratie et du pluralisme.