« [Les agresseurs] m’ont dit que j’étais têtu et que je n’apprenais jamais rien », a dit le journaliste Paul Chouta. « Ils m’ont dit que cette fois ils me tueraient, parce que je voulais montrer que j’étais un héros. »
Cet article a été initialement publié sur cpj.org le 11 mars 2022.
Les autorités camerounaises devraient immédiatement enquêter sur l’agression dont a été victime Paul Chouta, journaliste du site d’information privé Cameroon Web, et veiller à ce que les auteurs soient traduits en justice, a déclaré le Comité pour la protection des journalistes vendredi.
Mercredi soir, le journaliste Paul Chouta regardait le match de football de la Ligue de Champions de l’UEFA entre le Real Madrid et le Paris St Germain avec des amis dans un bar du quartier de Damas dans la capitale Yaoundé lorsque trois inconnus dans une camionnette verte l’ont enlevé et conduit à la périphérie de la ville. Ils l’ont roué de coups de pieds et battu avec des pierres, des briques, un bâton et un fouet, selon un communiqué de son employeur que s’est procuré le CPJ, les médias et le journaliste, qui s’est entretenu avec le CPJ par le biais d’une application de messagerie.
Dans le communiqué, le rédacteur en chef de Cameroon Web, Emmanuel Vitus, n’a pas été en mesure de dire quel reportage aurait pu être à l’origine de cette dernière agression. Il a déclaré au CPJ via une application de messagerie que ce n’était pas la première fois que Chouta était agressé du fait de son travail et que le journaliste et sa famille devraient être placés sous protection policière pendant la durée de l’enquête sur l’agression. Vitus a décrit l’agression comme « une attaque contre la liberté de la presse et la démocratie », ajoutant que Chouta était un « journaliste et lanceur d’alerte courageux ».
« La police camerounaise doit mener une enquête approfondie sur la dernière agression subie par Paul Chouta, journaliste et fervent critique du gouvernement, et traduire rapidement les auteurs en justice », a déclaré Angela Quintal, coordinatrice du programme Afrique du CPJ. « Toute inaction renforcera les perceptions selon lesquelles l’impunité pour les crimes contre les journalistes est à l’ordre du jour au Cameroun et que les journalistes comme Paul Chouta ne sont tout simplement pas en sécurité dans leur propre pays. »
Chouta est sorti pendant la mi-temps du match et a été abordé par des hommes en civil qui lui ont fait traverser la route et l’ont jeté dans le véhicule, a déclaré le journaliste au CPJ. Chouta a crié à l’aide, mais ses agresseurs l’ont poussé dans la camionnette et ont utilisé sa chemise pour lui bander les yeux, a-t-il ajouté. Chouta, qui pense avoir été suivi, a déclaré que quelques kilomètres plus loin, les hommes avaient arrêté la voiture et un quatrième homme était monté à bord.
Les agresseurs ont conduit Chouta à la périphérie de la ville, près de l’aéroport, où ils lui ont dit de s’agenouiller avant de le battre violemment et de le rouer de coups de pieds pendant environ quatre minutes jusqu’à ce qu’il perde connaissance, a-t-il déclaré au CPJ. « Ils m’ont dit que j’étais têtu et que je n’apprenais jamais rien », a ajouté Chouta. « Ils m’ont dit que cette fois ils me tueraient, parce que je voulais montrer que j’étais un héros. »
Chouta a dit qu’ils l’avaient laissé pour mort. Quand il a repris connaissance, il était dévêtu, son portefeuille, sa carte d’identité et ses cartes bancaires avaient disparu. Il était incapable de voir de son œil gauche, son visage et son oreille étaient gonflés, et il souffrait énormément.
Le journaliste a marché nu et pieds nus pendant environ trois kilomètres avant d’être aidé par des étrangers. Il a pu se rappeler le numéro de téléphone de sa petite amie qu’ils ont appelée pour qu’elle l’emmène à l’hôpital, a déclaré Chouta.
Chouta a passé la nuit de jeudi à l’hôpital et devrait sortir aujourd’hui pour se faire soigner dans un autre établissement médical, selon le journaliste et son rédacteur en chef.
Chouta a déclaré au CPJ qu’il avait été interrogé à l’hôpital par la police ce matin et qu’on lui avait dit qu’un couteau avait été retrouvé à l’endroit où il avait été agressé. Les images de la caméra de suveillance du bar ont également été saisies par la police, a-t-il ajouté.
En guise de réponse à la demande de commentaires du CPJ, la porte-parole de la police, Joyce Ndem, a proposé d’envoyer un représentant pour s’entretenir avec elle dans son bureau à Yaoundé. Elle n’a pas non plus répondu à un message envoyé ultérieurement par le biais d’une application de messagerie.
En février 2019, Chouta a été agressé devant son domicile suite à un reportage politique, comme l’a documenté le CPJ à l’époque. Quatre mois plus tard, il a été arrêté pour des motifs vraisemblablement politiques. Il a été emprisonné pendant près de deux ans jusqu’à ce qu’un tribunal, en mai 2021, le déclare coupable et le condamne à une peine de 23 mois de prison qu’il avait déjà purgée, et le libère.