Depuis l'adoption de la réforme des retraites le 16 mars 2023, plusieurs journalistes couvrant des manifestations ont été victimes de comportements violents des forces de l’ordre, voire de mesures abusives, comme des gardes à vue injustifiées.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 24 mars 2023.
Les reporters couvrant les rassemblements opposés à la réforme des retraites font l’objet de nombreuses interpellations arbitraires, agressions et intimidations de la part des forces de l’ordre. Reporters sans frontières (RSF) demande au ministre de l’Intérieur de rappeler l’obligation des forces de sécurité de protéger les journalistes et leurs droits pendant les événements publics.
Alors que les violences policières sur la presse en France avaient baissé de manière significative ces deux dernières années, depuis l’adoption de la réforme des retraites le 16 mars 2023, plusieurs journalistes couvrant des manifestations ont été victimes de comportements violents des forces de l’ordre, voire de mesures abusives, comme des gardes à vue injustifiées. Des incidents ont été signalés à Paris et dans plusieurs villes. Dans chacun des cas recensés et vérifiés par RSF, les journalistes étaient clairement identifiés “Presse”.
“L’absence de déclaration préalable des rassemblements de protestation n’excuse en rien les entraves arbitraires visant les reporters qui couvrent les manifestations et les agressions policières à leur encontre. RSF condamne fermement cette nouvelle série de violences et de mesures policières abusives et demande au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de rappeler aux forces de l’ordre leur obligation de respecter le droit des journalistes et de les protéger, conformément aux dispositions prévues par le Schéma national de maintien de l’ordre (SNMO).”
Christophe Deloire, Secrétaire général de RSF
Parmi les cas les plus graves, ceux de deux photojournalistes de l’agence Hans Lucas. Alors qu’il couvrait une manifestation parisienne le 20 mars, Raphaël Kessler a été pris dans une nasse entre deux cordons de Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS) dans le secteur du boulevard Beaumarchais. Lorsqu’il a voulu faire valoir auprès des forces de l’ordre sa fonction de journaliste en montrant une attestation de son agence, celle-ci a été jugée périmée. Malgré l’envoi immédiat d’une nouvelle attestation, le photographe a été mis en garde-à-vue dans un commissariat près du quartier des Olympiades et ne sera libéré que 20 heures plus tard, sans poursuites et sans explications. “A part mon avocate commis d’office personne n’avait conscience de ce que la liberté de la presse signifiait,” rapporte-t-il à RSF.
Quant à Angéline Desdevises, elle photographiait un rassemblement place Saint-Anne, à Rennes le 16 mars lorsqu’ elle a été plaquée au sol par deux CRS. Comme elle témoigne auprès de RSF, les officiers ne l’ont relâchée qu’après une trentaine de secondes alors qu’elle criait désespérément “presse, presse”. La photographe était pourtant clairement identifiable grâce à sa carte de presse accrochée sur son appareil photo, et s’était auparavant positionnée de façon à ne pas gêner l’intervention en cours des forces de l’ordre. Peu avant son agression, elle a également fait partie d’un groupe de journalistes mis en joue par un lanceur de balles de défense. Deux jours plus tôt, le 14 mars, elle a été traitée de “grosse pute” alors qu’elle venait de signaler au policier qui lui demandait de partir qu’elle était journaliste. Enfin, le 21 mars, non loin de l’arrêt de métro Triangle, la photojournaliste a fait l’objet de propos sexistes et intimidants de la part d’un agent des forces de l’ordre, alors qu’elle couvrait une opération de blocus économique. “Les violences sexuelles et sexistes sont des armes de répression en manifestation à l’égard des femmes et des minorités de genre,” s’alarme-t-elle.
C’est aussi le 21 mars, que le journaliste Rémy Buisine missionné par Brut pour filmer les rassemblements à Paris, a été à deux reprises agressé par des agents, et empêché de faire son travail. Le même jour dans la capitale, plusieurs journalistes – pourtant positionnés à l’écart de l’intervention des forces de l’ordre – se sont retrouvés à terre après une charge. Un jour plus tôt, un agent visiblement énervé par une tentative légitime des journalistes de prendre en photo son référentiel des identités et de l’organisation (RIO) a violemment repoussé par son bouclier plusieurs d’entre eux, dont Rémy Buisine.
Son confrère, Clément Lanot, a d’ailleurs été intimidé par un agent de CRS mimant un coup de pied le 18 mars à Paris, alors même que le reporter de l’agence CL Press ramassait par terre son matériel endommagé par un coup de matraque arbitraire. De son côté, Amar Taoualit, qui couvrait les manifestations parisiennes du 16 mars pour Loopsider, a été délibérément visé par une bombe lacrymogène et menacé d’un coup de matraque, alors qu’il se trouvait seul en dehors de la foule, équipé d’un brassard presse, place Vendôme, selon son témoignage pour RSF.
Ces différents incidents vont à l’encontre du SNMO qui prévoit que “La présence des journalistes lors des manifestations revêt une importance primordiale. Elle permet de rendre compte des opinions et revendications des manifestants (…) ainsi que de l’intervention des autorités publiques et des forces de l’ordre” . Ce nouveau schéma de maintien de l’ordre avait été adopté par le ministère de l’Intérieur en décembre 2021 après consultations avec les représentants des journalistes et RSF. Afin que les reporters puissent bénéficier de leurs droits spécifiques et de la protection par les autorités sur le terrain, ils doivent pouvoir s’identifier auprès des forces de l’ordre par la carte de presse française ou la carte de presse internationale ou par une attestation normalisée (cette dernière en annexe du SNMO).
La France se situe à la 26e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.