Des avancées significatives vers la lutte contre l'impunité en Gambie, la journaliste américaine Martha O'Donovan accusée de subversion au Zimbabwe alors que Mugabe démissionne, la répression de la liberté d'expression en Guinée et plus encore dans ce tour d’horizon du mois de novembre.
Briser les rébellions et faire taire les secrets
Le gouvernement guinéen a passé une bonne partie du mois de novembre à réprimer la liberté d’expression.
S’exprimant le 25 novembre 2017 à Conakry, en Guinée, à la réunion de l’Union internationale de la presse francophone, le président Alpha Condé a qualifié la grève nationale des enseignants de « rébellion », selon la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA).
Condé a ensuite ajouté que si les médias rapportent des déclarations faites par Aboubacar Soumah – un enseignant dirigeant syndical qui a appelé à la grève – ils seraient considérés comme des « complices » et fermés.
MFWA a exprimé ses inquiétudes au sujet de la menace de Condé, la qualifiant d ‘ « attaque frontale contre la liberté de la presse ».
L’organisation a de bonnes raisons d’être inquiète. Le 2 novembre 2017, la Haute Autorité de la Communication (HAC), autorité de régulation des médias de Guinée, a suspendu Radio Espace et ses partenaires nationaux pour sept jours, à la suite des commentaires à l’antenne du journaliste Moussa Moise Sylla.
Sylla avait déclaré que les garnisons militaires guinéennes sont en train de tomber en ruine et avait exhorté les autorités à fournir des soins psychologiques aux soldats rentrés chez eux de retour des missions de maintien de la paix.
La HAC a déclaré que ses commentaires étaient « susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale, au moral des forces armées et à l’ordre public ».
En conséquence, Sylla a été accusé de « divulgation de secrets militaires ». Il doit comparaître devant le tribunal le 25 décembre.
MFWA a dénoncé l’accusation, notant que les observations du journaliste sont « réelles pour les institutions militaires dans une grande partie de l’Afrique, et ne peuvent donc pas constituer une révélation menaçant la sécurité, comme le prétend le procureur ».
Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), s’est également exprimé de la même manière sur le traitement récent de la presse par Condé.
Lors de la réunion de l’Union internationale de la presse francophone, le 25 novembre, Deloire a déclaré: « Monsieur le Président, nous vous appelons aujourd’hui dans un esprit constructif à ne pas faire des commentaires teintés d’intimidations, lesquelles ne constituent nullement une politique ». Deloire a ajouté:« Comme dirait un proverbe africain, vous ne brûlez pas la savane parce qu’il y a de mauvaises herbes. Le journalisme de qualité est une aspiration légitime, mais les médias ne devraient pas être minimisés pour tenter d’y parvenir ».
Prévenir le VIH des enfants grâce à l’accès à l’information
Irene Nkosi pense que l’accès à l’information peut sauver des vies. Et elle a raison.
Grâce à son travail avec mothers2mothers (m2m – Des Mères aux Mères) en Afrique du Sud, Nkosi aide les femmes séropositives enceintes à obtenir des informations et des ressources pour les aider à s’assurer que leurs enfants naissent séronégatifs.
Cette cause la touche et lui est chère. Nkosi a découvert qu’elle était séropositive dans son adolescence, alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant. La stigmatisation qu’elle a affrontée dans sa famille était féroce. « Après que je l’ai dit à ma famille, ils ont commencé à me traiter comme un chien », a déclaré Nkosi à IOL. « Je me suis construit une ‘niche’ à l’extérieur de la maison principale pour que je ne contamine personne ».
Mais la vie de Nkosi a changé en 2008 quand elle a été référée à m2m, et a découvert qu’elle n’était pas seule. Elle a alors commencé à travailler avec l’organisation en tant que mère mentor – une travailleuse de première ligne qui fournit une éducation de santé essentielle et un soutien aux femmes sur la façon dont elles peuvent protéger leurs bébés contre l’infection par le VIH.
Le 2 novembre 2017, le magazine People a reconnu Nkosi comme l’une des « 25 femmes qui changent le monde ». L’activiste basée à Pretoria était désignée aux cotés de célébrités telles que Jane Goodall, militante pour la protection de la faune et la chanteuse Demi Lovato.
« Maintenant quand je parle à d’autres femmes séropositives enceintes, je parle de quelque chose que j’ai vécue, pas quelque chose que j’ai lue dans un livre », a déclaré Nkosi à Huffington Post en Afrique du Sud. Elle a dit que l’éducation au sujet de la transmission du VIH de la mère à l’enfant est nécessaire car « beaucoup de femmes dans nos communautés ne sont toujours pas pleinement informées ».
Martha contre Mugabe
Le 21 novembre, le monde a regardé avec admiration lorsque le président le plus âgé du monde a démissionné.
Des membres du Parlement ont dansé, des citoyens ont défilé dans les rues et les bruits des klaxons des voitures pouvaient être entendus partout à Harare, au Zimbabwe.
Robert Mugabe – tristement celebre pour son règne de 37 ans marqué par des taux de pauvreté élevés, la corruption et la répression – était finalement entrain d’abdiquer.
Mais pour certains Zimbabwéens, les réjouissances populaires ont eu une connotation inquiétante, car ils ont continué à lutter contre l’héritage de censure laissé par l’ère Mugabe.
Juste trois semaines avant la démission de Mugabe, une citoyenne américaine de 25 ans, Martha O’Donovan, était détenue à Harare aux motifs de subversion et d’atteinte à l’autorité. Les accusations – qui pourraient couter plus de 20 ans de prison – ont été portées après qu’O’Donovan ait été accusée d’avoir tweeté que Mugabe était « un homme égoïste et malade ». Le tweet aurait été accompagné d’une image de Mugabe avec un cathéter, selon Al Jazeera.
O’Donovan – qui travaille en tant qu’associé de programme pour la chaîne satirique en ligne Magamba TV – a qualifié les accusations de « sans fondement et malveillantes ». Son arrestation a provoqué un tollé international et a provoqué la création des hashtags #FreeMartha et #ArrestUsAll.
Le 9 novembre, la militante des médias a été libérée sous caution de la prison de haute sécurité de Chikurubi, mais les accusations portées contre elle demeurent.
Le jour de la libération d’O’Donovan, le directeur exécutif de la section zimbabwéenne d’Amnesty International, Cousin Ziala, a déclaré: « Bien que nous saluions la décision de sa libération, les accusations absurdes contre Martha O’Donovan ne résistent manifestement pas à l’analyse et doivent être abandonnées. Nous craignons qu’elle ne soit pas la dernière à être prise dans la répression des médias sociaux.
La détention d’O’Donovan survient moins d’un mois après que l’ancien ministre des Finances, Patrick Chinamasa, ait été chargé de diriger le ministère de la Cyber sécurité, de la Détection des Menaces et de leur Atténuation, que les Zimbabwéens ont tout de suite commencé à désigner comme le « ministre de WhatsApp ».
En octobre, le chapitre zimbabwéen de l’Institut des médias d’Afrique australe a déclaré que les menaces du ministre Chinamasa de renforcer le contrôle des médias sociaux avaient « des effets dévastateurs sur l’utilisation des médias sociaux par les citoyens ».
Le gouvernement ougandais réprime « Red Pepper »
« Accuser des journalistes de compromettre la sécurité à cause d’un article? Envoyer la police antiterroriste à un journal? De quoi le gouvernement Museveni a-t-il peur »? Ce ne sont là que quelques-unes des questions que RSF avait à propos de la récente répression du gouvernement ougandais contre le journal Red Pepper.
Le 21 novembre, huit hauts responsables du tabloïd populaire ont été arrêtés lorsque la police a mené une opération anti-terroriste dans leurs bureaux de Kampala.
Ces arrestations ont été provoquées par un article de Red Pepper publié la veille, qui affirmait que le président ougandais Yoweri Museveni complotait contre le président rwandais Paul Kagame.
Cinq des directeurs de Red Pepper et trois de ses rédacteurs en chef ont été emmenés au Centre de détention de Nalufenya. Une semaine plus tard, le tribunal de Buganda les a inculpés de sept chefs d’accusation, dont la publication d’informations préjudiciables à la sécurité nationale, la diffamation et la communication offensante.
Le Réseau des journalistes pour les droits humains-Ouganda (HRNJ) a condamné ces accusations ainsi que les arrestations. Le 27 novembre, Robert Ssempala, coordinateur national du HRNJ-Ouganda, a déclaré: « Nous pensons que la décision du tribunal de priver les suspects de leur mise en liberté sous caution après une semaine de détention à Nalufenya les exposait à d’autres […] abus. Nous demandons à l’État de laisser le travail reprendre à Red Pepper pendant le déroulement procès ».
Les rédacteurs en chef et directeurs doivent comparaître devant le tribunal le 5 décembre.
L’excellence des médias en Afrique de l’Ouest, une victoire pour l’accès à l’information et le hashtag #FreeNseRamon
Media Rights Agenda-Nigeria (MRA) a célébré une victoire juridique ce mois-ci qui a été saluée comme une « victoire pour la transparence » par le journal Premium Times. Le 28 novembre, une Haute Cour de Lagos a statué que la Loi de 2011 sur l’accès à l’information du Nigeria « est applicable au gouvernement de l’État de Lagos et n’exige pas une « adaptation » quelconque par cet État pour entrer en vigueur ».
Cette décision de justice est le résultat d’une action judiciaire intentée par MRA contre le ministère de la Santé et le gouvernement de l’État de Lagos pour avoir omis de divulguer les dossiers et les informations demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (FOI).
Victory for transparency as court rules FOI law applicable to Lagos govt https://t.co/Z4Wo5eX1ti pic.twitter.com/FiGrIyM7y9
— Premium Times (@PremiumTimesng) November 29, 2017
Victoire pour la transparence lorsque le tribunal statue que la loi sur la liberté de l’information s’applique au gouv de Lagos
Le Centre africain pour la liberté de l’information (AFIC) a également eu beaucoup de choses à célébrer le mois dernier. Le 2 novembre, le gouvernement ougandais a décerné à AFIC un prix en reconnaissance de l’engagement de l’organisation à la transparence des marchés.
Depuis 2011, AFIC a travaillé avec des groupes privés, publics et de la société civile pour promouvoir l’amélioration de la divulgation à tous les stades de passation des marchés publics. Dans un tweet, Gilbert Sendugwa, responsable du Secrétariat d’AFIC, a parlé du prix en termes de « grande modestie ».
Very humbling. Uganda Govt awards @AFIC1 4 outstanding contribution to #opencontracting @Twaweza_NiSisi @UCMC2 pic.twitter.com/1GN6u6EhNo
— Gilbert Sendugwa (@GilbertSendugwa) November 2, 2017
Grande modestie. Prix du Gouv Ouganda à @AFIC1 pour contribution exceptionnelle à la transparence des marchés
MFWA a également commencé le mois de novembre sur une note positive après avoir accueilli les premiers Prix d’excellence des médias d’Afrique de l’Ouest (WAMECA) à Accra, au Ghana. Du 28 au 30 octobre 2017, WAMECA a réuni des experts des médias, des militants et des rédacteurs en chef de toute l’Afrique de l’Ouest, ainsi que des représentants des gouvernements, des partenaires de développement et des membres de la communauté diplomatique. Des prix reconnaissant l’excellence du journalisme sur de nombreux sujets ont été présentés, ceux-ci incluaient des reportages sur les droits des femmes, les Objectifs du développement durable de l’ONU (ODD), la lutte contre la corruption et plus encore.
Un autre prix pour excellence en journalisme a été décerné en novembre, mais l’ambiance qui régnait lors de la reconnaissance était plus sombre, et pour de bonnes raisons.
Le 4 novembre 2017, Cartoonists Rights Network International (CRNI) a décerné, en son absence, au caricaturiste et militant Ramón Esono Ebalé le Prix CRNI pour courage dans la caricature éditoriale. Ebalé a été arrêté arbitrairement le 16 septembre en Guinée équatoriale; il n’a été ni libéré ni inculpé depuis. Les caricatures d’Ebalé sont largement reconnues comme critiques envers le président Teodoro Obiang et d’autres responsables du gouvernement. Vous pouvez vous joindre à la campagne sur Twitter appelant à sa libération immédiate et inconditionnelle en utilisant et en suivant le hashtag #FreeNseRamon.
Lutte contre l’impunité en Gambie, en RDC et au Nigéria
Le mois dernier, de grandes avancées contre l’injustice ont été réalisées en Gambie lorsque les défenseurs de la liberté d’expression dans le monde ont célébré la Journée internationale pour mettre fin à l’impunité pour les crimes contre les journalistes.
Selon la MFWA, deux hauts fonctionnaires ont révélé que Le gouvernement gambien se conformera aux décisions de la Cour de la CEDEAO dans les affaires du rédacteur en chef assassiné Deyda Hydara, du journaliste porté disparu Chief Ebrima Manneh et du journaliste torturé Musa Saidykhan.
La décision a été annoncée le 2 novembre lors d’un forum organisé par MFWA en collaboration avec l’Union de la presse gambienne (GPU).
Quelques jours plus tard, MFWA et la GPU ont facilité des réunions entre les responsables du ministère de la Justice et les familles des victimes pour discuter de la manière dont ils allaient procéder pour indemniser les familles.
En République démocratique du Congo (RDC), le membre de IFEX, Journaliste en danger (JED), a commémoré la Journée internationale pour mettre fin à l’impunité pour crimes contre les journalistes en publiant son rapport annuel sur l’état de la liberté d’expression en RDC.
Le rapport 2017 documente 121 cas d’attaques contre les travailleurs des média; la moitié d’entre elles étaient des cas de violence physique. Le rapport extrapole en outre sur le contexte politique dans lequel les journalistes travaillent. La RDC traverse une crise politique; des élections présidentielles étaient prévues en novembre 2016 – et quand Kabila a refusé de quitter le pouvoir, un accord a été conclu pour qu’il démissionne avant la fin de 2017. Cela n’a pas encore eu lieu.
Les manifestations des civils appelant Kabila à se conformer ont été dispersées par la force dans tout le pays. Human Rights Watch rapporte qu’en novembre, Binja Happy Yalala, une lycéenne de 15 ans, a été battue par la police et détenue pendant plus de 10 heures sur l’île d’Idjwi. La fillette avait participé à une marche pacifique organisée par le mouvement citoyen « C’en Est Trop » (« C’est trop »), mais elle était accusée d’être une sorcière.
Au Nigeria, la liberté d’expression a été réduite au silence d’une façon plus radicale. Le 15 novembre, le journaliste Ikechukwu Onubogu a été retrouvé mort, avec des blessures par balles dans le corps, après avoir été porté disparu pendant trois jours. Selon MFWA, Onubogu travaillait comme cameraman pour Anambra Broadcasting Service (ABS) à Awka, la capitale de l’État.
Cet incident porte à trois le nombre de journalistes assassinés par des inconnus au Nigéria depuis le début de l’année.
Dans un communiqué de presse marquant la Journée internationale pour mettre fin à l’impunité des crimes contre les journalistes, le Centre international de la presse (IPC Lagos-Nigeria) « a appelé les autorités policières à divulguer publiquement ce qui a été fait jusqu’à présent pour élucider le mystère derrière les meurtres des journalistes au Nigeria ».
Christophe Deloire, secrétaire général de RSF (à l’extrême gauche) et Jean Kouchner, président de l’Union de la presse francophone (à droite), ont rencontré le président guinéen, Alpha Condé, le 25 novembre 2017Reporters sans frontières
L’activiste sud-africaine Irene Nkosi a été récemment présentée par « People Magazine » comme l’une des « 25 femmes qui changent le monde »mothers2mothers
L’américaine Martha O’Donovan est libérée sous caution à la prison de sécurité maximum de Chikurubi, à Harare, au Zimbabwe, le 10 novembre 2017REUTERS / Philimon Bulawayo
Les parents du journaliste porté disparu Chief Ebrima Manneh (assis) sont photographiés avec l’équipe de médiation de MFWA et du GPUMFWA / GPUT