Un tour d’horizon des principales informations sur la libre expression en Europe et en Asie centrale, basé sur les rapports des membres de l'IFEX.
Focus sur le Genre: la fille libérée du Kirghizistan
Zere Asylbek, une auteure-compositrice de 19 ans, a provoqué un débat sur les droits des femmes au Kirghizistan, où le clip d’une de ses chansons – « Kyz » (qui signifie « Fille ») – lui a valu à la fois des éloges et des menaces de mort. La chanson, qui appelle à l’égalité des femmes et à leur liberté d’expression (décrite comme un manifeste féministe) est sortie il y a quelques mois, mais son clip – dans lequel Asylbek se produit habillée d’un soutien-gorge violet alors que d’autres femmes arborent le hijab, un bikini et un jeans – n’est sortit qu’en septembre et devient rapidement viral.
« Almost any girl in our country has had at least one kind of violation »#ZereAsylbek received death threats over her attire in video in her song #Kyz#Freemuse calls for Kyrgyz authorities to ensure the safety of Asylbek and launch a criminal investigation into the threats pic.twitter.com/Xr8PGeueao
— Freemuse (@Freemuse98) September 20, 2018
« Presque toutes les filles de notre pays ont subi au moins une violation quelconque » #ZereAsylbek a reçu des menaces de mort à cause de sa tenue dans le clip de sa chanson #Kyz. # Freemuse appelle les autorités kirghizes à assurer la sécurité d’Asylbek et à ouvrir une enquête criminelle sur ces menaces
Sur le plan législatif et culturel, le Kirghizistan est un pays extrêmement conservateur: la discrimination à l’égard des femmes est une pratique courante et les violences domestiques, les enlèvements et les mariages forcés sont fréquents. Ainsi, il n’est donc pas surprenant que le message d’Asylbek – à savoir que les femmes devraient être autorisées à s’habiller et à s’exprimer librement – a suscité sur le net des réelles menaces inquiétantes. Toutefois, elle a également reçu beaucoup de soutien de la part de femmes qui ont fait preuve de solidarité en publiant des photos d’elles-mêmes dans leurs soutiens-gorge sur les médias sociaux. Le père d’Asylbek a également défendu publiquement sa liberté d’expression: « Zere est ma fille », a-t-il déclaré, « une fille libérée du Kirghizistan libre ».
« Propagande terroriste »
En Turquie, la fin du mois de septembre a connu une autre audition dans le procès en cours de l’éditeur Ragıp Zarakolu. Il a été arrêté en 2011 et accusé, de façon absurde, d’avoir « aidé et encouragé une organisation illégale » à la suite d’un discours qu’il avait prononcé lors d’un événement organisé par le parti pro-kurde, aujourd’hui interdit, Paix et Démocratie (BPD). Il risque jusqu’à 15 ans de prison s’il est reconnu coupable. PEN International a demandé que les accusations portées contre lui soient abandonnées. L’Association Internationale des éditeurs a critiqué les autorités turques pour avoir abusé du système de notices rouges d’Interpol afin de tenter de forcer Zarakolu (qui vit désormais en Suède) à se présenter aux procédures en cours à Istanbul. La prochaine audience du procès de Zarakolu aura lieu le 30 novembre.
Au début du mois, Reporters sans frontières (RSF) a rappelé que plus de 50 journalistes sont actuellement jugés pour « propagande terroriste ». Vers la fin du mois, trois responsables de Hayatın Sesi TV – Mustafa Kara, Gökhan Çetin et İsmail Gökhan Bayram – ont été condamnés à ce titre, chacun a reçu trois ans et neuf mois de prison. Le procès a été observé par Caroline Stockford, de l’Institut international de la presse, qui a fourni ce reportage vidéo:
International Press Institute (@globalfreemedia)’s Caroline Stockford (@CarolineStockf1) has observed the Hayatın Sesi TV trial today and commented on 3 years 9 months prison sentences announced for three executives of the TV network. #dokuz8/@obefintlig pic.twitter.com/x6qYHEG8Nr
— dokuz8 NEWS (@dokuz8_EN) September 19, 2018
Caroline Stockford (@ CarolineStockf1) d’Institut international de la presse international (@ globalfreemedia) a observé aujourd’hui le procès de Hayatın Sesi TV et a commenté les 3 ans 9 mois de peines de prison annoncées pour trois responsables de la chaîne de télévision.
Trois journalistes bien connus, Ahmet Altan, Mehmet Altan et Nazlı Ilıcak ont fait appel devant le tribunal des condamnations à perpétuité qui leur ont été infligées en février après qu’ils avaient été reconnus coupables des accusations en relation avec la tentative de coup d’Etat manqué de 2016. Leur audience d’appel a été ajournée jusqu’en octobre.
Le journaliste autrichien Max Zirngast a été arrêté ce mois-ci pour « appartenance à une organisation terroriste »; il est maintenant en détention préventive.
Mais il y a eu aussi de bonnes nouvelles en septembre: Hanifi Barış, de Academic for Peace, a été libéré de sa détention provisoire (il est accusé de « propagande terroriste »). Il était en prison depuis juillet. Son procès se poursuivra en décembre.
Pour un aperçu complet de tous les cas de journalistes et de militants persécutés, veuillez consulter les mises à jour régulières fournies par Bianet, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), la Plateforme pour le journalisme indépendant (en plus du site de son partenaire Expression Interrupted) et l’Initiative pour la liberté d’expression-Turquie.
L’« imprimante enragée » et le journaliste empoisonné
En ce mois, la Douma (Parlement) de Russie, qui, comme le fait remarquer RSF, est souvent surnommée « l’imprimante enragée » pour la rapidité avec laquelle elle concocte de nouvelles lois, a poursuivit son assaut législatif contre la liberté d’expression en passant deux projets de loi qui imposent des sanctions draconiennes pour non-suppression du contenu interdit en ligne. Ceux qui enfreindront la loi risquent jusqu’à deux ans de prison.
Le cinéaste ukrainien emprisonné, Oleg Sentsov, a été nominé pour le prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de pensée. Sentsov, qui purge actuellement une peine de 20 ans d’emprisonnement en Russie, a été condamné pour des accusations de terrorisme douteuses en 2015; il fait une grève de la faim depuis mai 2018 et sa condition physique serait très mauvaise.
En septembre a vécu aussi le troisième anniversaire de la disparition de l’éditeur de site Leonid Makhinya, qui a été vu pour la dernière fois à Volgograd en juillet. Son site internet, le Volgogradsky Reporter, est un média indépendant qui a souvent critiqué les autorités locales.
Le 9 septembre, la police a violemment dispersé des manifestations dans plusieurs villes de Russie, arrêtant des centaines de manifestants, dont des enfants. Les rassemblements, organisés pour protester contre la réforme des retraites, étaient extrêmement pacifiques, même si la plupart n’avaient pas été officiellement « autorisés ». L’un des organisateurs, le chef de l’opposition, Alexei Navalny, avait été placé en détention préventive le mois dernier pour l’empêcher d’assister aux rassemblements.
Hundreds were arrested on September 9 as protests against the raising of the retirement age were held across Russia. https://t.co/XDdwfgjGan pic.twitter.com/YiBTYhLFbm
— Radio Free Europe/Radio Liberty (@RFERL) September 9, 2018
Des centaines de personnes ont été arrêtées le 9 septembre alors que des manifestations contre le relèvement de l’âge de la retraite avaient eu lieu dans toute la Russie.
Le 12 septembre, la Cour suprême a confirmé le verdict prononcé par le tribunal de la ville de Moscou concernant le journaliste ukrainien Roman Sushchenko, condamné à 12 ans dans une prison de haute sécurité. Sushchenko avait été reconnu coupable d’espionnage pour l’Ukraine alors qu’il était en vacances à Moscou en 2016. Des groupes de défense des droits ont critiqué le verdict, invoquant le manque de preuves contre le journaliste et les fédérations internationales et européennes des journalistes ont exhorté les autorités russes à le libérer.
Pyotr Verzilov, membre de Pussy Riot et fondateur du site d’information indépendant Mediazona, est actuellement hospitalisé et on craint qu’il ait été empoisonné. Selon certaines informations, il avait tenté de faire la lumière sur les meurtres de trois journalistes russes en République centrafricaine en juillet (les journalistes enquêtaient sur les activités de mercenaires russes dans cet Etat africain).
Les MPE examinent encore Malte
Ce mois-ci, une délégation des Eurodéputés (MPE) s’est rendue à Malte pour évaluer l’état de droit, la corruption et la sécurité des journalistes sur l’île. L’assassinat en octobre 2017 de la journaliste Daphne Caruana Galizia a été l’un des principaux sujets abordés par les Eurodéputés lorsqu’ils ont rencontré le gouvernement maltais. La délégation a demandé au gouvernement de mettre fin à tous les discours de haine dirigés contre la famille, d’abandonner tous les procès en diffamation contre la défunte journaliste (le Premier ministre et son épouse la poursuivent toujours) et de régler la situation autour du mémorial de fortune de Daphné à Valleta (que les autorités continuent d’essayer de démanteler). Selon des informations, le gouvernement a déclaré à la délégation qu’il pouvait faire quelque chose à propos du mémorial…
L’engagement des autorités maltaises à mener une enquête approfondie sur le meurtre de Daphné a été fréquemment remis en question par des journalistes, des militants et des politiciens de toute l’Europe. Pieter Omtzigt, rapporteur spécial de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’assassinat de Daphné, a annoncé, ce mois-ci, que Malte avait effectivement tenté de retirer son mandat.
Mr. Mallia (Malta) proposed to withdraw my mandate on the report on the assassination of Daphne Caruana Galizia
He did not get support in the committee pic.twitter.com/HLKJ70hk2m— Pieter Omtzigt (@PieterOmtzigt) September 10, 2018
M. Mallia (Malte) a proposé de retirer mon mandat sur le rapport sur l’assassinat de Daphne Caruana Galizia. Il n’a pas été soutenu au sein du comité
On ne blague pas avec l’honneur d’un dictateur
En Espagne, les artistes sont de nouveau sous le feu des projecteurs de la libre expression.
El Gran Wyoming, l’un des commentateurs TV et satiristes politiques les plus connus d’Espagne, son co-présentateur et la chaîne de télévision La Sexta seront poursuivis en justice par la Fondation d’extrême droite Franco, qui les accuse de « porter atteinte à l’honneur » du défunt dictateur fasciste d’Espagne, Francisco Franco. Cela intervient après qu’El Wyoming ait parodié l’exhumation du corps de Franco dans son spectacle (le corps de Franco sera effectivement exhumé et transféré dans un autre lieu de sépulture plus tard cette année). Depuis le dépôt de la plainte, El Wyoming et ses collègues l’utilisent pour se moquer du dictateur et de la Fondation, et ils ont reçu beaucoup de soutien sur les médias sociaux.
VÍDEO | ¿Dónde quiere descansar realmente Franco? Esta noche, Wyoming y @DaniMateoAgain le preguntan en @El_Intermedio https://t.co/HnBJkU4X5e #elintermedio
— laSexta (@laSextaTV) September 13, 2018
VÍDEO | ¿Dónde quiere descansar realmente Franco? Esta noche, Wyoming y @DaniMateoAgain le preguntan en @ El_Intermedio #elintermedio
L’acteur Willy Toledo a été arrêté après avoir refusé (une fois encore) de comparaître devant le tribunal pour une plainte déposée contre lui par l’Association espagnole des avocats chrétiens. Il est accusé d’avoir « insulté les sentiments religieux » à la suite d’un message publié en 2017 sur Facebook. Toledo, qui a été libéré jeudi, affirme qu’il se sert de la plainte contre lui pour souligner que les infractions contre les sentiments religieux figurent toujours dans le code pénal espagnol.
La procureure générale d’Espagne, María José Segarra, a suggéré qu’il serait peut-être temps de repenser la condamnation sévère des utilisateurs de médias sociaux reconnus coupables d’« incitation à la haine ». Actuellement, ces utilisateurs de médias sociaux risquent de lourdes peines de prison, mais Segarra affirme que des sanctions alternatives pourraient être introduites dans les cas où « le contexte, le contenu, l’absence de répétition ou les circonstances personnelles [de l’utilisateur de medias sociaux] » justifient un traitement moins sévère du crime.
Le renseignement du Royaume-Uni espionne un membre de l’IFEX
Il a été révélé ce mois que MI5, une agence de renseignement au Royaume-Uni, a espionné le membre de l’IFEX, Privacy International, en capturant et en lisant les données privées de l’organisation dans le cadre de ses programmes de surveillance de masse. De plus, les trois grandes agences de renseignement – MI5, GCHQ et MI6 – ont également reconnu avoir collecté illégalement des données sur Privacy International ou son personnel.
Ces révélations font suite à une grande victoire remportée au début du mois par Privacy International et d’autres groupes de défense des droits, lorsque la Cour européenne des droits humains a jugé que le programme britannique d’interception de masse violait les droits à la vie privée et à la liberté d’expression en ne prévoyant pas suffisamment de limitations à ces surveillances.
Privacy International a écrit au ministre britannique de l’Intérieur pour lui demander de prendre des mesures contre ces agences d’espionnage.
Following revelations that a UK spy agency unlawfully spied on PI, we have written to the Home Secretary asking him to instruct the agencies to provide a full explanation as to why they unlawfully held & analysed our data.https://t.co/0JycDM40vk
Docs: https://t.co/0NbJa8rKVw pic.twitter.com/KdQlJotndM
— Privacy International (@privacyint) September 25, 2018
Suite à des révélations qu’une agence d’espionnage britannique a espionné illégalement PI, nous avons écrit au Ministre de l’Intérieur lui demandant d’exiger des agences une explication complète des raisons pour lesquelles elles ont illégalement détenu et analysé nos données.
Le 12 septembre, les législateurs de l’UE ont approuvé la controversée directive sur le droit d’auteur. Les partisans de la nouvelle législation – telle que la Fédération internationale des journalistes (FIJ) – déclarent qu’elle garantira que les artistes, les créateurs et les journalistes soient rémunérés équitablement pour leur travail lorsqu’ils sont mis en ligne; les opposant à cette législation – comme Electronic Frontier Foundation (EFF) – disent que cela « prépare le terrain pour une surveillance de masse automatisée et une censure arbitraire de l’internet ». Visitez les sites Web de la FIJ et de l’EFF pour plus de détails sur leurs positions.
En bref
En Slovaquie, la police a arrêté un certain nombre de suspects en rapport avec meurtres, en février 2018, du journaliste d’investigation Jan Kuciak et de sa fiancée Martina Kusnirova. Avant d’être tué, Kuciak enquêtait sur les liens entre le crime organisé et les politiciens slovaques. Son meurtre a provoqué la chute du gouvernement.
La privation de nationalité est parfois utilisée comme un outil de persécution, comme le sait à ses dépens Emin Huseynov, membre azerbaïdjanais de l’IFEX. Huseynov est le fondateur et directeur de l’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes. Il a été déchu de sa citoyenneté par le gouvernement de l’Azerbaïdjan en 2015 et vit actuellement en Suisse. En ce mois de septembre, l’IFEX a rejoint International Media Support, le CPJ et le Projet international senior lawyers pour soumettre une intervention conjointe de tiers à la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Huseynov contre l’Azerbaïdjan. Le journaliste affirme qu’il a été illégalement déchu de sa citoyenneté en représailles à ses critiques.
Ce mois-ci, les eurodéputés (MPE) ont décidé de déclencher la procédure de sanctions prévue à l’article 7 contre la Hongrie pour ne pas avoir respecté les valeurs européennes fondamentales. Plus précisément, le gouvernement du Premier ministre Orbán a présenté une législation draconienne ciblant la société civile et les immigrants (pour laquelle il avait été condamné par des experts des Nations Unies) et est accusé de menacer la liberté de la presse. Il a également alimenté l’islamophobie et utilisé des expressions antisémites pour attaquer le philanthrope juif George Soros. Le déclenchement de l’article 7 est la première étape d’un long processus qui pourrait aboutir à des sanctions financières et à la suspension des droits de vote.
#Breaking #Hungary: @EuroParl_EN decided to #VoteYes4Hungary and initiates #Article 7 by 448 Yes and 197 No.
Over the 2/3 qualified majority required. pic.twitter.com/FB86Z26b4P— Human Rights Watch (@hrw) September 12, 2018
#Flash #Hongrie: @EuroParl_EN a décidé de #VoterOui4Hongrie et actionne #Article 7 par 448 Oui et 197 Non. Plus de la majorité qualifiée des 2/3 requise.
En France, Marine Le Pen, la dirigeante d’extrême droite du parti Rassemblement National (anciennement connu sous le nom de Front National) est poursuivie pour avoir partagé du matériel en ligne considéré comme « incitant au terrorisme ». Si elle est reconnue coupable, elle risque de payer une lourde amende et – potentiellement – trois ans de prison. Les images qu’elle avait postées étaient des atrocités de l’État islamique.
Une douzaine de journalistes ont été pris pour cible pendant les manifestations contre les immigrants et les émeutes à Chemnitz, en Allemagne, ce mois de septembre. Selon certaines informations, il y avait des chants de « Lügenpresse » (presse mensongère) pendant les manifestations. Le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias a condamné les attaques et fourni des exemples de la forme qu’elles ont prise.
En Ukraine, un homme a été emprisonné pour quatre ans et demi pour avoir pris part à la conspiration en mai 2018 pour tuer le journaliste russe Arkady Babchenko. Babchenko, qui travaille avec des agents de renseignement ukrainiens, avait simulé son propre meurtre de manière controversée dans le but de déjouer la tentative d’assassinat, que les autorités ukrainiennes ont dit avoir été commandité par le FSB russe.
Human Rights Watch (HRW) a publié, ce mois-ci, un rapport qui traite de la possession de matériel « extrémiste » interdit au Kirghizistan. Le rapport indique que la loi utilise une définition trop large du terme « extrémiste » et que des centaines de personnes sont condamnées pour avoir détenu du matériel interdit, indépendamment de ce qu’elles en font. Selon HRW, une grande partie du matériel est liée à des groupes islamiques interdits, mais une grande partie de ce qui a été utilisé dans les poursuites ne contient même pas d’appels à la violence.