Une semaine après les faits, Reporters sans frontières (RSF) révèle le témoignage glaçant d’un fixeur et interprète de 32 ans, enlevé le 5 mars dans un village du centre de l’Ukraine, détenu pendant neuf jours, laissé dans un froid glacial dans une cave, et torturé à plusieurs reprises.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 21 mars 2022.
Enlevé par des troupes russes le 5 mars, Nikita (son prénom est modifié pour sa sécurité) a été détenu pendant 9 jours. Mitraillage, chocs électriques, coups de barre de fer, simulacre d’exécution : Reporters sans frontières (RSF) a recueilli et vérifié son récit.
Une semaine après les faits, Reporters sans frontières (RSF) révèle le témoignage glaçant d’un fixeur et interprète de 32 ans, enlevé le 5 mars dans un village du centre de l’Ukraine, détenu pendant neuf jours, laissé dans un froid glacial dans une cave, et torturé à plusieurs reprises. Cet homme (dont le prénom a été modifié à sa demande pour garantir sa sécurité) a été retenu seul avant d’être rejoint par trois personnes, dont un ancien haut fonctionnaire ukrainien. Le récit de Nikita est effarant : fusillade de son véhicule, séances de torture au couteau et à l’électricité, coups de crosse de fusils mitrailleurs sur le visage et sur le corps à plusieurs reprises, simulacre d’exécution, privation de nourriture pendant 48 heures…
A l’abri (pour l’instant) dans une ville ukrainienne, ce miraculé a témoigné de ses neuf jours d’horreur auprès de RSF. Juriste et manager de formation, il est ponctuellement fixeur et interprète pour des médias étrangers depuis 2013. Il a notamment travaillé pour des équipes de France 2, BFMTV et RFI. En février 2022, l’entreprise d’informatique qui l’emploie connaît des difficultés du fait de la guerre : Nikita se consacre alors pleinement à son activité de fixeur. Il collabore avec Radio-France. Parmi les reporters étrangers qui l’ont fait travailler, ceux que RSF a contactés sont unanimes : il est très professionnel, sérieux et compétent. Comme tout Ukrainien, ce père de famille est particulièrement soucieux du sort de sa famille alors que les bombardements indiscriminés russes ont gagné en intensité.
Alertée de sa disparition le 8 mars par Radio France et mobilisée pour le retrouver, RSF a noué contact avec Nikita après sa libération via le Centre pour la liberté de la presse ouvert à Lviv. Son témoignage a été recueilli par des responsables de la direction Plaidoyer et assistance de RSF lors de plusieurs séances les 17 et 18 mars. Les différentes parties de son récit ont été corroborées par des entretiens avec un membre de sa famille, un de ses anciens codétenus, deux journalistes de Radio France. Un collaborateur de RSF l’a accompagné lors de son examen médical, qui a permis de confirmer les traitements subis, notamment des commotions et des marques sur les jambes, là où les chocs ont été infligés. RSF était aussi présent lors de ses appels à sa famille.
RSF transmettra son témoignage au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) en complément des deux plaintes que RSF lui a déjà adressées, les 4 et 16 mars.
“Nikita nous livre un témoignage glaçant qui confirme l’intensité des crimes de guerre perpétrés par l’armée russe contre les journalistes, souligne Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Transmettre son témoignage au procureur de la CPI est le moins que nous puissions faire pour ce jeune fixeur courageux.”
Affecté par l’épreuve qu’il a traversée, Nikita est résolu à poursuivre son activité professionnelle pour contribuer au droit à l’information. Sa façon de contribuer à la liberté de son pays plutôt qu’en maniant les armes, ce à quoi il se dit complètement inapte. Un de ses co-détenus, gravement blessé, est hospitalisé pour des blessures profondes. Le sort de l’ancien haut fonctionnaire est inconnu. L’autre prisonnier, celui que RSF a pu contacter, dit s’en être sorti sans trop de séquelles. Quand RSF demande à ce dernier pourquoi ils ont été libérés plutôt qu’exécutés, il répond: “Je crois qu’ils n’avaient pas le courage de creuser des tombes.”
Le journaliste ukrainien Oleg Batourine, libéré le 20 mars après 8 jours entre les mains de l’armée russe, qui lui a infligé le même type de traitement, affirme de son côté : “ils voulaient (me) casser, (me) piétiner, pour montrer ce qui arrivera à chaque journaliste : vous serez tués”.