Septembre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord: tour d’horizon des principales informations sur la liberté d’expression. Réalisé sur base des rapports des membres de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Que s’est-il passé en Egypte?
En septembre, l’Égypte a connu ses premières manifestations à l’échelle du pays depuis l’arrivée au pouvoir, en 2013, du président Abdel Fattah el-Sisi. Alors que le ressentiment public du au marasme économique, kola corruption du gouvernement et la répression de la dissidence se sont progressivement accrus ces dernières années, ce dernier point de basculement est arrivé du fait de Mohamed Ali, un entrepreneur en bâtiment et futur acteur égyptien, qui a publié une série de vidéos accusant Sisi et son gouvernement de corruption.
Exilé volontaire en Espagne, les vidéos virales d’Ali accusaient le président et son entourage de divers crimes, notamment l’utilisation de fonds publics pour la construction de palais et de villas, l’attribution de gré à gré de contrats publics plutôt que par le biais d’appels d’offres et la campagne antiterroriste de l’armée dans le nord du Sinaï. Ayant travaillé sur des projets de construction pour les militaires, la familiarité apparente d’Ali avec le fonctionnement interne de l’Etat a donné à ses vidéos une certaine crédibilité.
Quelques jours plus tard, lorsque Sisi a réfuté les accusations lors d’une allocution impromptue prononcé à une conférence de la jeunesse, Ali a publié davantage de vidéos et a ainsi incité d’autres initiés à sortir de l’ombre et à publier leurs propres vidéos étayant ses affirmations. Le 20 septembre, mus par une colère visible, des centaines de manifestants sont descendus dans la rue, appelant Sissi à démissionner. Les autorités égyptiennes ont réagi par des arrestations massives, rassemblant plus de 2 000 dissidents en l’espace de deux semaines, notamment des journalistes, des avocats et des dirigeants de partis politiques.
Le président égyptien Abdel Fattah el-Sisi a commenté les vidéos de la star de cinéma et magnat de l’immobilier, Mohamed Ali, l’accusant de corruption.
Au cours des dernières années, les autorités égyptiennes ont de plus en plus tendance à restreindre leur dissidence grâce aux arrestations continues des voix discordantes, aux campagnes de diffamation, à la répression de la société civile et aux lois portant censure, ainsi qu’au renforcement de la surveillance en ligne.
Le 10 septembre, donnant un aperçu flagrant de la montée de la répression, les forces de sécurité ont fait irruption au domicile de Magdi Shandi, rédacteur en chef du journal indépendant al-Mashhad, qui, à en croire le Réseau arabe d’informations sur les droits de l’homme (ANHRI), est « le seul journal plus ou moins de l’opposition qui reste aujourd’hui ». Après avoir réalisé que Shandi n’était pas chez lui, son fils Omar, étudiant à l’université, a été arrêté et utilisé comme monnaie d’échange pour le contraindre à se rendre.
Les forces de sécurité ont également effectué une descente musclée dans la maison familiale du militant basé aux Etats-Unis Wael Ghonim, exilé volontaire, dont la page Facebook avait déjà contribué à déclencher la révolution du 25 janvier. Selon Ghonim, les autorités ont arrêté son frère Hazem – un dentiste de 31 ans – et confisqué les passeports et les téléphones portables de sa famille. Tout au long du mois de septembre, Ghonim a commencé à publier une série de vidéos sur les réseaux sociaux dans le but de faire prendre conscience de la situation difficile de son frère. Il a accusé le fils du président et chef adjoint de la direction générale du renseignement, Mahmoud el-Sisi, d’avoir orchestré l’arrestation, dans le but de le forcer à garder le silence. Hazem aurait été détenu pendant 15 jours et accusé d’avoir « rejoint une organisation terroriste » ainsi que de « diffusion de fausses nouvelles ».
#savehazem Mon frère a été kidnappé par le régime égyptien. Il ne fait pas de politique. Hier, l’ambassade à Washington m’a menacé et j’ai rejeté leur offre. Mon frère s’est fait arrêter. Je ne vais pas reculer. S’il vous plaît aidez-moi à faire face à ces voyous
La situation difficile en Égypte était peut-être mieux décrite dans une lettre commune publiée par plusieurs organisations de défense des droits seulement quelques jours avant les manifestations qui appelaient les États membres de l’UE à examiner les « niveaux de répression sans précédent en Égypte ». Cette lettre soulignait comment les autorités «… recourent de plus en plus à des tactiques répressives telles que la détention préventive prolongée, les disparitions forcées et le harcèlement judiciaire pour faire taire toutes les voix indépendantes, notamment par le biais d’enquêtes non fondées sur des accusations liées à la sécurité nationale ». Selon ce communiqué, l’Égypte est devenue « un des plus grands geôliers de journalistes et des organisations indépendantes de défense des droits humains sont systématiquement annihilées ».
Parmi les personnes récemment emprisonnées figurent d’éminents blogueurs tels qu’Alaa Abdel Fatah et Mohamed Oxygen, qui ont tous deux été libérés respectivement en mars et en août, et devaient déjà se présenter régulièrement à un poste de police dans le cadre de leur probation. Dans une tragédie ironique, Mohamed el-Baqer, éminent avocat spécialisé dans la défense des droits humains, a également été arrêté alors qu’il assistait à une session d’enquête avec Alaa.
Il a également été inculpé au même titre que son client « d’appartenance à un groupe terroriste », de « financement d’un groupe terroriste », de « propagation de fausses nouvelles qui sapent la sécurité nationale » et « d’ utilisation des médias sociaux pour commettre des infractions par voie de publications ». Selon des rapports, les deux ont été détenus pendant 15 jours au secret, dans l’attente d’une enquête.
L’avocate primée Mahienour El-Massry a également été arrêtée après avoir assisté à l’enquête de plusieurs clients amassés par les autorités au cours des manifestations. En quittant le parquet, des agents de sécurité en civil auraient obligé Mahienour à monter dans une camionnette. On ignore où elle se trouve actuellement, mais l’activiste aurait été placée en détention préventive pour 15 jours et ferait face à des accusations potentielles d’ « avoir rejoint un groupe illégal », de « publication de fausses informations » et « d’utilisation abusive des médias sociaux ».
« Nous n’aimons pas les prisons mais nous n’en avons pas peur » – @Mahienour #freemahienour #Egypt https://twitter.com/Raseef22/status/1175885131413954560 …
« L’oppression de la population par l’État est toujours vouée à l’échec », a déclaré, dans un récent entretien, le fondateur de ANHRI, Gamal Eid, à propos de la vague d’arrestations. « Cela ne peut assurer la paix que pendant un certain temps. Ce n’est pas un moyen efficace de gérer la colère du peuple. Sans un dialogue franc et sans de réelles améliorations politiques, la situation pourrait dégénérer et échapper rapidement au contrôle. »
Depuis l’interdiction de voyager lui imposée en 2016, Eid n’a pas été autorisé à quitter le pays, en dépit du fait que la loi stipule que l’interdiction de voyager ne doit pas dépasser deux ans. Un appel interjeté devant le tribunal pénal du Caire le mois dernier a été reporté à novembre.
Pendant ce temps, à Bahreïn
Malgré les appels d’organisations internationales de défense des droits, Nabeel Rajab, éminent militant des droits humains bahreïnien, continue à purger sa peine de cinq ans après qu’il lui a été refusé, une fois encore, une peine non privative de liberté par la Haute Cour d’appel du pays. L’équipe juridique de Rajab voulait une peine alternative lui permettant de purger le reste de sa peine en résidence surveillée ou sous forme de travaux collectifs et d’amendes.
En septembre toujours, les célébrations de la fête religieuse d’Ashura ont été entachées de détentions et d’arrestations du fait que les autorités Bahreïnites ont continué de restreindre les opinions religieuses des clercs chiites. Au moins 23 prédicateurs ont été convoqués, interrogés et brièvement arrêtés, tandis que les autorités auraient enlevé les banderoles religieuses marquant cette célébration annuelle.
Lors de la 42ème session du Conseil des droits de l’homme (CDH42) à Genève, Americans for Democracy and Human Rights in Bahrain (ADHRB) ont fait part de leurs inquiétudes concernant les violations des droits humains à Bahreïn depuis 2017, y compris les récentes exécutions, les procès en masse et la dissolution des principaux partis d’opposition et l’amendement de la loi antiterroriste pour y inclure la pénalisation potentielle des publications sur les réseaux sociaux.
Dans le même temps, le Centre pour les droits de l’homme du golfe (GCHR) et d’autres groupes de défense des droits humains ont écrit une lettre conjointe au Premier ministre norvégien après la remise d’un prix honorifique au Premier ministre de Bahreïn, Khalifa bin Salman Al-Khalifa. Organisé par la Commission du 14 août, le prix « Invité d’honneur norvégien » a été attribué à Al-Khalifa « en reconnaissance de ses efforts pour promouvoir la paix, la sécurité, la tolérance et l’harmonie aux niveaux régional et mondial ». Pourtant, comme le souligne la lettre, des exécutions ont eu lieu à seulement trois semaines de la remise du prix, et Al-Khalifa – qui occupe le poste de Premier ministre depuis 1971 – a joué un rôle clé dans la supervision de nombreuses violations des droits humains dans le pays.
Les signataires ont également attiré l’attention sur le contraste entre la priorité accordée par le gouvernement norvégien aux droits des femmes dans le monde et la situation des défenseuses des droits des femmes à Bahreïn, en écrivant:
« Les défenseures des droits humains ont constamment été prises pour cibles par les autorités pour avoir dénoncé les violations des droits humains, la violence et la corruption via les médias sociaux, ce qui a conduit à des détentions et à la torture… De nombreuses femmes vivent actuellement en exil afin de pouvoir continuer à militer et à défendre les droits humains et ceux des femmes à Bahreïn. »
Soulignant cette situation catastrophique, un nouveau rapport de l’ADHRB et du Bahrain Institute for Rights and Democracy (BIRD- Institut bahreïnien pour les droits et la démocratie) met en lumière le récit de neuf prisonnières politiques dénonçant les abus systémiques qu’elles ont subis dans les prisons bahreïniennes. Le rapport relate dans les détails tous les instants depuis leurs arrestations jusqu’à leurs détentions en passant par leurs interrogatoires et les procès. Ces militantes ont été victimes d’abus physiques et sexuels au cours des interrogatoires, de menaces de viol et de mort, d’aveux obtenus sous la contrainte et d’isolement cellulaire prolongé. De toutes celles qui ont enduré ces traitements, Ebtisam al-Saegh, défenseure des droits humains, a déclaré que son interrogateur se décrivait lui-même ainsi: « le tortionnaire… mon passe-temps est la torture, ma profession est de torturer. Je possède l’art de la torture ».
La militante et ancienne fonctionnaire Najah Yusuf a également fourni des détails sur sa détention en 2017 pour des postes publics, qualifiant la course de Formule 1 à Bahreïn de « lavage de cerveau par le sport » du bilan du pays en matière de droits humains. Au cours de ces cinq jours, Yusuf a été interrogée à plusieurs reprises. Elle aurait été torturée, agressée sexuellement, empêchée de rencontrer son avocat et contrainte de signer des aveux qu’elle n’aurait pas été autorisée à lire. Condamné à trois ans de prison, Yusuf a récemment été libérée en août 2019 avec 104 autres militants, dans le cadre d’une grâce royale. En septembre, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (WGAD) a publié un avis jugeant la détention de Najah Yusuf arbitraire et illégale, et « en violation de ses droits à la liberté d’expression et à un procès équitable », appelant le gouvernement de Bahreïn à indemniser Yusuf.
En bref
Au Maroc, la journaliste Hajar Raissouni, arrêtée au mois d’août sous l’inculpation d’avortement et de relations sexuelles avant le mariage, a été condamnée à un an de prison. Ahmed Benchemsi, directeur de la communication de Human Rights Watch pour la région Moyen-Orient et Afrique du nord (MENA), a qualifié le verdict de « journée noire pour la liberté au Maroc ». Malgré le rejet des accusations, qu’elle qualifie de « fabriquées » et de « politiquement motivées », la journaliste du quotidien Akhbar Al-Yaoum, âgée de 28 ans, a été soumise à un examen gynécologique sans son consentement et à un interrogatoire portant sur sa vie privée. L’article 490 du code pénal marocain punit les relations sexuelles hors mariage et interdit tout avortement sauf si la vie de la mère est en danger. Un manifeste signé par 490 femmes marocaines dit: « Nous, citoyens marocains, déclarons que nous sommes des hors-la-loi… nous violons des lois injustes et obsolètes… nous avons des relations sexuelles hors mariage. Nous souffrons, facilitons ou sommes complices d’avortement. »
#FreeHajar Raissouni et son fiancé Rifaat Al-Amin viennent d’être condamnés à un an de prison. Une injustice flagrante, une violation flagrante des droits humains et une atteinte frontale aux libertés individuelles. C’est un jour noir pour la liberté au #Maroc. https://www.hrw.org/news/2019/09/09/morocco-trial-over-private-life-allegations…
Aux Émirats arabes unis (EAU), le militant Ahmed Mansoor a entamé une deuxième grève de la faim après avoir été copieusement battu pour avoir protesté contre ses mauvaises conditions de détention. Purgeant présentement une peine de prison de 10 ans, Mansoor avait fait une grève de la faim d’une durée d’un mois en mars 2019 pour protester contre son isolement dans une cellule sans lit ni eau courante. Au cours de cette période, sa santé s’était considérablement détériorée. En mai, des experts de l’ONU avaient condamné les conditions de détention et le placement à l’isolement de Mansoor, affirmant que ces actes « pouvaient être assimilés à de la torture ».
Au Kurdistan irakien, les rivalités entre partis politiques ont créé un climat menaçant pour les journalistes, provoquant une augmentation du nombre de détentions et de violences à l’encontre des professionnels des médias. Décrivant cette situation, le journaliste indépendant Guhdar Zebari a déclaré que « La liberté d’expression est au bord de l’asphyxie ». Il est l’un des cinq journalistes interrogés par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) au début de cette année.
Au Koweït, cinq militants de la communauté Bidoune ont été libérés et dix autres sont toujours en prison dans l’attente de l’audience du 15 octobre. Selon le GCHR, la plupart des personnes libérées sont des personnes âgées souffrant de maladies chroniques, leur détention contribuait à « une détérioration significative de leur santé ».
Un certain nombre de membres de l’IFEX de la région du Moyen-Orient et Afrique du nord ont annoncé la création d’un réseau régional anti-discours haineux. Formés lors d’un événement parallèle à la 42e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, les membres fondateurs comprennent: le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression, le Centre palestinien pour le développement et la liberté des médias (MADA), le GCHR et la Fondation libanaise Maharat. Le réseau vise à: « lutter contre le discours de haine dans les médias et les plateformes de médias sociaux, et sensibiliser à ses dangers pour la paix civile dans la région ».
Evènements à venir
Octobre:
Le 19 octobre, la Fondation Maharat organisera conjointement un atelier de vérification des faits à l’intention des journalistes du Liban et de la région arabe, en collaboration avec le Réseau international de vérification des faits et Google News Initiative.
En solidarité avec le maintien en détention d’Ahmed Mansoor et pour marquer son cinquantième anniversaire, des organisations de défense des droits humains dont Amnesty International, GCHR et English PEN manifesteront devant l’ambassade des Émirats arabes unis à Londres le 19 octobre et le consulat des Emirats à Toronto le 22 octobre.
Novembre:
Social Media Exchange organisera sa deuxième conférence annuelle Bread & Net les 15 et 17 novembre. Cette année, les participants aborderont des thèmes tels que l’éducation à la sécurité numérique, les communautés et les réseaux, ainsi que les politiques et plaidoyers dans des contextes difficiles.