Le mois d’août 2023 en Afrique : tour d'horizon de la liberté d’expression, réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Le récent coup d’État au Niger, qui a vu l’armée destituer le président Bazoum, a divisé la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La majorité des pays d’Afrique de l’Ouest, dirigés par le Nigeria, puissance régionale, ont suspendu leurs relations, menaçant d’intervenir militairement si le régime civil n’est pas rétabli. Parallèlement au bloc de pays d’Afrique de l’Ouest qui a rompu ses relations avec le Niger, l’Union européenne a suspendu son soutien financier et sa coopération en matière de sécurité, la France et les Pays-Bas ont suspendu leur aide, les États-Unis ont suspendu leurs programmes d’assistance et la Banque mondiale, les versements à venir.
Mais les juntes militaires du Mali et du Burkina Faso, qui sont également arrivées au pouvoir par des coups d’État, ont publié une déclaration commune de solidarité avec les nouveaux dirigeants militaires du Niger, menaçant de contrer toute intervention militaire extérieure.
[ Traduction : Le Burkina Faso a approuvé un projet de loi autorisant le gouvernement à envoyer un contingent militaire pour défendre le Niger, si les putschistes de Niamey étaient attaqués. ]
Au nombre des incidents qui ont émaillé la récente prise de pouvoir et semble devoir aggraver encore la détérioration des relations entre le Niger et la France, la junte militaire a ordonné à la police d’expulser M. Sylvian Itte, l’ambassadeur de France.
Dans cet environnement très hostile, les médias du pays sont l’un des secteurs qui ont ressenti le plus fort impact des frictions politiques.
L’environnement médiatique du Niger après le coup d’État est devenu encore plus difficile « avec des attaques et des intimidations presque quotidiennes contre les journalistes », rapporte la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA).
Le syndicat des journalistes nigériens, La Maison de la Presse, a publié une déclaration condamnant le siège que subissent les médias. Les agressions se poursuivant, le syndicat a publié une deuxième déclaration, plus ferme. Comme le rapporte MFWA, cette atmosphère de plus en plus compliquée et restrictive « a poussé 18 organisations de défense de la liberté de la presse à travers l’Afrique et 62 journalistes chevronnés dans 24 pays africains à publier conjointement un communiqué exprimant leurs inquiétudes ».
Dans ce communiqué, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, organe de la junte désormais au pouvoir au Niger, est invité à respecter le droit des citoyens à être informés, à lever la suspension des médias et à maintenir un Internet ouvert pour tous. Le communiqué appelle également à protéger les journalistes locaux et étrangers en mettant fin aux attaques contre les médias.
L’ironie d’un appel à l’aide
L’ironie de l’appel à l’aide lancé en ligne par le président Ali Bongo Ondimba du Gabon, appelant ses amis du monde entier à « faire du bruit, faire du bruit », n’a pas échappé à ses détracteurs. En particulier, qu’une semaine seulement avant son assignation à résidence, le président Bongo a lui-même coupé Internet, interdit aux médias étrangers de couvrir les élections, interdit les équipes d’observateurs internationaux, expulsé le journaliste camerounais Sainclair Mezing et suspendu la diffusion des chaînes françaises France 24, RFI et TV5Monde.
[ Traduction : Mais sérieusement, de quel genre de bruit parlait-il ? Bruit français, bruit anglais ou pidgin ? #Gabon #GabonCoup ]
Dans ce qui ne peut être décrit que comme une tournure des événements embarrassante, des officiers de l’armée gabonaise ont pris le pouvoir quelques minutes seulement après que le président Bongo a proclamé sa victoire électorale à la présidentielle, le 30 août. Les institutions de l’État ont été dissoutes, les résultats des élections annulés pour fraude, les frontières du pays fermées et le général Brice Oligui Nguema a été nommé chef de la transition de cet État d’Afrique centrale, au milieu de joyeuses célébrations populaires. La prise de pouvoir par les militaires met un terme à 56 ans de règne de la famille Bongo sur ce pays d’Afrique riche en pétrole mais néanmoins pauvre.
[ Traduction : Les militaires qui ont pris le pouvoir au Gabon ont nommé le général Brice Oligui Nguema comme chef de la transition de cet État [ouest-africain] d’Afrique centrale. Mais qui est-il ? ]
Les membres de la principale coalition d’opposition gabonaise ont exprimé leur gratitude envers l’armée et l’ont ensuite appelée à reprendre le processus électoral, à terminer le dépouillement des votes et à déclarer vainqueur M. Albert Ondo Ossa, le principal challenger du président Bongo.
Les jeunes célèbrent le renversement du pouvoir civil
Il semblait que cette région d’Afrique s’installait dans une période de relative stabilité politique, mais les récentes prises de pouvoir par des militaires ont révélé le mécontentement à l’égard de gouvernements civils gravement incompétents. Après sept coups d’État dans cinq pays au cours des deux dernières années, que des jeunes citoyens applaudissent ces renversements effectués par des militaires est frappant, et particulièrement dans l’éviction de la dynastie politique du Gabon. Le cynisme croissant et le désenchantement des jeunes citoyens du continent pourraient inciter des militaires proches des pouvoirs à croire qu’ils ont la latitude nécessaire pour prendre le contrôle ailleurs.
Comme l’explique BBC : « Un tel désenchantement est alimentée par une série de problèmes : le manque criant d’emplois et même d’opportunités économiques informelles pour les diplômés comme pour les moins instruits, des niveaux élevés de corruption et les privilèges constatés au sein de l’élite, ainsi que le ressentiment face à la persistance de l’influence de la France dans de nombreux pays où elle est l’ancienne puissance coloniale ».
La France est accusée, à tout le moins, de fermer les yeux sur la corruption et les abus commis par l’élite politique des anciennes colonies françaises et, tout au plus, d’être son partenaire actif dans le pillage des ressources.
Le parti au pouvoir au Zimbabwe conteste les rapports de la mission d’observation
La préparation controversée des élections générales au Zimbabwe s’est terminée avec le maintien du président sortant Emmerson Mnangagwa à la présidence. Le parti ZANU-PF a remporté un grand nombre de sièges parlementaires, mais n’a pas obtenu la majorité des deux tiers susceptible de modifier la constitution.
Des incidents de violence sporadiques, des retards dans l’ouverture de nombreux bureaux de vote à travers le pays et une pénurie de bulletins de vote ont gâché cette journée électorale par ailleurs plutôt paisible. Cela s’est produit malgré les affirmations de l’organisme de gestion électorale du pays – la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC) – aux observateurs selon lesquelles « la commission a acheté tout le matériel électoral nécessaire et en a livré 80 % aux provinces sous escorte policière ». Par la suite, la ZEC a été contrainte de prolonger le vote dans les circonscriptions qui rencontraient des difficultés.
Le rapport préliminaire de la mission d’observation de la SADC a souligné cette anomalie ainsi que d’autres, déclarant que « certains aspects des élections de 2023 au Zimbabwe ne répondaient pas aux exigences de la Constitution du Zimbabwe, de la loi électorale et des principes et lignes directrices de la SADC régissant les élections démocratiques ». Le ZANU PF a contesté le rapport, qui avertit que « le vote rural pourrait avoir été compromis par des allégations d’intimidations attribuées à un groupe appelé Forever Associates Zimbabwe (FAZ) ».
[ Traduction : Nevers Mumba, chef de la mission d’observation électorale de la SADC, ancien vice-président zambien et leader du Mouvement pour la démocratie multipartite, a riposté à l’attaque du porte-parole du Zanu PF, Chris Mutsvangwa, contre l’équipe électorale de l’organisme régional suite à son rapport accablant sur la gestion chaotique et grotesque des élections au Zimbabwe. Mumba, un homme politique très respecté et très admiré dans son pays, estime que les critiques de Mutsvangwa sont ridicules et qu’elles ont fait rire son équipe. Mutsvangwa a déclaré que Mumba, un célèbre prédicateur, avait outrepassé son mandat. ]
Le parti au pouvoir est immédiatement revenu à ses vieilles habitudes, attaquant le chef de la mission d’observation de la SADC – l’ancien vice-président de la Zambie, Nevers Mumba – l’accusant de s’ingérer dans les affaires internes du Zimbabwe et de se ranger du côté de l’opposition. La SADC a répondu en publiant une déclaration qui met l’accent sur les observations collectives de l’équipe et exprime sa préoccupation face aux attaques personnalisées.
Le parti au pouvoir affirme que sa victoire « prouve que les Zimbabwéens sont démocrates » et qu’« une nouvelle confiance est en train d’être instaurée » dans le pays, selon un article d’Africa News. Le porte-parole de la Coalition des citoyens pour le changement (CCC), Promise Mkwananzi, a rejeté l’élection, déclarant catégoriquement : « Nous ne reconnaissons pas ces résultats, nos agents ne les ont pas contresignés parce qu’ils ne représentent pas la volonté du peuple ».
L’opposition réclame de nouvelles élections. Mis à part les bannières jaune vif sur les réseaux sociaux, le fond et la forme de sa campagne restent flous. Des rumeurs circulant sur les réseaux sociaux indiquent que le chef de l’opposition Nelson Chamisa va intenter une action en justice contestant le résultat de la présidentielle, une information que l’analyse de Zimfact réfute.
Le Zimbabwe se prépare à la deuxième investiture du Président Mnangagwa, qui aura lieu début septembre.
Interdiction de TikTok
Le 24 août, à l’issue d’une réunion avec le président kenyan William Ruto, le PDG de TikTok, Shou Zi Chew, a annoncé sa décision d’ouvrir un bureau au Kenya, qui travaillerait à l’amélioration des opérations de la plateforme en Afrique et fournirait une meilleure modération contextuelle du contenu.
[ Traduction : Interdiction de TikTok : le président Ruto rencontrera demain le PDG de TikTok, Shou Zi Chew, pour convenir de mécanismes de modération visant à réduire le contenu négatif sur l’application de partage de vidéos. ]
Cette annonce intervient dans un contexte de menaces de la part de quelques pays déterminés à interdire TikTok « en raison de craintes qu’il soit utilisé pour diffuser et promouvoir des messages de haine, des contenus explicites et du contenu politiquement malveillant », rapporte Semafor.
Une pétition soumise au parlement du Kenya et portée par Bob Ndolo, directeur général de Bridget Connect Consultancy, citait plusieurs exemples de vidéos préjudiciables et affirmait que le réseau social « promeut des images violentes, des discours de haine, des propos offensants et des comportements inappropriés qui pourraient encourager des troubles et des conflits dans le pays. »
Les organisations de la société civile kenyane et Access Now ont publié une déclaration demandant au Comité des pétitions publiques de rejeter la demande d’interdiction de TikTok et de privilégier :
- une approche holistique et fondée sur les droits, conforme aux normes constitutionnelles et internationales en matière de droits humains, pour garantir la protection des droits fondamentaux des citoyens, tout en répondant aux préoccupations légitimes concernant l’utilisation des médias sociaux ; et
- un dialogue multipartite ouvert et inclusif pour développer des approches efficaces et fondées sur des preuves pour répondre aux préoccupations concernant les plateformes de médias sociaux.
À peine une semaine plus tard, le gouvernement somalien, pays voisin, a émis une ordonnance interdisant l’accès à TikTok, à l’application de messagerie Telegram et au site de paris en ligne 1xBet, après avoir affirmé que « ces plateformes étaient utilisées par des terroristes pour diffuser de la propagande ».
[ Traduction : Tollé en Somalie suite à la décision du gouvernement d’interdire TikTok, Telegram | Actualités des médias sociaux ]
La décision du gouvernement a suscité la colère des jeunes consommateurs et créateurs de contenus qui se sont tournés vers les réseaux sociaux pour exprimer leur mécontentement.
En bref
En Mauritanie, Mariya Oubed, lycéenne de dix-neuf ans, risque la peine de mort pour blasphème, en vertu de l’article 306 du code pénal mauritanien, pour avoir prétendument manqué de respect au prophète Mahomet lors d’un examen écrit.
Six journalistes de différents médias nigérians ont été brutalement agressés par un groupe d’hommes armés alors qu’ils couvraient un affrontement dans la commune d’Opu Nembe. Media Rights Agenda a condamné l’attaque et appelé la police nigériane à mener une enquête approfondie sur l’incident et à traduire les auteurs en justice.
La condamnation de la militante et influenceuse des réseaux sociaux, Rokia Doumbia, alias #MadameVieChère, à un an de prison et à une amende d‘un million de francs CFA (1 600 dollars) reflète l’ampleur de la répression au Mali. Doumbia a été condamnée pour avoir dénoncé la situation sécuritaire dans le pays et le coût de la vie dans une vidéo en direct sur TikTok. « Elle rejoint une longue liste de militants, parmi lesquels des chefs religieux, des organisations médiatiques et des journalistes, victimes de la fermeture hermétique de l’espace civique au Mali », rapporte la MFWA.
Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a appelé le gouvernement érythréen à révéler « où se trouve le journaliste Dawit Isaak, à informer sur son état de santé et à le libérer immédiatement ». Cette demande a été formulée à la suite d’une plainte déposée par un groupe collectif d’OSC, d’organisations de défense des droits humains, d’experts, de défenseurs et de journalistes dirigé par le Centre Raoul Wallenberg pour les droits humains, appelant à ce que le gouvernement érythréen rende des comptes pour ses violations flagrantes des droits humains contre Isaak et ses collègues.
International Press Institute (IPI) a lancé une nouvelle boite à outils – Les fondements de la liberté de la presse en Afrique – qui rassemble les principaux cadres internationaux, régionaux et sous-régionaux qui favorisent l’accès à l’information et la sécurité des journalistes et protègent la liberté des médias. Comme le note IPI : « Il est conçu pour être utilisé comme un outil par les groupes de défense nationaux et internationaux et d’autres parties prenantes travaillant pour soutenir et améliorer l’environnement de la liberté de la presse et la sécurité des journalistes ».