"Dans un pays où la presse se rend souvent responsable de reportages approximatifs, c’est un comble que ces journalistes se retrouvent poursuivis pour avoir agi avec professionnalisme, vérifié des faits et décidé de ne pas publier une information partielle."
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 8 décembre 2015.
Accusés depuis octobre 2014 pour ne pas avoir informé les autorités d’une information qu’ils détenaient, deux journalistes camerounais vont devoir face à un tribunal militaire.
Au Cameroun, l’affaire des journalistes poursuivis devant le tribunal militaire de Yaoundé pour « non dénonciation » n’est pas terminée. Le 4 décembre, les journalistes Félix Cyriaque Ebolé Bola du journal Mutations, Rodrigue Tongue du Messager ainsi que Baba Wame un ancien journaliste actuellement professeur, ont été convoqués au bureau du magistrat militaire, le capitaine Bernard Tsuite. Après plusieurs heures d’attente, ils ont été informés qu’en dépit d’une ordonnance de non-lieu partiel rendue en leur faveur, les accusations de « non-dénonciation » ont été jugées « suffisamment établies » pour qu’ils comparaissent à nouveau devant le tribunal militaire de Yaoundé.
Pour rappel, les journalistes sont inculpés depuis octobre 2014, sous le motif rocambolesque de ne pas avoir partagé avec les autorités les informations dont ils disposaient sur la possible présence d’un rebelle centrafricain à la frontière camerounaise. La police avait à l’époque refusé de répondre à la demande de précisions de l’un d’entre eux sur cette affaire. Jugeant l’information insuffisamment vérifiée, les journalistes avaient donc décidé de ne pas publier leur article.
« Cette mascarade de justice n’a que trop duré, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières. Dans un pays où la presse se rend souvent responsable de reportages approximatifs, c’est un comble que ces journalistes se retrouvent poursuivis pour avoir agi avec professionnalisme, vérifié des faits et décidé de ne pas publier une information partielle. Dans l’état actuel des choses, ces professionnels des médias représentent-ils réellement une menace pour la sécurité nationale du pays ? Nous demandons que les charges qui pèsent contre eux soient immédiatement abandonnées et que le harcèlement dont ils font l’objet cesse. »
Selon l’un des journalistes impliqués dans l’affaire, la magistrate en charge de leur dossier, Mme Aline Mbia qui avait levé en janvier 2015 la surveillance judiciaire des trois hommes de presse, a été démise du dossier et transférée auprès du tribunal militaire d’Ebolowa, au cœur de la forêt équatoriale dans le sud du pays.
Le Cameroun s’illustre par les interpellations fréquentes de journalistes à des fins d’intimidations. A ce jour, le correspondant de RFI en langue Haoussa dans le nord du Cameroun, Ahmed Abba est toujours détenu au secret à Yaoundé, dans une situation “extra-judiciaire” selon sa radio puisqu’aucune charge officielle n’est retenue contre lui. Le directeur de publication de l’hebdomadaire Génération Libre, Francois Fogno Fotso, lui, est toujours poursuivi depuis septembre 2015 pour rébellion et non-respect des injonctions des autorités pour avoir tout simplement photographié l’arrestation musclée de militants pour l’alternance démocratique. Son procès a été reporté à trois reprises.
Le pays occupe la 133e place au Classement 2015 sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.