Près d’un an après le début de la rébellion qui a embrasé la Centrafrique, Reporters sans frontières dresse un état des lieux de la liberté de la presse et des menaces qui pèsent sur les acteurs de l’information malgré le déploiement de troupes internationales, africaines et françaises.
Près d’un an après le début de la rébellion qui a embrasé la Centrafrique, Reporters sans frontières dresse un état des lieux de la liberté de la presse et des menaces qui pèsent sur les acteurs de l’information malgré le déploiement de troupes internationales africaines et françaises. L’organisation exprime une profonde inquiétude pour les professionnels des médias et pour la survie de la liberté de l’information. Depuis le 20 décembre dernier, la totalité des journaux ont cessé de paraître à Bangui du fait des troubles accrus dans le pays.
Au cours des dix dernières années, le paysage médiatique centrafricain s’était peu à peu normalisé, au gré de la relative stabilité imposée par le régime de François Bozizé. En 2005, des avancées législatives louables avaient été réalisées, dont la promulgation de la loi relative à la liberté de la presse, la dépénalisation des délits de presse et la création du Haut conseil de la communication. Les médias centrafricains ont néanmoins continué de souffrir des maux habituels dus à la précarité économique, au manque d’équipement et de formation et aux brimades politiques.
La montée en puissance de la coalition hétéroclite Séléka, qui a abouti à la prise de Bangui le 24 mars 2013 et à la destitution du Président Bozizé, a mis un terme aux avancées des dernières années.
La situation s’est encore envenimée depuis les événements des 5 et 6 décembre 2013, au cours desquels des attaques coordonnées, attribuées aux anti-balakas, soutiens de François Bozizé, ont déclenché de violentes représailles de la part de l’ex Séléka, et une forte polarisation sur les questions religieuses.
Une forte augmentation des attaques physiques et des menaces contre les médias et les journalistes, mais également une radicalisation des discours de certains journaux qui n’ont pas réussi à préserver leur objectivité journalistique, ont été observées en 2013.
Couverture partisane et entravée
Cherchant à préserver le régime en déroute du président François Bozizé, les médias publics, tel que Radio Centrafrique, ont diffusé des messages divisionnistes et de haine adressés aux opposants du président déchu. Radio Centrafrique s’est ensuite concentrée sur le recensement des exactions commises par la Séléka. Le ministre de la Communication de l’époque, Christophe Gazam Betty, mis au pouvoir par la Séléka, souhaitant taire les violations de la coalition, a interdit aux médias de parler des exactions, rappelant que chaque reportage devait être autorisé par un ordre de mission du cabinet du ministère, les médias publics étant tenus par un ancien décret d’accompagner la politique du gouvernement.
Le comportement de la presse écrite est resté tributaire des intérêts financiers : les journaux, parmi lesquels Le Citoyen, Le Confident et Hirondelle s’affiliant aux personnalités politiques les plus offrantes.
Seule Radio Ndeke Luka, soutenue par la Fondation Hirondelle, une ONG suisse, ainsi que par des bailleurs internationaux, a su rester relativement neutre pendant cette période, se limitant à dénoncer les exactions, sans commentaires.
Intimidations et attaques physiques
Au moment de la prise de Bangui par la Séléka en mars 2013, les médias ont été pris pour cible par les hommes armés de cette coalition.
Les sièges de nombreux médias ont été complètement pillés et Radio Ndeke Luka a également été victime de vols malgré son emplacement privilégié au sein des bureaux du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). « A Radio Ndeke Luka, nous recevons régulièrement des menaces de membres de la Séléka, par téléphone, ou ils viennent directement à la radio », a déclaré à Reporters sans frontières Sylvie Panika, rédactrice en chef de la radio.
Les radios communautaires basées au centre du pays ont dû fermer leurs portes devant l’avancée de la Séléka. En proie aux pressions des autorités locales ou de la rébellion et à une insécurité croissante, les stations ont été contraintes de cesser de couvrir les affrontements. Celles qui ont tenté de résister ont été réduites au silence ou pillées.
Reporters sans frontières avait alors demandé aux nouvelles autorités de garantir aux médias le droit de fonctionner en toute liberté et sécurité.
Malgré la promesse faite par le président de la transition Michel Djotodia, à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai 2013, qu' »aucun journaliste (…) ne [serait] emprisonné pour son franc-parler » et que « cette liberté dite d’expression leur [serait] garantie par les nouvelles autorités », les menaces émanant de représentants de l’Etat et de membres de l’ex-Séléka se sont multipliées au cours des mois qui ont suivi.
En août 2013, la presse privée a fait l’objet d’un nombre accru de pressions, de menaces et d’intimidations du gouvernement : le 3 août, un journaliste a été enlevé pendant plusieurs heures et d’autres ont été intimidés au cours du même mois par des représentants de l’Etat.
La « dissolution » de la Séléka en septembre n’en avait que le nom et a contribué à faire empirer la situation sécuritaire et les menaces à l’encontre des médias. En octobre dernier, la nouvelle police secrète, agissant sous le commandement du général de l’ex-Séléka Mahamat Nouradine Adam, a mené une campagne de harcèlement envers les professionnels des médias. Trois directeurs de publication ont alors été arrêtés arbitrairement et menacés.
La crise de décembre
Les attaques à Bangui des 5 et 6 décembre, qui ont coïncidé avec le déploiement des troupes françaises portant mandat de l’ONU de désarmer les ex-Séléka, ont plongé le pays dans un black-out médiatique.
La totalité des radios ont cessé d’émettre et les journaux de paraître pendant plusieurs jours.
Les trois principales radios, Radio Ndeke Luka, Radio Centrafrique et Radio Notre Dame ont pu recommencer à émettre le dimanche 8 décembre à Bangui, notamment suite à l’impulsion donnée par le chef de l’Etat qui avait convoqué ce jour-là les journalistes à la présidence pour qu’ils enregistrent et diffusent son appel au calme. Mais les menaces n’ont pas cessé pour autant. Dans un cas au moins, l’escorte chargée d’accompagner les journalistes, composée de membres de l’ex-Séléka, a proféré des menaces à l’encontre de l’équipe de radio en la redéposant devant ses bureaux. Aujourd’hui encore, les radios continuent de limiter leur temps d’antenne afin de pouvoir respecter le couvre-feu imposé sur la ville à 18h00.
Les journaux ont mis eux plus de temps à redémarrer leur activité, faute de pouvoir faire imprimer et distribuer leurs publications dans la ville paralysée. Quelques journaux comme Le Citoyen, Le Confident et Le Quotidien de Bangui, paraissent à nouveau depuis le 16 décembre, mais Le Citoyen a été contraint de déménager sa rédaction dans un lieu plus sûr.
Dans l’intérieur du pays, l’information vivote. Si quelques radios communautaires, ont recommencé à émettre et diffusent surtout des appels au calme, les médias locaux sont continuellement menacés. Le 16 décembre dernier, les quatre journalistes de Radio ICDI, qui émet à Boali à 95 km au nord de Bangui, ont été contraints d’abandonner la radio et de fuir, menacés par des éléments de l’ex-Séléka qui s’étaient rendus armés dans les locaux de la station le jour même. La station est la seule à couvrir une large zone au Nord de la capitale et à relayer l’information d’autres radios aux populations locales, désormais isolées du reste du pays.
Se pliant à une logique sécuritaire, certains médias ont préféré réajuster leur ligne éditoriale et jouer la prudence, allant dans certains cas jusqu’à l’autocensure. Le journal Le Citoyen a dit reprendre certaines informations de RFI plutôt que de couvrir les événements.
Pour les professionnels qui continuent à couvrir les affrontements, les risques sont tangibles. Plusieurs journalistes continuent de faire l’objet de menaces. La semaine du 13 décembre, des membres d’une équipe d’un média international ont fait l’objet de menaces de l’ex-Séléka ainsi que des milices anti-balakas et ont du être escortés par l’armée française. Tout acte de reportage est considéré comme une prise de position politique. Les journalistes se retrouvent pris en étau, en particulier les journalistes locaux.
Recommandations de Reporters sans frontières :
Reporters sans frontières recommande :
- aux médias centrafricains de s’abstenir de discours violents ou polarisants et de s’en tenir aux faits, tout en jouant leur rôle de dialogue et de pacification afin d’enrayer l’escalade de la violence.
- aux éléments armés de mettre un terme aux intimidations à l’encontre des journalistes et de respecter leur statut de non-combattants et leur rôle de témoins des événements.
- aux autorités de transition de continuer à favoriser l’activité des médias afin que ces derniers puissent informer la population des développements politiques et sécuritaires.
- aux forces internationales déployées en Centrafrique de protéger les journalistes, en application de la résolution 1738 des Nations unies sur la protection des journalistes en zone de conflit.
Yves Mbonzi Damanzi, un technicien à la station de radio nationale, pose pour une photo dans son bureau au siège de la radio à Bangui, le 28 novembre 2013. Le studio a été pillé de ses ordinateurs et de matériel d’enregistrement pendant le coup d’Etat de mars 2013.REUTERS/Joe Penney