L'entourage du journaliste fait observer que Dmitri Chipilov a été arrêté juste après la publication d’un entretien avec Artiom Loskoutov, artiste et leader de la “Marche pour la fédéralisation de la Sibérie.”
Reporters sans frontières dénonce l’incarcération du journaliste et blogueur sibérien Dmitri Chipilov (Дмитрий Шипилов), le 10 septembre 2014, dans la région de Moscou. Son arrestation, officiellement liée à une condamnation prononcée en 2012, suggère une décision politique liée aux récentes publications du journaliste.
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Blogueur et correspondant du journal Novy Kouzbass, dans la région de Kemerovo (Sibérie occidentale), Dmitri Chipilov est connu pour ses critiques acerbes à l’égard des autorités locales. Il a été arrêté, le 10 septembre 2014, à sa descente du train en gare de Tchkalovskaïa, dans la région de Moscou. Après un silence de près de vingt-quatre heures, les autorités ont expliqué que le journaliste s’était soustrait à la peine à laquelle il avait été condamné en avril 2012 pour “offense à un serviteur de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions” : onze mois de retenue sur salaire. En février 2013, un juge de Iourga, dans la région de Kemerovo, a donc commué cette peine en trois mois d’emprisonnement ferme.
Mais l’entourage du journaliste fait observer que Dmitri Chipilov a été arrêté juste après la publication d’un entretien avec Artiom Loskoutov, artiste et leader de la “Marche pour la fédéralisation de la Sibérie”, une initiative lancée à l’été 2014 et hautement surveillée par les autorités. Ce mouvement profite du soutien officiel de Moscou à la “fédéralisation” de l’Ukraine pour réclamer davantage d’autonomie pour la Sibérie, et notamment une autre répartition de la manne pétrolière.
Bien qu’elles manient essentiellement la dérision et l’humour, ces timides manifestations ont aussitôt été réprimées, mais toute mention en est criminalisée : sur la base de récents amendements assimilant la “promotion de manifestations non autorisées” à de l’”extrémisme”, près d’une vingtaine de sites d’information ont reçu l’ordre, fin juillet, de supprimer leurs contenus consacrés à l’événement. D’autres sites ont été bloqués, tout comme un certain nombre de pages sur les réseaux sociaux Facebook et Vkontakte. Etrangement, ce sont des représentants du département de la police en charge de la lutte contre l’extrémisme qui ont arrêté Dmitri Chipilov.
“Punir l »offense à un serviteur de l’Etat’ par une peine d’emprisonnement envoie un signal d’intimidation inacceptable à l’ensemble de la profession, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de Reporters sans frontières. La Russie est partie à la Cour européenne des droits de l’homme, qui souligne avec constance que toute condamnation pour un délit de presse doit être strictement ‘nécessaire’ et ‘proportionnée’, et que les personnages publics sont tenus à plus de tolérance à la critique que les citoyens ordinaires. Le mépris de ces principes renforce l’impression que Dmitri Chipilov est victime de l’hystérie des autorités contre la ‘Marche pour la fédéralisation de la Sibérie’.”
Ce sont deux posts de blog de 2011 qui avaient valu au journaliste d’être condamné en avril 2012 pour “offense” au gouverneur de la région de Kemerovo, Aman Touleev, sur la base de l’article 319 du code pénal russe. Craignant d’autres représailles, comme par exemple des poursuites montées de toutes pièces pour des chefs d’inculpation plus sérieux, le journaliste avait quitté Kemerovo pour Moscou. Il va maintenant être transféré dans sa région d’origine pour y purger ses mois de prison. Un défenseur des droits de l’homme qui lui a rendu visite, Edouard Roudyk, redoute qu’il n’y reste plus longtemps : le journaliste fait l’objet d’une autre plainte de la part du gouverneur pour s’être “excusé” ironiquement, après sa condamnation, en reprenant les termes jugés insultants. Il pourrait être placé en détention provisoire jusqu’à ce qu’une décision soit prise dans cette affaire.
La Russie occupe la 148e place sur 180 pays dans le Classement mondial 2014 de la liberté de presse, réalisé par Reporters sans frontières.