Des centaines de Congolais se sont rassemblés à Kinshasa, après avoir appris le décès, d'Étienne Tshisekedi, qui fut longtemps l'un des principaux dirigeants de l'opposition en RDC.
Cet article a été initialement publié sur hrw.org le 2 février 2017.
Par Ida Sawyer
Directrice pour l’Afrique centrale
Des centaines de Congolais se sont rassemblés hier soir dans la commune de Limete à Kinshasa, après avoir appris le décès, le jour même à Bruxelles, d’Étienne Tshisekedi, qui fut longtemps l’un des principaux dirigeants de l’opposition en République démocratique du Congo. Il avait quitté la RD Congo la semaine dernière pour suivre un traitement médical.
La police s’est déployée pour contrôler les attroupements devant la résidence de Tshisekedi et devant le siège de son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). L’atmosphère s’est tendue, certains manifestants lançant des pierres et proférant des insultes à l’encontre du président Joseph Kabila ; la police a répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes. Mais le sentiment de deuil et la tristesse étaient également palpables. Parmi les personnes rassemblées, beaucoup étaient en larmes, d’autres ont rédigé des messages à l’adresse de la famille de Tshisekedi dans un livre de condoléances ; et certains s’interrogeaient à voix haute sur les conséquences de sa mort pour le dialogue politique actuellement en cours sous l’égide de l’Église catholique et pour le combat qu’a mené Tshisekedi pour la démocratie et pour l’établissement de l’État de droit en RD Congo. Des dirigeants et des citoyens congolais de toutes tendances politiques, ainsi que des dignitaires étrangers, ont rendu hommage à Tshisekedi.
Surnommé le « Sphinx de Limete », Tshisekedi était devenu un symbole de la résistance pacifique et de la lutte pour la démocratie en RD Congo. Il était l’un des rares hommes politiques congolais à avoir régulièrement été du côté de l’opposition pendant les trois dernières décennies, prenant la tête de la résistance pacifique d’abord contre le dictateur Mobutu Sésé Séko avant de s’opposer au président Laurent Kabila, puis à son fils, l’actuel président Joseph Kabila. À la suite de l’élection présidentielle de 2011, entachée par des allégations de fraude généralisée et par une violente répression, de nombreux Congolais étaient convaincus que Tshisekedi était le véritable vainqueur, bien que selon les résultats officiels, il n’avait obtenu que la deuxième place avec 32% des voix. Tshisekedi n’a jamais reconnu officiellement la victoire de Kabila.
Tshisekedi était également l’un des rares – sinon le seul – dirigeants politiques congolais à pouvoir mobiliser des foules dans la rue. À son retour à Kinshasa en juillet dernier, après un séjour de deux ans à l’étranger pour suivre des traitements médicaux, des centaines de milliers de personnes s’étaient assemblées pour l’apercevoir et l’entendre parler. Malgré son âge et une santé déclinante, c’est pour une large part grâce au sens du leadership de Tshisekedi et à sa volonté d’accepter des alliances que l’opposition est demeurée à peu près, et exceptionnellement, unie dans sa lutte en 2016 pour résister aux efforts de Joseph Kabila pour prolonger sa présidence au-delà des deux mandats que lui autorisait la constitution, qui ont expiré le 19 décembre 2016.
Le dialogue ouvert sous la médiation de l’Église catholique à la fin de l’année dernière a été marqué du sceau de la légitimité pour une large part grâce à l’approbation de Tshisekedi et à la participation de son parti, l’UDPS, et du Rassemblement, une coalition de partis d’opposition qu’il présidait. Ceci a conduit à la signature, à la veille du Nouvel An, d’un accord qui a permis de désamorcer une situation potentiellement explosive et de placer ostensiblement la RD Congo sur la voie de nouvelles élections en décembre 2017 et de la première transition politique démocratique dans ce pays. Cependant, la mise en œuvre de cet accord a été jusqu’à présent extrêmement lente, ce qui sème des doutes quant à la volonté réelle de Kabila et de ses partisans d’organiser ces élections.
Tshisekedi devait diriger un conseil chargé de superviser la mise en œuvre de l’accord et l’organisation des élections. Il est désormais difficile d’imaginer qui va pouvoir remplir le vide créé par son décès, et il reste à voir si l’opposition se révèlera capable de sauvegarder assez d’unité et de légitimité pour faire appliquer l’accord et maintenir la pression sur Kabila.
La meilleure manière pour les dirigeants politiques de la RD Congo de rendre hommage à Étienne Tshisekedi serait peut-être de placer les intérêts du pays au-dessus de toute autre considération et de travailler ensemble pour réaliser ce dont il a longtemps rêvé : une transition politique réellement pacifique et démocratique.