(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF daté du 28 octobre 2002 : Les journalistes étrangers et d’opposition pris à partie en toute impunité Reporters sans frontières demande au Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale Reporters sans frontières a rendu public, le 28 octobre 2002, un rapport sur la situation […]
(RSF/IFEX) – Ci-dessous, un communiqué de presse de RSF daté du 28 octobre 2002 :
Les journalistes étrangers et d’opposition pris à partie en toute impunité
Reporters sans frontières demande au Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale
Reporters sans frontières a rendu public, le 28 octobre 2002, un rapport sur la situation de la liberté de la presse en Côte d’Ivoire intitulé : « Patriotisme exacerbé et diabolisation de la presse internationale ».
Après avoir enquêté une semaine sur place, Reporters sans frontières a écrit, le 25 octobre, au Conseil de sécurité des Nations unies pour lui demander de saisir la Cour pénale internationale à propos de la situation en Côte d’Ivoire. L’organisation a notamment demandé qu’une enquête internationale soit diligentée au plus vite afin d’examiner les exactions commises tant du côté des rebelles que du côté des forces loyalistes. En effet, les menaces, agressions ou destructions de matériel commises à l’encontre des journalistes depuis le 19 septembre relèvent des infractions graves du droit international humanitaire et leurs auteurs peuvent, à ce titre, être poursuivis devant la Cour pénale, même si la Côte d’Ivoire n’a pas ratifié le statut de la Cour.
L’organisation a également demandé aux autorités ivoiriennes d’offrir une protection aux médias qui la demandent et de rétablir la diffusion en FM des radios internationales (RFI, BBC et Africa N°1) interdites depuis plus d’un mois.
Enfin, Reporters sans frontières a demandé au ministère de la Communication de saisir les directions des médias d’Etat afin que les employés de la radio et de la télévision publiques mis à l’écart en raison de leur ethnie ou de leur sensibilité politique puissent réintégrer leurs postes au plus vite.
Les événements du 19 septembre 2002 ont plongé la Côte d’Ivoire dans la période la plus troublée de son histoire. D’une tentative de coup d’Etat, on est passé à une véritable rébellion qui contrôle une partie du territoire. Pour la presse, les coups viennent de toutes parts : des forces armées – militaires, policiers ou gendarmes – comme des rebelles. Aujourd’hui, aucun média ne se sent en sécurité.
La presse internationale attaquée de toutes parts
Ce sont les autorités ivoiriennes qui, les premières, ont désigné les journalistes étrangers comme complices des rebelles et de leur volonté de « déstabiliser le pays ». Si la presse étrangère n’est pas à l’abri de critiques, rien ne saurait justifier les attaques virulentes émanant des autorités comme d’une partie de la presse privée et des médias gouvernementaux. Ces attaques, parfois nominatives, créent un climat d’insécurité, aboutissant, dans certains cas, à des agressions physiques.
La quasi-totalité des représentants de la presse étrangère rencontrés affirment que ces menaces répétées affectent gravement leur liberté de mouvement. Plusieurs journalistes, qui ont couvert d’autres conflits en Afrique, affirment n’avoir jamais connu une telle situation. Un réalisateur français, envoyé par Radio France Outremer (RFO), a été détenu pendant six jours par les services de sécurité ivoiriens, sans aucune explication.
La presse locale menacée
En un mois, deux rédactions ont été saccagées, plusieurs journalistes ont été agressés et on ne compte plus le nombre de menaces anonymes reçues par les rédactions. Saisies à plusieurs reprises, les autorités n’ont pas encore pris de mesures concrètes afin de garantir la sécurité des journalistes en Côte d’Ivoire. Le ministre de la Communication, Séry Bailly, se plaît à répéter que « la meilleure sécurité pour les journalistes réside dans leur traitement correct de l’information ». L’autocensure, encouragée dans cette déclaration, est effectivement devenue une pratique courante dans les rédactions ivoiriennes.
Des médias xénophobes
« Nous les journalistes ivoiriens, nous avons préparé la guerre. Il faut assumer nos responsabilités. Avec nos verbes haineux, nos diatribes, on a préparé la guerre dans l’esprit des Ivoiriens », confiait récemment l’ancien directeur d’un quotidien local.
La presse étrangère, la France et l’opposant Alassane Dramane Ouattara sont dans le collimateur de certains journaux proches du pouvoir. Le National est une fois encore le plus virulent, multipliant les attaques verbales, les appels à la violence et les propos injurieux et calomnieux. Tous les éléments sont réunis pour faire de ce titre un véritable « média de la haine ». Mais d’autres titres ne sont pas en reste : le quotidien progouvernemental Notre Voie et le journal L’oeil du Peuple jettent régulièrement de l’huile sur le feu.
Le comportement des médias d’Etat
De l’avis de plusieurs journalistes locaux, les médias publics ivoiriens jouent un rôle néfaste dans cette crise. Outils de propagande du pouvoir en place, ces organes de presse ne participent pas à l’apaisement et contribuent pour une large part à la désinformation du public. En effet, en ne montrant qu’une seule face des événements, et en élaborant des commentaires « va-t’en guerre », les journalistes de ces médias enveniment encore la situation.
Des mises à l’écart sur des bases ethniques et politiques
Dans les jours qui ont suivi la tentative de coup d’Etat du 19 septembre, plusieurs dizaines d’employés de la radio et de la télévision publiques n’ont plus été autorisés à reprendre leur travail. Officiellement, il s’agit de préserver la sécurité du personnel. Mais plusieurs journalistes mis à l’écart estiment qu’on leur reproche en fait de soutenir le Rassemblement des républicains (RDR, opposition) ou d’être originaires du nord du pays. Deux journalistes de la télévision nationale, qui ont préféré garder l’anonymat, sont persuadés d’avoir été délibérément écartés de l’antenne. « Tous les journalistes qui ne travaillent plus sont du Nord ou supposés membres du RDR. Quasiment tous ceux qui restent sont Bétés », a confié l’un d’eux à Reporters sans frontières.
Les rebelles contrôlent aussi l’information
Dans la partie du territoire sous contrôle des forces rebelles, les journalistes ne sont guère mieux lotis. Si les journalistes étrangers sont moins exposés, il n’en est pas de même pour les rares reporters locaux qui se trouvent dans cette zone. Par ailleurs, les rebelles ont bien compris l’enjeu de l’information et se sont dotés, depuis le 21 octobre, de leur propre chaîne de télévision. Là encore, cette chaîne ne fait que reprendre la propagande officielle et diffuse à longueur de journée les meetings et discours des leaders du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI, branche politique de la rébellion armée).
L’intégralité du rapport de Reporters sans frontières est disponible sur le site : www.rsf.org