Quelques jours après la requête en ce sens du Parquet général et alors qu'aucun jugement n'a encore été prononcé sur le fond, les deux principaux journaux d'opposition ont d'ores et déjà été contraints d'interrompre leur diffusion.
MISE À JOUR : En un mois, les principaux médias d’opposition nationaux réduits au silence (RSF, 28 décembre 2012)
(RSF/IFEX) – 4 décembre 2012 – Reporters sans frontières dénonce l’intensification sans précédent des pressions exercées sur les médias indépendants et d’opposition kazakhs. Quelques jours après la requête en ce sens du Parquet général et alors qu’aucun jugement n’a encore été prononcé sur le fond, les deux principaux journaux d’opposition, Golos Respubliki et Vzgliad, ont d’ores et déjà été contraints d’interrompre leur diffusion.
« La justice kazakhe agit au mépris de toutes les lois et fait preuve d’un cynisme indigne, a déploré l’organisation. La suspension des journaux avant jugement équivaut de facto à une condamnation, alors même qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de se défendre. Le recours à cette procédure, une première au Kazakhstan, relève d’une distorsion des lois d’autant plus étonnante que celles-ci sont taillées sur mesure par le Parlement. Le début des procédures judiciaires est marqué par de tels vices de procédure et de telles incohérences que l’équité du jugement ne peut qu’être mise en doute. La saisie immédiate de toute reproduction des journaux interdits et les perquisitions dans leurs locaux, parachèvent le constat d’une campagne organisée d’etouffement des voix critiques au Kazakhstan. »
« Alors que le culte de la personnalité prend de l’ampleur autour du président Noursoultan Nazarbaïev, nous renouvelons notre appel à la communauté internationale, afin qu’elle signifie clairement au régime d’Astana qu’une telle dérive est inadmissible. L’évolution rapide des événements ces dernières semaines montre si besoin était qu’il y a véritablement urgence. La société civile kazakhe a plus que jamais besoin de soutien », a conclu Reporters sans frontières.
Le 21 novembre 2012, le Parquet général a annoncé avoir demandé à la justice de reconnaître le caractère « extrémiste » de deux partis d’opposition et des principaux médias indépendants et d’opposition du pays. Le jour même, le tribunal d’Almaty a ordonné la suspension du journal Golos Respubliki à titre conservatoire. Le 27 novembre, la même décision a été notifiée à Vzgliad. Les deux journaux ont été contraints de suspendre leur impression et leur diffusion. Ils ont annoncé qu’ils comptaient se transformer en médias en ligne – même si leurs sites Internet et leurs comptes sur les réseaux sociaux sont également visés par la requête du Parquet général.
Le 28 novembre, des représentants du Département de l’exécution des actes judiciaires ont brutalement perquisitionné les locaux des deux journaux. L’avocat de Golos Respubliki, Sergueï Outkine, a rapporté avoir été violemment bousculé par les huissiers lorsque ces derniers ont pénétré dans les locaux de la rédaction. Selon le rédacteur en chef de Vzgliad, Igor Viniavski, incarcéré durant près de deux mois au début 2012, les huissiers ont enfoncé la porte et menacé le personnel en réclamant les derniers exemplaires du journal.
Les représentants de la justice voulaient également mettre la main sur un recueil d’articles, publié par la rédaction à 99 exemplaires sous le nom de Ne Vzgliad (« Ceci n’est pas Vzgliad »). En droit kazakh, un titre publié à moins de 100 exemplaires n’a pas besoin d’enregistrement auprès des autorités. Pourtant, la plupart des exemplaires de Ne Vzgliad ont été saisis par les forces de l’ordre au moment de leur distribution dans la rue. De même, le numéro du 30 novembre du journal d’opposition Azat, qui reprenait quelques articles de Golos Respubliki, a été retiré de la vente.
Les audiences préliminaires, tenues le 27 novembre pour Golos Respubliki et le 30 novembre pour Vzgliad, ont donné le spectacle d’une justice prête à tous les vices de procédure pour avancer à marche forcée vers l’interdiction des journaux. Ni le fait que l’inculpation soit fondée sur le jugement d’une autre personne (le leader du parti Alga, Vladimir Kozlov) ; ni l’assimilation par le parquet d’au moins huit titres différents sous l’appellation générique de Respublika ; ni le fait que les médias ne soient pas des personnes morales en droit kazakh, n’ont été reconnus par le tribunal. La demande des avocats de la défense d’assigner les propriétaires des journaux, et non les journaux eux-mêmes, conformément au droit, a été rejetée. Le procès reprendra le 6 décembre pour Golos Respubliki et le 14 décembre pour Vzgliad.
La chasse aux médias indépendants et la partialité de la justice ne constituent que quelques-uns des signes de la dérive ultra-autoritaire dans laquelle sombre le Kazakhstan. Le 1er décembre 2012, le pays a célébré en grande pompe une nouvelle fête : la « Journée du premier Président ». Noursoultan Nazarbaïev, « prédateur de la liberté de la presse » au pouvoir depuis l’indépendance du Kazakhstan en 1991, a été porté aux nues dans tout le pays aux cris de : « Un pays ! Un destin ! Un leader ! »