Après avoir étouffé la presse locale, censuré l'information sur les réseaux sociaux, le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi accentue, à l'approche de l'élection présidentielle, les pressions sur les médias étrangers.
Cet article a été initialement publié sur rsf.org le 5 mars 2018.
Après avoir étouffé la presse locale, censuré l’information sur les réseaux sociaux, le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi accentue, à l’approche de l’élection présidentielle, les pressions sur les médias étrangers.
Les Egyptiens ont découvert une étrange confession en regardant le 26 février dernier la chaîne privée pro-gouvernementale ON TV. Celle d’une jeune femme qui démentait avoir disparu depuis près d’un an aux mains de la police, comme l’affirmait quelques jours plus tôt sa mère désespérée dans un émouvant témoignage accordé à la BBC. A aucun moment pendant les 25 minutes d’interview, Zubayda n’expliquera clairement pourquoi son supposé mariage en cachette de sa mère l’a à ce point empêchée de la contacter depuis dix mois. Par contre, Um Zubeyda (la mère de Zubeyda en arabe), a été arrêtée deux jours plus tard. Et le lendemain, c’est son avocat qui a disparu.
Vrai témoignage ou confession extirpée sous la contrainte ? Qui de la mère ou la fille dit la vérité? L’épisode est troublant et rappelle « les confessions » des dissidents chinois victimes de disparitions forcées, d’autant que les autorités égyptiennes se sont immédiatement saisies de l’occasion pour décrédibiliser le média britannique. Le gouvernement a ordonné de boycotter la BBC et de ne répondre à aucune interview de la chaîne, tant que celle-ci n’aura pas présenté ses excuses. A peine 24 heures plus tard, le procureur général a également condamné officiellement « la tentative des forces du mal d’affecter la sécurité nationale en diffusant des mensonges et des informations fausses dans les médias et sur les réseaux sociaux » et a ordonné à tous les procureurs de la république de scruter le contenu des médias pour mieux traquer les « fake news ». A défaut de surprendre, la déclaration du procureur est venue officialiser des méthodes de surveillance déjà largement pratiquées en Egypte et a formalisé l’idéologie d’un régime qui considère la plupart des médias comme des ennemis.
Ce n’est pas la première fois que les autorités égyptiennes appellent la population à se méfier des journalistes étrangers et occidentaux, ni qu’elle tente de les décrédibiliser, ou de les traîner en justice. Mais cette fois-ci, l’impact sur la BBC est loin d’être négligeable : l’appel à boycotter les interviews est une réelle entrave au travail de ses journalistes. Et sur les réseaux sociaux, non seulement les soutiens du président Sisi approuvent cette fermeté, mais ils appellent également à l’expulsion des journalistes étrangers, et notamment ceux de la BBC qualifiée de « sponsor du terrorisme ».
Ce dernier incident vient alourdir un peu plus un climat déjà plombé. A l’approche de l’élection présidentielle qui se tiendra du 26 au 28 mars prochain, de nombreux correspondants de médias ou agences étrangères basés au Caire témoignent, sous couvert d’anonymat, ressentir une hostilité de plus en plus frontale. Certains d’entre-eux ont même été victimes d’armées de trolls pro-gouvernement. Le compte twitter du correspondant de la BBC au Caire, Waël Hussein, a été bloqué, et un faux compte utilisant son nom a diffusé de fausses informations. La journaliste de Reuters Amina Ismail, a également été victime du même procédé, avec plusieurs faux comptes, mais elle a eu plus de chance: les faux comptes ont été bloqués et le sien a été rétabli.
Les pressions sur les rédactions étrangères et les correspondants ont aussi des conséquences plus insidieuses. Dans les bureaux, par lassitude ou pour faire profil bas, les journalistes préfèrent éviter les discussions sur certains sujets sensibles. Toujours selon des informations recueillies par RSF, depuis l’affaire de la BBC, encore plus de correspondants hésitent aussi à signer leurs articles. Ils ne souhaitent pas courir le risque d’une expulsion, comme celle du correspondant de La Croix, Rémy Pigaglio, en 2016. Leur crainte est d’autant plus fondée que certains sont parfois contraints de travailler sans accréditation, tant les procédures administratives de vérification par les services de renseignement sont longues et complexes. Mais aussi parce que le risque d’arrestation en pleine rue est élevé, le discours de l’Etat sur les médias étrangers ayant rendu la population et les forces de sécurité très méfiantes, voire hostiles vis à vis des journalistes étrangers.
Les correspondants doivent non seulement de plus en plus lutter contre un réflexe protecteur d’autocensure mais aussi redoubler d’ingéniosité pour continuer à travailler en sécurité. Entre les responsables gouvernementaux ou les soutiens du régime qui boycottent les médias étrangers considérés comme critiques, et les personnes qu’une exposition médiatique pourrait mettre en danger, trouver un interlocuteur est devenu une gageure en Egypte.
L’Egypte occupe la 161ème place sur 180 pays dans le Classement 2017 sur la liberté de la presse dans le monde établi par Reporters sans frontières : la plupart des médias indépendants ont été étouffés, soit par le blocage des journaux en ligne, soit par leur mise sous tutelle. Le site de RSF est bloqué en Egypte depuis août 2017.