Afrique : tour d'horizon de la liberté d'expression réalisé sur la base des rapports des membres de l'IFEX et des nouvelles de la région, par Reyhana Masters, rédactrice régionale de l'IFEX.
Ceci est une traduction de la version originale de l’article.
Les manifestations au Kenya et les droits et responsabilités des médias, les expulsions et les campagnes de diffamation contre les journalistes au Burkina Faso, ainsi que les messages de la Journée mondiale de la liberté de la presse appellent au renforcement des mesures de sauvegarde de la liberté des médias sur tout le continent.
Les médias kenyans défendent leur droit à informer
La vague de manifestations menées par l’opposition au Kenya qui a commencé le 20 mars s’est poursuivie en avril, les médias en ont fait les frais avec l’agression de plus de 20 journalistes par les forces de sécurité et les partisans des partis d’opposition.
Antécédents
Le mécontentement des Kényans remonte aux élections contestées de l’année dernière, Les accusations de fraude électorale se sont transformées en ressentiment et en colère croissants face au coût élevé de la vie. En février, la coalition politique composée de 26 partis politiques officiellement enregistrés – l’alliance Azimio La Umoja (Déclaration de l’unité), formée avant les élections de 2022 – a appelé les membres de son parti et les citoyens à exprimer leurs frustrations dans la rue.
L’ancien vice-Premier ministre Raila Odinga, qui dirige le parti de coalition Azimio La Umoja One-Kenya, a appelé à une pause le 2 avril avant un dialogue demandé par le président William Ruto. Odinga a apporté aux négociations une liste de conditions et a averti que les manifestations reprendraient si aucun progrès significatif n’était réalisé. Ce qu’elles ont fait, quand le dialogue a échoué dans une impasse.
Les médias résistent
Le Conseil des médias du Kenya a publié un communiqué de presse « donnant un avertissement sévère aux forces de l’ordre et aux manifestants liés à la violation de la liberté de la presse ».
Les près de 80 incidents de violence politique, qui ont abouti à plus de 50 décès signalés entre le 25 mars et le 21 avril 2023, ont paralysé Nairobi et d’autres grandes villes et ont fortement ébranlé l’économie déjà fragile du pays.
[ Traduction : NAIROBI, KENYA – Plus de 20 journalistes ont été agressés au cours des deux semaines de manifestations contre le gouvernement kenyan. Selon le Centre des médias du Kenya, ces attaques se sont multipliées depuis le début des manifestations et [sur] les journalistes qui enregistrent des vidéos et prennent des photos. ]
Les acteurs des médias ont interpelé le vice-président Rigathi Gachagua et d’autres responsables gouvernementaux pour avoir tenté d’ « empêcher la libre circulation de l’information vers le public », après l’annonce d’un supposé projet du gouvernement de couper Internet et suspendre certains médias.
Une déclaration, signée par 17 organisations des médias dans le cadre du collectif Kenya Media Sector Working Group, avertit que « les plans pour fermer les médias audiovisuels et/ou Internet et plonger le pays dans l’obscurité informationnelle. … serait un assaut des plus malavisés et des plus graves contre la démocratie kenyane. »
Le communiqué très ferme exigeait ensuite la sécurité des journalistes et une indemnisation pour les journalistes qui avaient besoin de soins médicaux, ainsi que pour le matériel endommagé ou perdu à la suite des violences. Il insiste pour que le directeur des poursuites judiciaires fournisse une mise à jour sur l’état des enquêtes et un plan d’action pour poursuivre les agresseurs.
Les médias ont également condamné Raila Odinga pour avoir appelé à un boycott du journal The Star.
[ Traduction : L’inspecteur général de la police du Kenya a essentiellement déclaré que ses officiers n’avaient dépassé aucune ligne lors des récentes manifestations kenyanes. Il a condamné les attaques contre la police et la population mais a totalement ignoré le harcèlement documenté et les blessures des journalistes, dont certains commis par ses propres officiers. ]
Le Conseil des médias de Tanzanie s’est dit préoccupé par les attaques au Kenya de la part des acteurs « étatiques et non étatiques » et les actions de certains influenceurs qui ont exacerbé le climat dangereux pour les journalistes en ciblant les médias. Le MCT a appelé « tous les acteurs politiques kenyans à faire preuve de retenue et à respecter les libertés des médias ».
En solidarité avec les médias kenyans, l’International Press Institute a écrit aux départements concernés du gouvernement pour exprimer sa préoccupation face à la détérioration de l’environnement médiatique et a souligné que « la couverture médiatique des manifestations et des protestations ne doit pas être interprétée comme une incitation à la violence ou à des discours de haine et ne doit pas non plus être considérée comme faisant l’apologie de la violence. »
Expulsions et campagnes de diffamation au Burkina Faso
Reporters sans frontières rapporte que l’expulsion du Burkina Faso d’Agnès Faivre, correspondante de Libération, et de Sophie Douce du Monde Afrique, condamnée par la Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest, s’inscrit dans un ensemble plus large d’actions visant à ternir la réputation des deux journalistes et de leurs collègues. Le travail, la crédibilité et la sécurité de trois reporters burkinabés – Lamine Traoré, Hyacinthe Sanou et Boukary Ouoba – sont également intentionnellement sapés par une stratégie de désinformation d’une organisation douteuse se faisant appeler le Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement (GPCI).
[ Traduction : Les reporters burkinabés @LamineTraoreOff @HyacintheSanou et Boukary Ouoba diabolisés dans une campagne de diffamation médiatique et désormais menacés pour avoir travaillé avec les journalistes françaises expulsées, @faivragnes et @Sophie_Douce, rapporte @RSF_inter: ]
L’expulsion a eu lieu quelques jours seulement après que la junte militaire a suspendu la chaîne de télévision française France 24 pour avoir diffusé une interview avec un membre dirigeant d’un groupe rebelle djihadiste. En décembre 2022, les autorités ont suspendu Radio France Internationale (RFI) pour diffusion de ce qu’elles ont qualifié de « fausses informations ».
Au Mali voisin, les médias français ne s’en sortent pas mieux puisque l’autorité militaire de transition a suspendu RFI et France 24 en mars 2022.
La série de campagnes de diffamation et d’autres violations des droits des médias est illustrée dans une publication récente de RSF : Dans la peau d’un journaliste au Sahel. L’article fournit des informations utiles et comprend des entretiens avec des dizaines d’experts et de journalistes vivant ou travaillant dans la région. En plus d’une présence accrue de « groupes armés radicaux qui n’hésitent pas à tuer des reporters ou à les kidnapper », les journalistes sont également confrontés aux défis posés par les gouvernements sous la forme de restrictions de leurs déplacements et de leur droit de faire des reportages.
« Nous devons accorder plus d’attention aux mécanismes de production et de diffusion de fausses informations afin de mieux les comprendre et les combattre. » – Valdez Onanina, Africa Check
Faire entendre la voix de la liberté d’expression : les membres de l’IFEX célèbrent la Journée mondiale de la liberté de la presse
De nombreuses organisations du réseau IFEX plaident pour la liberté de la presse dans les espaces en ligne et hors ligne tout au long de l’année. Pour la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, les membres en Afrique ont pris part à diverses initiatives et activités pour défendre les droits des journalistes, qui sont inextricablement liés au droit des personnes à la liberté d’expression et au droit à l’information. Voici quelques-uns des faits saillants illustrant comment les membres ont marqué cette journée :
Au Nigeria, Media Rights Agenda a publié une déclaration appelant le gouvernement à fournir des mesures de protection adéquates pour les médias, soulignant comment « les attaques incessantes contre les médias au fil des ans ont également sapé la protection générale des droits humains pour tous les Nigérians, la démocratie et le développement durable du pays. » Dans le cadre de ses activités lors de la journée WPFD, le Centre de presse international basé à Lagos a annoncé la création d’un Centre pour la sécurité et la protection des journalistes.
La Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest a organisé une discussion en ligne sur les attaques contre les journalistes et les implications pour les droits humains en Afrique de l’Ouest. Les panélistes comprenaient la journaliste indépendante libérienne Bettie Johnson Mbayo ; Malick Konaté de Horon TV au Mali ; Haruna Salisu Mohammed, l’éditeur du WikkiTimes nigérian ; Manasseh Azure Awuni, rédacteur en chef de The Fourth Estate au Ghana ; Isidore Kouwonou, rédacteur en chef de Media L’Alternative au Togo ; et Pape Alé Niang, rédacteur en chef de Dakar Matin au Sénégal.
[Traduction : C’EST AUJOURD’HUIIIIIIII! #WPFD2023 Rejoignez-nous ici :]
Haruna Salisu Mohammed a parlé des poursuites judiciaires auxquelles WikkiTimes fait face de la part de politiciens et de propriétaires d’entreprises à la suite de la publication d’articles d’investigation, tandis que Niang a expliqué à quel point le gouvernement sénégalais est devenu intolérant envers les journalistes critiques et les voix dissidentes, alors que le président Macky Sall semble prêt à briguer un troisième mandat aux élections de 2024. Un communiqué de presse d’Amnesty International a noté, en mars, que : « Les autorités sénégalaises intensifient la répression à l’approche de l’élection présidentielle de 2024 en réprimant les droits humains, en restreignant l’espace civique, en interdisant les manifestations et en détenant un journaliste et des personnalités de l’opposition ».
Dans sa déclaration lors de la WPFD, le Centre d’études sur les médias et la consolidation de la paix (CEMESP) au Libéria a lancé son cadre national global, décrivant une stratégie pour la sécurité des journalistes. Le CEMESP a appelé le gouvernement à continuer d’élargir « l’espace civique d’expression libre et sans entrave pour remplir ses engagements en vertu des conventions locales et internationales ».
[ Traduction : #WPFD2023: Déclaration du Centre d’études sur les médias et la consolidation de la paix – @LiberiaCemesp … @MRA_Nigeria @africafoicentre @cipesaug ]
L’Association de radiodiffusion du Soudan du Sud a accueilli Irene Ayaa, directrice de l’Institut de développement des médias de l’Association pour le développement des médias au Soudan du Sud (AMDISS), qui s’est exprimée sur les questions de liberté de la presse dans le pays. Lors d’un deuxième événement à la National Communication Authority, Ayaa a souligné qu’elle avait clairement indiqué « que nous travaillerons avec le gouvernement pour construire des médias dynamiques au Soudan du Sud sans compromettre l’indépendance des médias ».
[Traduction : Dans le cadre de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse au #SoudanDuSud, nous serons accueillis par #SSBCTV demain matin pour parler des problèmes de la liberté de la presse au #SoudanDuSud. Rejoignez-nous pour la discussion. @EyeRadioJuba @chuoljaany @amdissmedia @JosephineAchiro ]
Koang Pal Chang, président d’AMDISS, a demandé au gouvernement de permettre à Radio Miraya de reprendre la diffusion et a également appelé les actionnaires du journal Juba Monitor à résoudre leurs différends. (Radio Miraya, propriété de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud et gérée par cette dernière, a été suspendue en 2018 par l’Autorité sud-soudanaise de régulation des médias pour défaut de licence de diffusion pour opérer.)
MISA Zimbabwe a lancé son programme de la WPFD le 2 mai avec un atelier multipartite organisé à Harare, sous la thème « La liberté d’expression en tant que bien public : moteur incontournable de tous les autres droits ». Les participants comprenaient des représentants de la Police de la République du Zimbabwe (ZRP), de la Commission des médias du Zimbabwe (ZMC), du Parlement du Zimbabwe, de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), des médias et de la société civile.
Entre autres sujets, a été abordée la question cruciale de la sécurité des journalistes avant les prochaines élections et celle de l’impact des cadres politiques sur le travail des médias. Des commémorations consécutives à Mutare, Masvingo, Gwanda, Bulawayo, Chinhoyi, Kwekwe et Gweru, le 6 mai, ont également attiré l’attention sur le coût élevé des données, la montée de la mésinformation et de la désinformation et leurs effets sur le discours politique dans le pays.
Le blog de l’organisation de la Journée mondiale de la liberté de la presse a mis en évidence des problèmes critiques dans la région, de la promulgation de lois ayant un impact négatif sur le droit d’accès à l’information et le droit à la liberté d’expression à l’utilisation des coupures d’Internet comme une arme.
Les commémorations du MISA se sont terminées par une déclaration à l’intention de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, décrivant les principaux problèmes de la région et concluant par des recommandations, notamment l’abrogation de « la législation susceptible de porter atteinte à la liberté de réunion et à la liberté d’expression dans des pays tels que le Botswana, le Malawi, le Mozambique, la Zambie et le Zimbabwe. » Dans cette déclaration, le directeur régional, le Dr Tabani Moyo, a souligné le besoin de solidarité et de collaboration :
« Un cadre de collaboration minimisera les risques pour les acteur locaux, augmentera les niveaux de transfert de compétences et de connaissances sur une base durable, qui alimentera la mise en place de mouvements de solidarité organique pour continuer à repousser les attaques contre l’expression. »
En bref
- Trois mois seulement après l’assassinat de Martinez Zogo et Jean-Jacques Ola Bebe, les journalistes camerounais Ousman Alh Boubakari et Aminou Alioum demandent une protection. Le maire d’une ville du nord du pays les aurait menacés de mort.
- Une note d’orientation du CIPESA souligne combien de gouvernements africains acculent les fournisseurs de services Internet et les obligent à divulguer illégalement des informations sur leurs abonnés, bien qu’ils soient conscients de la violation flagrante du droit à la vie privée et qu’ils sachent qu’il s’agit d’une violation du droit international .
- Le tribunal du travail du Kenya a non seulement empêché Meta de résilier les contrats des modérateurs, mais a également décidé que l’entreprise pouvait être poursuivie dans le pays, avec son partenaire local Sama, pour résiliation abusive des contrats des modérateurs.